Écosse : “ne pas ajouter une punition à la punition”

John Docherty. La plupart des femmes détenues ont un vécu traumatique lourd. Elles ont pu être victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques. On le sait, le traumatisme a une influence sur la façon de penser d’une personne, sa façon de ressentir les choses, son comportement. Elle peut avoir des réactions inattendues, disproportionnées, qui seront perçues comme dérangeantes, agressives ou violentes dans un environnement carcéral. Les Community Custody Units prennent en compte le vécu traumatique des femmes détenues et s’appuient, pour y remédier, sur plusieurs principes : sécurité, confiance, autonomie, collaboration et liberté de choix. Ces cinq principes, identifiés par la littérature scientifique, marquent toutes les initiatives prises dans notre nouveau parc pénitentiaire pour femmes. Ils se reflètent dans l’environnement immédiat des femmes détenues et dans la conception des établissements, pensés pour atténuer l’aspect carcéral au profit d’une atmosphère plus accueillante ou thérapeutique, en fonction de leur visée.

Les membres du personnel participent à des sessions de formation sur la prise en compte du traumatisme : ces formations sont élaborées par les employés du service de formation du National Health Service (NHS)¹ d’Écosse, des travailleurs sociaux et des intervenants d’autres secteurs, notamment la justice. Les CCU demeurent cependant des environnements pénitentiaires. Il est impossible de faire disparaître tous les déclencheurs, mais la formation des personnels, la conception des locaux et des politiques de prise en charge adaptées peuvent permettre de réduire le risque de retraumatisation.

La plupart de nos employés ont été recrutés tout récemment par l’administration pénitentiaire. Les entretiens sont axés sur les valeurs, ce qui permet de s’assurer de recruter les bonnes personnes pour ce travail particulier. Tous les membres du personnel des CCU sont passés par un processus de recrutement compétitif et ont été spécifiquement choisis pour leur poste. Nous observons également une répartition des effectifs en fonction du genre : dans les CCU, 70 à 75 % du personnel est féminin. Il reste intéressant d’avoir des hommes employés pour intervenir auprès des femmes détenues. Une femme, qui était auparavant détenue à Polmont ², a expliqué, en parlant d’un membre du personnel, qu’il était le premier homme à avoir fait quelque chose pour elle sans rien attendre en retour. Elle a pu voir qu’il existe des relations homme-femme désintéressées. Ce n’est pas pour autant que toutes les détenues vont accepter de travailler avec les personnels masculins, ce qui est compréhensible.

Toutes les femmes détenues peuvent être affectées en CCU. S’il s’agit d’une personne condamnée à une peine de 4 ans maximum, nous vérifions si une CCU est à même de répondre à ses besoins, le niveau de soutien nécessaire, sa disposition à vivre de façon indépendante, et l’existence éventuelle d’autres établissements plus susceptibles d’être adaptés à sa situation. Ce qui est important, c’est de les affecter dans l’établissement le mieux équipé pour répondre à leurs besoins.

S’agissant des femmes en fin de longue peine (plus de 4 ans), les CCU doivent les préparer à leur réinsertion ; pour les courtes peines, l’idée est davantage de maintenir les liens avec l’extérieur. Il existe très peu de raisons de refus catégorique d’affectation. Les femmes ayant des problèmes d’addiction sont éligibles et reçoivent de l’aide, que ce soit au sein de l’établissement avec le concours du NHS et d’autres partenaires ou à l’extérieur. Ce soutien peut continuer après leur libération. Nous sommes conscients qu’un processus de rétablissement n’est pas linéaire et que ce chemin ne sera pas sans rechutes. Il n’y a pas de retour automatique en prison ordinaire : cela peut arriver si les facteurs de risque dépassent l’aide que nous sommes en mesure de fournir, mais ces décisions sont prises au cas par cas par l’équipe dédiée à la gestion des risques. Une détenue qui réintègre une CCU, après un temps à l’extérieur sous l’influence de substances toxiques, peut être placée dans une chambre sécurisée en attendant la décision de l’équipe. Il n’y a aucun besoin d’en référer à la hiérarchie pour prendre une décision, et il ne s’agit pas non plus d’une sanction, mais de répondre aux besoins spécifiques et d’assurer la sécurité de chacune en mettant en place un plan qui les aidera efficacement.

