Contributeur(s)Prison Insider, Bureau des droits humains en Haïti

L’intégrité physique

La peine de mort est abolie depuis 1987, selon l’article 20 de la Constitution. La dernière exécution date de 1972.

La peine de mort est encore inscrite dans le texte du Code pénal haïtien. Elle est remplacée, selon l’article 40, par la peine de travaux forcés à perpétuité.

L’article 7 du Code pénal prévoit la peine de travaux forcés à perpétuité. Elle est encourue en cas de meurtre, de kidnapping, d’incendie volontaire, de contrefaçon de monnaie ou de billets et de vol avec menaces d’armes. Elle ne peut être prononcée contre un individu mineur ou âgé de plus de 60 ans. Un condamné aux travaux forcés à perpétuité voit, lorsqu’il atteint les 60 ans, sa peine transformée en réclusion à perpétuité.

La peine de travaux forcée, à perpétuité ou non, n’est plus exécutée. Les condamnés effectuaient des travaux au profit de l’Etat ou d’une institution, ce qui nécessitait des moyens de surveillance et de transport, explique en 2008 Me Jacquenet Oxilus. Ils peuvent être amenés à travailler au sein de la prison.

Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) publie, le 27 janvier 2017, un rapport dénonçant une explosion du nombre de décès à la prison civile de Port-au-Prince (appelée “pénitencier national”). Ces décès sont principalement dus à des anémies sévères, à la tuberculose, ou à d’autres maladies contagieuses. Les prisons du pays sont surpeuplées, ce qui favorise la transmission des maladies. L’Etat n’alloue plus un budget suffisant pour nourrir toutes les personnes qu’il détient, entrainant des cas de grave malnutrition (voir Nourriture).

La Commission épiscopale nationale justice et paix (JILAP) dénonce, dans une note du début du mois de mai 2017, la présence de 27 cadavres de détenus dans une morgue de la capitale. Ces prisonniers sont décédés au cours du mois d’avril. Ils ne bénéficient pas de funérailles et leurs proches ne sont pas correctement informés de ces décès. Le JILAP s’alarme : “on compte en moyenne deux morts chaque trois jours”.

Le RNDDH rapporte, pour l’année 2016, 60 décès au pénitencier national, dont 13 au mois de décembre. Le Bureau des droits humains en Haïti (BDHH) confirme, en février 2016, qu’au cours des derniers mois, 64 personnes sont mortes d’anémie, de tuberculose et d’autres maladies infectieuses.

Le BDHH déplore un problème humanitaire et sanitaire majeur. Il dénonce le mur de silence s’installant autour de la question des conditions de détention depuis l’arrivée d’un nouveau commissaire du gouvernement.

Jean Danton Léger, le précédent commissaire du gouvernement au Parquet de Port-au-Prince, démissionne le 21 mars 2017. Il offre, durant son mandat, un enterrement religieux aux prisonniers morts d’anémie ou de maladie. Il organise, le 19 janvier 2017, les funérailles de 20 personnes et, le 21 février 2017, celles de 20 personnes supplémentaires. Il annonce avoir inhumé, depuis juin, 64 prisonniers sur 71 décès au « Pénitencier national1 ». Les prisonniers décédés étaient, en quasi-totalité, placés en « détention préventive prolongée ». Ils ont passé plusieurs années en prison sans avoir comparu devant le juge.

L’expert indépendant des Nations unies, Gustavo Gallon, estime à près de 230 le nombre des décès dans l’année si la situation n’évolue pas2.


  1. Coup de projecteur dans la pénombre mortelle de nos prisons…” dans Le Nouvelliste, 23 février 2017 

  2. A Port-au-Prince, les cachots de la faim” dans Le Monde, 29 mars 2017 

La Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) condamne, le 6 mai 2008, dans une affaire Yvon Neptune c. Haïti, l’Etat haïtien. Sa décision met en avant, parmi d’autres motifs, les conditions de détention inhumaines dans les prisons du pays. La Cour atteste de la surpopulation et de l’insécurité qui y règnent. Les soins médicaux et psychologiques sont insuffisants. Les cellules sont insalubres et mal ventilées. Les installations sanitaires et les conditions d’hygiène sont précaires. L’eau et la nourriture sont de mauvaise qualité. Les prisonniers ne sont pas séparés, multipliant les risques de violences. Yvon Neptune est témoin, durant son incarcération, de violences exercées par les surveillants sur les prisonniers. La Cour déclare l’Etat défaillant dans son obligation de garantir la vie et la sécurité des personnes détenues sous sa garde. Elle reconnait un traitement inhumain ou dégradant.

La situation n’a pas évolué depuis cette décision. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies dénonce, en novembre 2014, “l’utilisation disproportionnée de la détention provisoire pendant des périodes excessives”. Celle-ci mène à une “surpopulation carcérale qui a atteint un seuil critique relevant du traitement inhumain et dégradant”.

La police fait un usage excessif de la force, procédant à des arrestations violentes et arbitraires. Un rapport de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), publié en février 2016, fait état de ces violences.

La détention préventive est employée de manière abusive. Les textes prévoient un maximum de 48 heures de garde à vue, à l’issue de laquelle la personne doit être présentée à un juge. Ce dernier peut alors ordonner le placement en détention provisoire. Le juge d’instruction dispose d’un délai de trois mois, renouvelable une fois, pour travailler. Une fois cette période écoulée, la détention est arbitraire.

