Contributeur(s)Observatoire International des Prisons - section tchadienne

Le quotidien

L’encellulement est collectif. La plupart des prisonniers dorment à plusieurs à même le sol, dans un lit étroit ou sur un tapis de prière. Les cellules sont peu lumineuses et mal ventilées.La chaleur est étouffante, notamment entre mars et mai, où les températures peuvent atteindre 45°. L’administration ne fournit pas de couverture en hiver. Entre novembre et janvier, les températures peuvent descendre jusqu’à -5°.   

La nuit une odeur nauséabonde imprègne les cellules, du fait des seaux hygiéniques sans couvercle.   

Les nouveaux arrivés se voient souvent obligés de verser un pécule au chef de la cellule – un détenu – ou à un surveillant pour obtenir une place pour dormir. Certains détenus ont le droit de dormir dans la cour : ceci est considéré comme un privilège.

Le repas est servi une fois par jour. Les prisonniers font eux-mêmes la cuisine. La nourriture, du pain de millet avec de la sauce gombo, est servie dans une assiette collective pour un groupe de six à dix personnes. La nourriture est insuffisante et, de ce fait, les prisonniers les plus faibles restent souvent sans manger.   

Les détenus peuvent acheter de la nourriture – intra ou extra muros – ou demander à leurs familles de compléter les repas. Les fournisseurs augmentent parfois les prix ou vendent de la nourriture périmée. Il arrive aussi qu’ils cessent d’approvisionner une prison en raison des factures impayées. Le prix des denrées est plus élevé dans les établissements du nord du fait des distances.   

Aucune attention n’est accordée au régime alimentaire des personnes malades, des mineurs ou des femmes allaitantes.

Le manque d’eau est un problème pour l’ensemble de la société tchadienne. Il constitue l’entrave principale à une bonne hygiène. Certaines prisons disposent d’un puits, d’autres d’une pompe avec générateur. Mais l’un et l’autre sont souvent défaillants et ne permettent pas de satisfaire les besoins des détenus.

Les douches ne sont accessibles que quelques fois par semaine. Les lessives sont rares. Cela favorise la propagation des maladies de peau et des parasites (poux ou gale). L’eau disponible est souvent contaminée. Sa consommation peut entraîner des gastro-entérites ou des diarrhées. Il est difficile de la faire bouillir, le charbon et le bois étant rares.

Le savon et les serviettes hygiéniques ne sont pas fournis par l’administration. Les familles ou les associations humanitaires pallient parfois à ce manque.   

Selon le rapport publié par Amnesty International en 2012, les toilettes et les égouts des prisons sont en mauvais état. Les eaux stagnantes se mêlent aux eaux usées et aux excréments. Les prisonniers doivent satisfaire leurs besoins dans des seaux en plastique. Une odeur nauséabonde imprègne les cellules.

Les maladies récurrentes sont le paludisme, les diarrhées et la gale. La gale est surtout présente dans les établissements les plus surpeuplés et dans les régions humides du sud du pays.

Le personnel médical n’est pas toujours compétent. Il peut être composé de membres de la Gendarmerie nationale ou d’autres prisonniers. Le manque de matériel et de médicaments ne permet pas d’apporter des soins de qualité. Les infirmeries sont utilisées comme cellules lorsque la surpopulation est importante ou que la pénurie de matériel médical les rend inutiles (Moussoro, Baibokoum, Goulougaya et Pala).

Les prisonniers souffrant de maladies mentales sont enchaînés, isolées et ne reçoivent pas de traitement. Les personnes atteintes de tuberculose ou du VIH sont rarement traitées. Aucun dépistage ou registre ne dénombre les personnes infectées. L’administration pénitentiaire ne distribue pas de préservatifs alors que les relations sexuelles non protégées sont courantes. Les personnes atteintes de tuberculose ne sont pas isolées des autres personnes détenues.

Une personne gravement malade est transférée à l’hôpital général de N’Djamena, aux frais de sa famille. Il est parfois nécessaire de soudoyer le personnel pénitentiaire afin d’obtenir le permis de sortie pour aller à l’hôpital.

La consommation de stupéfiants est répandue (Marihuana ou Tramadol). Le Tramadol est un opiacé à fort risque de dépendance. Bien qu’interdit au Tchad, le personnel pénitentiaire ou des prisonniers en vendent au prix de 100 francs CFA (environ 0,16 euro) les deux comprimés.

La cour centrale est accessible de 8h30 à 17h30. Aucun espace n’est dédié aux pratiques sportives. Les ONG et les groupes religieux organisent parfois des activités qui restent toutefois limitées. Jeux de cartes et jeux de dames sont possibles.   

Des ateliers de menuiserie son proposés à Sarh. A Bongor, les personnes détenues entretiennent un potager commun de sorgho et de gombo.   

La prison de Mondou dispose d’une bibliothèque.

Le travail existe sous trois modalités : les corvées, la vente d’objets produits par le prisonnier et le travail à l’extérieur des prisons. Aucun contrat de travail ou salaire formel n’est prévu.   

L’assignation et la gestion des corvées relèvent principalement du pouvoir de détenus organisés en “mairies”. Les corvées principales sont attribuées aux personnes les plus vulnérables, dont les enfants et consistent en l’entretien des locaux (nettoyage des cellules, évacuation des déchets) et la préparation des repas (chercher l’eau et le bois, faire la cuisine). Ils peuvent être récompensés par des petits avantages comme un bout de pain ou un morceau de savon supplémentaire. Des mauvais traitements de gravité variable sont constatés si un individu refuse d’effectuer les tâches ordonnées.   

