République centrafricaine : sorcellerie

Bruno Langhendries & Julien Moriceau. Il faut commencer par rappeler qu’en Centrafrique la sorcellerie n’est pas considérée en soi comme mauvaise. Ce que la loi condamne, c’est ce qui est défini comme son “usage néfaste”. Le code pénal incrimine ainsi les pratiques de charlatanisme et de sorcellerie (PCS) susceptibles de troubler l’ordre public, ou de porter atteinte à la propriété et aux personnes.

Les accusations de PCS sont très liées à des formes multiples de marginalité sociale. On retrouve davantage d’accusations en milieu rural, là où l’institution judiciaire est moins présente. On accuse des personnes vulnérables, considérées comme indésirables, avec l’objectif de se débarrasser d’elles. L’étude souligne que si n’importe qui peut être accusé d’avoir commis un acte de sorcellerie, les accusations visent, dans la pratique, souvent des femmes isolées, célibataires, veuves, divorcées, ou sans enfants, souvent âgées et pauvres. Près de 60 % des inculpées détenues à la maison d’arrêt pour femmes de Bimbo à Bangui étaient ainsi, entre janvier 2020 et juin 2021, poursuivies pour des faits de PCS. La moyenne d’âge des personnes poursuivies est de 55 ans.

Des enfants, principalement isolés et étrangers, sont parfois aussi ciblés par de telles accusations. Là encore, la situation de marginalité de ces jeunes joue un rôle très important dans leur poursuite. Le phénomène n’est pas nouveau mais il s’est amplifié ces dernières années. Si on manque de recul pour en tirer de vraies conclusions, on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle l’augmentation du nombre d’enfants poursuivis pour de tels actes avec les crises successives que connaît la République centrafricaine (RCA) depuis une dizaine d’années. Ces crises ont entraîné d’importants mouvements de population et la multiplication du nombre de mineurs isolés. Cela reste néanmoins de l’ordre de l’hypothèse. D’autres phénomènes préexistants s’intensifient : la déstructuration du lien social et des familles, les déplacements subis de la part de groupes de population, ou encore une certaine fragilisation des communautés rurales.

BL & JM. En RCA, le traitement des litiges s’opère à deux niveaux : au niveau local, via les chefs de quartiers, les chefs de village, ou les leaders religieux ; et au niveau judiciaire, par les cours et tribunaux. Ces instances fonctionnent parfois de façon diamétralement opposée.

Toutes deux accordent néanmoins une place centrale à l’aveu. Le recueil de preuves est, dans le cadre de poursuites pour PCS, extrêmement difficile. L’écrasante majorité des déclarations de culpabilité repose alors sur des aveux. Au niveau local, le fait d’avouer ses fautes est perçu de manière très positive, voire incontournable par les instances traditionnelles. C’est une manière de se rapprocher de la victime, et un signe de respect envers l’institution. Le fait de ne pas avouer expose la personne à des risques de représailles et de lynchages. Il est donc toujours considéré préférable d’avouer afin de minimiser les risques de violence. Au niveau judiciaire, l’aveu sera, au contraire, utilisé par le juge pour prononcer une condamnation. La stratégie consistant à nier les faits peut donc s’avérer très efficace. Cette distorsion entre les deux systèmes complique considérablement l’exercice du droit à la défense des personnes accusées.

Les dossiers concernant les PCS sont extrêmement sensibles et peuvent provoquer des réactions très vives de la part de la population. Les juges confrontés à ces affaires marchent sur des œufs. Celles-ci sont délicates à traiter et les juges risquent des représailles. Cela les place dans une position de vulnérabilité qui peut les conduire à rechercher l’aveu à tout prix. Ce constat pose problème, notamment quand on connaît les pratiques policières et les multiples facteurs de dysfonctionnement de la chaine pénale centrafricaine.

Nous observons également un recours excessif à la détention provisoire. Le pays est d’ailleurs l’un de ceux qui présente le taux le plus haut de détention provisoire au monde. Les autorités arrêtent mais ne jugent pas : les ressources allouées à l’institution judiciaire sont loin d’être suffisantes. Un grand nombre de femmes inculpées pour PCS sont placées en détention provisoire. Leur dossier peut rester des mois, voire des années, au greffe. Certains magistrats et certaines accusées nous disent parfois que ce placement permet d’assurer leur protection contre la vindicte populaire. Mais de manière générale, l’institution judiciaire n’est pas outillée pour régler ces affaires qui sont davantage le reflet de troubles sociaux importants que d’infractions susceptibles d’être traitées par les tribunaux. Les affaires de sorcellerie finissent par contribuer à la décrédibilisation de l’institution judiciaire, perçue comme inefficace par la population.

BL & JM. Une fois dehors, les femmes doivent se débrouiller toutes seules. Elles ne peuvent généralement pas retourner dans leur communauté d’origine, compte tenu des risques qu’elles encourent. Elles se retrouvent donc dans une situation de précarité sociale vraiment terrible. Déjà marginalisées avant leur condamnation, la peine de prison ne fait qu’accentuer leur exclusion. Au-delà des drames humains et individuels, le coût social est extrêmement lourd pour la société centrafricaine : en excluant des personnes déjà marginalisées, on rend les potentiels processus de resocialisation beaucoup plus complexes, longs et couteux.  

Quelques solutions d’hébergement existent, mais à la marge seulement. Dans la ville de Mbaïki, un centre confessionnel recueille des femmes qui ont été accusées de sorcellerie et qui ne peuvent plus retourner dans leur communauté. Elles restent souvent indéfiniment dans ces centres d’hébergements. Il n’existe aucun programme pour apaiser les conflits, et permettre leur retour dans leur village ou au sein de leur communauté.
On constate un fort désintérêt des autorités, qui ne proposent aucune prise en charge étatique ou paraétatique. Des séances de sensibilisation sont parfois dispensées, mais pour l’instant sans grand succès.