Les autorités ont recours, en pratique, à une détention préventive prolongée, dépassant amplement les délais légaux. Les personnes suspectées sont incarcérées durant des années avant de rencontrer un juge. Cet enfermement peut dépasser la durée maximale encourue pour l’infraction dont ils sont accusés. Certains sont des oubliés du système, dont aucun dossier ne signale l’incarcération. D’autres sont maintenus en détention malgré l’existence d’un ordre de libération à leur nom, ou même après avoir purgé la totalité de leur peine.

Gustavo Gallon, expert indépendant des Nations unies, déclare, en mars 2017, que plus de 70 % de la population carcérale est constituée de personnes placées en détention préventive prolongée. La situation est critique au pénitencier national. La durée moyenne de détention provisoire est, en décembre 2016, de 1 100 jours, soit environ trois ans, selon la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Les prisonniers y sont, pour 91 %, détenus illégalement ou arbitrairement, ajoute Gustavo Gallon. Un rapport de la MINUSTAH fournit des chiffres au 2 juillet 2015. La détention provisoire concerne, à cette date, 7 655 personnes (72 % de la population carcérale). Certains établissements ont un taux de détention provisoire critique : le Centre de réinsertion pour mineurs en conflit avec la loi (CERMICOL) est à 90 %, le pénitencier national de Port-au-Prince et la prison pour femmes de Pétion-Ville sont à 89 %, la prison de Jérémie à 86 % et la prison des Cayes à 85 %. Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) publie, en janvier 2017, un rapport sur la situation du pénitencier national. Sur 4 257 prisonniers, 3 709 personnes sont concernées, soit 87 % de prévenus.

La cause de ces incarcérations excessives et arbitraires est l’ineffectivité de la justice. Le journaliste Seyi Rhodes montre, dans un reportage de 2016, l’absence des juges dans les tribunaux. Les procédures ne sont pas appliquées, empêchant la libération de personnes déclarées non-coupables. Les dossiers ne sont pas numérisés malgré l’élaboration d’une base de données informatisée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les documents papiers se perdent et ne permettent pas de connaître l’identité et la situation des prisonniers. La corruption freine le système, déjà largement engorgé1.

Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique lance, en mars 2015, une “opération coup de poing” contre la détention préventive prolongée. Elle vise à accélérer le traitement des dossiers de prisonniers n’ayant jamais rencontré de juge ou ayant purgé leur peine sans être libérés. La MINUSTAH indique que, en cinq mois, 429 dossiers sont examinés et 119 affaires jugées, menant à 52 acquittements. Elle nuance cependant l’efficacité de cette opération. Seuls des dossiers correctionnels sont concernés, alors que plus de 80 % des prévenus sont poursuivis pour des affaires criminelles. L’action n’a pas été menée de manière continue. Elle s’est limitée aux cas les plus simples. Elle ne concerne que le pénitencier national, la prison pour femmes de Pétion-Ville et le CERMICOL2.

Jean Danton Léger, commissaire du gouvernement au Parquet de Port-au-Prince, aurait permis, de juin à novembre 2016, la libération de 2 000 prisonniers3. Il explique avoir procédé à des libérations importantes de personnes ayant déjà purgé leur peine, ayant profité d’une décision de justice (main-levée, ordonnance de non-lieu), étant incarcérées pour une amende ou sans raisons connues. Il s’agit notamment, en juin, de 188 personnes incarcérées au pénitencier national et, début décembre, de 250 prisonniers du pénitencier national et de la prison de Fort Dimanche.

Ces libérations sont remises en cause par les organisations locales de droits humains. Ces dernières accusent une insuffisance de transparence et des possibilités d’abus, notamment des cas de libération arbitraire. Il ne s’agit pas d’une solution à long terme car le système judiciaire reste inefficace. Les libérations stoppent en décembre 20164.

Les organisations locales de droits humains travaillent à la libération de personnes détenues arbitrairement. Le Bureau des droits humain en Haïti obtient la libération de 26 prisonniers dans le cadre de son service d’assistance légale.

Une Commission sur la détention préventive prolongée est créée le 5 septembre 2016. Sa mission est de dresser la liste des personnes détenues, particulièrement en détention préventive prolongée. Le nouveau président élu, Jovenel Moïse, met en place, le 22 février 2017, une Commission d’enquête sur les conditions de décès dans les prisons au cours des six mois précédents. Aucune de ces commissions n’a rendu de conclusions.

Jean Danton Léger démissionne le 21 mars 20175.


  1. Rapport](http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CCPR/Shared%20Documents/HTI/INT_CCPR_CSS_HTI_18247_E.pdf) adressé par les organisations de droits humains sur les conditions de détention et la détention provisoire en Haïti, en vue de l’examen périodique par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, 2014 

  2. Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), Rapport annuel 2014/2015, février 2016 

  3. Plus de 2 000 prisonniers libérés” dans Ici Haïti, 18 novembre 2016 

  4. Le Parquet de Port-au-Prince n’a pas le droit de libérer des prisonniers“ dans Anmwe, 14 décembre 2016 

  5. A Port-au-Prince, les cachots de la faim“ dans Le Monde, 29 mars 2017