Les activités de production individuelle relèvent du détenu. Les activités les plus courantes sont le tricotage, le tressage de paniers, la couture et le petit commerce. Le matériel doit lui être apporté et il lui faut trouver comment écouler sa production à l’extérieur. Dans certaines prisons, les revenus perçus sont versés dans une caisse commune gérée par les personnes détenues elles-mêmes. Dans ce cas, le détenu-producteur récupère son pécule à sa sortie de prison.   

Certains fonctionnaires et officiers de l’armée emploient à leur compte des personnes détenues sans justification auprès du personnel pénitentiaire. Les corvées au domicile des autorités sont courantes. Sans contrepartie de rémunération.

L’administration pénitentiaire ne prévoit pas de programme de scolarisation. Certains détenus organisent parfois des cours d’alphabétisation pour leurs codétenus.   

Les prisons de Mondou, Bebedja, Kélo, Bébé et N’Djamena proposent des formations professionnelles techniques. Ce sont généralement des ateliers de menuiserie, de ferronnerie ou de couture, destinés à une quinzaine de personnes. La majorité des détenus n’est pas intéressée par ces activités. Une attestation de formation est jointe au dossier de la personne détenue une fois la session achevée.

Les prisonniers qui le souhaitent, enfermés dès 17h30, peinent à s’acquitter des obligations religieuses du soir.   

La loi autorise les détenus à porter une tenue particulière au moment d’une célébration religieuse.   

Des aumôniers interviennent à Bongor, à Moundou, à Koumra et à Pala. Personne n’a remplacé celui de Amsinéné depuis la mort du Père Kaboré en 2014. Les autres prisons organisent les offices dans la cour centrale ou dans une cellule.   

L’Eglise catholique dispose d’une « Commission justice et paix » qui organise les samedis des activités d’évangélisation à Bongor et à Pala. La question pénitentiaire est souvent évoquée lors des conférences épiscopales. Les évêques alertent par la suite le gouvernement sur les conditions de détention. Le père Russo, évêque à Doba, est expulsé du pays en 2014. L’OIP-Tchad estime qu’une des raisons est son plaidoyer en faveur des prisonniers, jugé trop intrusif par le pouvoir central.

Les associations religieuses de différentes confessions interviennent régulièrement dans le cadre d’offices ou de soutiens caritatif ou psychologique.   

Le Comité international de la Croix Rouge (C.I.C.R) visite régulièrement les prisons les plus peuplées. Il organise, le 26 mai 2015, une journée de travail afin d’alerter l’Assemblée nationale sur l’état des prisons et les mesures à prendre pour les améliorer.   

L’OIP-Tchad organise des activités d’alphabétisation auprès des mineurs à Bongor, à Pala et à Moundou. L’ONG offre aussi des cours de couture pour les femmes, de peinture pour les hommes et des formations en droits humains pour le personnel, à Bongor, ville où elle est basée.   

La Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH) et l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDH) interviennent chacune dans quelques prisons.   

La section tchadienne de l’ACAT obtient, le 26 octobre 2015, une autorisation du gouvernement pour visiter les prisons.

Les détenus qui travaillent touchent un pécule. Dans certaines prisons, cet argent est versé dans une caisse commune gérée par les “maires”. L’individu qui a travaillé pourra toucher une partie de l’argent gagné à sa libération.   

Le personnel exige des rémunérations de la part des personnes détenues dès l’entrée en prison pour éviter tout passage à tabac, pour se voir attribuer une place pour dormir, pour être conduit à l’hôpital, etc.

Le ministère de la Justice désigne une commission chargée d’inspecter, du 19 janvier au 6 février, les évènements qui ont mené à la révolte de novembre 2014, à la prison d’Amsinéné. Le personnel refuse de laisser sortir certains prisonniers de leurs cellules, cela entraîne une protestation collective. Un prisonnier décède et plusieurs sont blessés.   

La commission d’enquête recommande au ministère de la Justice de libérer les personnes ayant dépassée la durée légale de détention préventive, d’organiser des audiences pour celles qui attendent une condamnation et de construire un quartier pour mineurs. Le 21 septembre, le ministre de la Justice ordonne la libération de 10 personnes ayant dépassé le temps légal de détention préventive.

L’administration pénitentiaire exerce peu de contrôle sur les conditions de sécurité à l’intérieur des prisons. Elle s’appuie sur les « gangs » pour gérer les établissements. Ces derniers contrôlent la gestion de la vie commune (accès à la nourriture, place pour dormir, ou activité commerciale) et le trafic de stupéfiants (marihuana, appelée mbongo, et Tramadol). Les tâches telles que les fouilles de cellules ou l’escorte de personnes détenues lors d’un transfert à l’hôpital ou au tribunal, sont confiées aux “Colombiens” (membres de gangs).   

Les prisonniers susceptibles de s’évader ou considérés comme dangereux, sont régulièrement mis à l’isolement et enchaînés. Cette sanction peut durer de quelques jours à quelques mois. Les prisonniers transférés au tribunal sont également enchaînés. L’administration justifie cette pratique par le manque de personnel pénitentiaire.