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Myanmar : Insein, le visage carcéral de la junte birmane

Les huit anciens prisonniers de l’immense complexe du nord de Rangoun, rencontrés par «Libération», racontent un quotidien de sévices, de privations, de maladies dans la prison surpeuplée depuis le coup d’Etat du 1er février.

Quatre murs de brique, un trou pour déféquer et des colonies de fourmis. Incarcéré à l’isolement à la prison d’Insein, le journaliste japonais Yuki Kitazumi dormait sur une planche couverte de plastique, dans une cellule de 10 mètres carrés datant de la période coloniale. «La brique était si épaisse qu’on hurlait pour se parler», se souvient le reporter de 45 ans, arrêté le 18 avril pour avoir enfreint l’article 505 (a) du code pénal birman, qui sanctionne de plusieurs années de prison, sous des contours très flous, la propagation de fausses nouvelles et les incitations à la désobéissance civile. Un mois plus tard, il était expulsé vers le Japon, d’où il témoigne aujourd’hui pour Libération. Pour tuer l’ennui, le journaliste grattait ses souvenirs sur des bouts de papier, avec une plume d’oiseau et du café instantané. Une cloche sonnait toutes les quinze minutes, pour que les détenus gardent la notion du temps. Derrière sa cellule, des cris stridents collaient le frisson. Le quartier des mères. «J’entendais les enfants, les bébés nés en détention.»

Construite par les Britanniques en 1887, quand la Birmanie faisait encore partie de l’Empire des Indes, la prison surpeuplée – 12 000 détenus pour 5 000 places – est au bord de l’implosion. Vue du ciel, on dirait une horloge, sauf que des hommes s’agitent dans ses aiguilles. Son architecture panoptique, inspirée des travaux du philosophe Jeremy Bentham, déshumanise et facilite la surveillance. Après l’indépendance, les juntes successives ont utilisé la geôle pour briser les dissidents, et la torture y était couramment pratiquée, forgeant une réputation infernale.

Au nord-ouest de Rangoun, la prison d’Insein renferme une large partie des 7 000 opposants toujours détenus par la junte militaire depuis le coup d’Etat, selon l’Association pour l’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Politiciens, reporters, activistes, médecins, chanteurs, manifestants… «Les militaires sont persuadés qu’en mettant des milliers de personnes en prison, la “révolution de printemps” s’effondrera d’elle-même», analyse Bo Kyi, cofondateur de l’AAPP, incarcéré à Insein dans les années 90. Tout comme le célèbre dissident Win Tinque Libération avait rencontré en 2008, six ans avant sa mort. Vendredi, c’est un journaliste américain, Danny Fenster, qui a été condamné à onze ans de prison alors qu’il végétait déjà depuis six mois à Insein.