JD. Si vous entrez dans l’une des maisons d’une CCU, vous verrez qu’elles ressemblent vraiment à des appartements privés. Elles sont conçues pour permettre une existence indépendante et même pour l’encourager. On trouve quatre chambres à l’étage, chacune équipée d’une salle d’eau privative. Au rez-de chaussée, il y a un espace de vie et un coin cuisine partagés. On attend des femmes affectées en CCU qu’elles prennent en charge leur espace de vie personnel et collectif. Elles reçoivent une pension hebdomadaire et doivent gérer leur budget, faire leurs propres courses et préparer leurs repas. Nous utilisons des procédures de contrôle qualité pour nous assurer qu’elles savent cuisiner en toute sécurité et préparer des repas équilibrés. La technologie moderne permet aussi la mise en place de mesures de sécurité bien moins intrusives et visibles. Notre personnel a accès à tous les espaces. Sauf urgence, ils doivent frapper avant d’entrer dans une chambre. Certaines tâches, par exemple les bilans de bien-être, exigent une présence dans les espaces collectifs le matin et le soir. Les femmes de la CCU ont une carte d’accès qui ouvre leur chambre, la maison, et certaines installations en fonction de leur régime. Nous pouvons voir à quels endroits une carte a été active. La nuit, elles doivent rester dans la maison, mais elles peuvent rester en compagnie des autres femmes qui y vivent.

On les incite également à prendre le contrôle de l’exécution de leur peine grâce à une nouvelle approche que nous avons mise au point. Chaque femme qui entre en détention bénéficie d’une feuille de route individuelle qu’elle élabore avec l’agent chargé de son suivi. Ensemble, ils identifient ses besoins spécifiques et ses compétences, ses points forts, et le type de services de soutien dont elle aurait besoin et d’interventions qui lui seraient utiles.

On encourage les femmes des CCU à gérer elles-mêmes leur temps, en anticipant et en communiquant avec le travailleur social qui les suit en cas de conflit d’emploi du temps. Les politiques à l’échelle nationale conditionnent les niveaux d’accès à l’extérieur au niveau de risque et aux progrès effectués. On procède ainsi par paliers successifs : elles passeront par exemple des sorties accompagnées aux sorties en autonomie. Le processus ouvre aussi la possibilité à des sorties pour aller travailler ou rendre visite à leur famille, selon des fréquences et des durées variables. Les décisions sont prises par une équipe de gestion des risques pluridisciplinaire présidée par le directeur adjoint et orientée par différents points de vue professionnels : psychologues, personnels de santé, travailleurs sociaux… L’équipe détermine le niveau d’accès à l’extérieur et le réévalue en principe régulièrement, et éventuellement ad hoc en cas de problème. L’agent chargé du suivi et la femme détenue peuvent également être présents.

Les politiques nationales permettent aux femmes qui accouchent en prison de garder leur enfant avec elles un certain temps pour nouer un lien mère-enfant. Les prisons de Stirling et Grampian disposent d’unités mère-enfant. Une évaluation des risques menée par des travailleurs sociaux avec la famille de l’enfant permet de décider si l’enfant peut rester auprès de sa mère.

Les CCU offrent également un environnement plus ouvert pour les visites familiales, qui contraste avec les visites habituelles ayant lieu dans un environnement très contrôlé. Les CCU disposent d’un espace collectif où les femmes peuvent voir leur famille, et qui accueillent également des formations et des ateliers libres de prestataires externes. Il s’agit d’un environnement bien plus adapté aux familles et aux enfants, avec des espaces verts et la possibilité d’aller et venir librement. C’est un espace où l’on encourage les contacts entre les femmes et leur famille.

JD. J’ai rejoint l’administration pénitentiaire en tant que responsable des opérations en 2007. J’ai travaillé dans un établissement de l’ère victorienne, construit à la fin du XIXe siècle, la prison d’Aberdeen. Elle n’existe plus aujourd’hui : une part assez large de notre parc immobilier a été reconstruite au cours des vingt dernières années. Il existe des choses similaires aux CCU, par exemple les Community Integration Units (CIU), mais intégrées à un environnement carcéral sécurisé, dans deux établissements : Grampian et Greenock. Il y a eu un changement de mentalité pendant la dernière décennie.

Nous avons publié un bilan organisationnel complet en 2012. Ce rapport a redéfini notre mission officielle, notre projet, nos valeurs et nos priorités. Le principe fondamental était : la condamnation est déjà une punition en soi, l’incarcération n’a pas à ajouter de punition à cette punition. Notre rôle est d’apporter du soutien et d’encourager la réinsertion. Et notre mission a changé : il s’agit désormais de libérer un potentiel pour aider les gens à changer de vie et à contribuer à la vie en société à leur libération.

En ce qui concerne les femmes, la transition vers la politique actuelle a commencé en 2012, quand la Commission sur la délinquance féminine a publié le rapport Angiolini. Ce rapport comprenait 37 recommandations sur la prise en charge des femmes par la justice. L’administration pénitentiaire écossaise a été chargée d’en appliquer huit, et c’est l’objectif du travail auquel je participe depuis cinq ans. Au tout début, en 2012, on comptait environ 430 femmes détenues. L’idée, à l’époque, c’était de démolir Cornton Vale, notre seul établissement pour femmes, et de le remplacer par un établissement unique sur la côte ouest où auraient été incarcérées toutes les femmes détenues du pays. Ce plan a été très critiqué par un certain nombre de parties prenantes, pour qui il ne respectait pas les recommandations du rapport Angiolini.

En 2015, il y a eu un nouveau plan : construire une prison plus petite, à l’échelle nationale pour les profils les plus à risque et avec le plus de besoins. Il faudrait construire jusqu’à cinq CCU pour permettre aux femmes détenues de se rapprocher de leur famille et de maintenir des liens avec leur entourage. Avant leur ouverture, les CCU ont été critiquées ; elles étaient mal acceptées par les collectivités. Par exemple, la communauté de Dundee s’est inquiétée des conséquences, d’autant plus que la CCU devait être construite dans une zone résidentielle.

Des rencontres ont été organisées avec les autorités locales et les habitants pour les convaincre et commencer la construction. Nous avons fait beaucoup de présentations au centre communautaire pour bien expliquer le projet et répondre aux questions. Ces présentations ont continué pendant les travaux, jusqu’à l’ouverture de l’établissement, où nous avons permis les visites pour que les habitants puissent venir voir par eux-mêmes.

À Glasgow, les habitants se sont beaucoup inquiétés de la sécurité des femmes en CCU. On est encore en période d’évaluation pour les deux CCU existantes : la fin de l’évaluation est prévue pour 2025. Il s’agit de confirmer l’efficacité des CCU, de décider de la construction des trois suivantes, et d’identifier les bonnes pratiques applicables à d’autres populations. Nous sommes soutenus au plus haut niveau par le gouvernement et plusieurs organisations. On nous a demandé de mettre au point un modèle innovant et susceptible d’influencer le monde entier. Les CCU font aujourd’hui pleinement partie de notre nouveau modèle, où elles jouent un rôle complémentaire aux autres établissements. L’objectif est de disposer d’un éventail de modèles adaptés à différents contextes et besoins. Pour l’instant, nous en sommes encore aux prémices de notre réflexion sur l’élargissement de la portée des CCU pour pouvoir y accueillir davantage de détenues sans augmenter les risques.