Iran : répandre la peur

Mahmood Reza Amiry-Moghaddam. Lorsque les manifestations ont commencé, des milliers de personnes ont été arrêtées et enfermées dans des prisons déjà surpeuplées. Dans certains établissements, les personnes détenues dormaient dans les coursives, ou à n’importe quel endroit où elles pouvaient trouver de la place. Iran Human Rights a également documenté des cas de détention clandestine dans des bâtiments non officiels.

Les autorités ont eu la volonté de voir prononcer en masse des sentences de mort à l’encontre des manifestants et manifestantes arrêtés, mais n’ont pu obtenir satisfaction en raison des réactions internationales et du coût politique élevé de telles condamnations. Moins de 20 manifestants ont été condamnés à mort en 2023. Neuf ont été exécutés et six se trouvent toujours dans le couloir de la mort.

En outre, dans de nombreux établissements, il n’existe pas de distinction entre les prisonniers. Les personnes condamnées pour crimes violents sont détenues avec les prisonniers politiques ou les personnes atteintes de troubles psychiques. Quand des centaines de personnes condamnées pour des raisons différentes se retrouvent détenues ensemble, les tensions sont encore plus grandes et affectent tous les aspects de la vie en détention. Les autorités l’utilisent pour faire pression sur les prisonniers politiques, qui sont parfois battus, presque à mort, par les autres prisonniers. Ils en viennent à penser qu’il s’agit d’une décision prise par les autorités pour les punir davantage.

L’exécution des condamnations à mort est liée aux dynamiques politiques : le régime iranien utilise la peine de mort comme un outil politique pour instiller la peur. Des milliers de personnes se trouvent à l’heure actuelle dans les couloirs de la mort iraniens. Il est difficile d’en connaître le nombre exact : il n’y a aucune transparence sur le sujet.

Les exécutions sont plus fréquentes depuis le début des manifestations. De nombreuses personnes exécutées en 2023 étaient condamnées depuis plusieurs années déjà. La peine de mort a parfois été utilisée pour réprimer des mobilisations de prisonniers au sein des établissements. Dans certaines prisons, les exécutions étaient hebdomadaires, sans que les noms de ceux qui allaient être exécutés ne soient connus à l’avance. Ces pratiques créent un climat d’anxiété : chacun se demande qui sera tué la semaine suivante.

Julia Bourbon Fernandez. Sur les 834 personnes exécutées en 2023, sept l’ont été en public, ce qui signifie que la plupart des exécutions ont eu lieu dans les prisons. Il est possible que d’autres prisonniers y aient assisté : cela fait partie de la stratégie de terreur à l’intérieur et à l’extérieur des prisons. L’Iran est également le pays qui exécute le plus de femmes : au moins 22 femmes ont été exécutées en 2023, le nombre le plus élevé depuis 2014, ce qui reflète l’importance du nombre d’exécutions en général.

La plupart des exécutions n’étaient pas celles de manifestants, ni en lien direct avec les manifestations qui ont suivi l’assassinat de Jina (Mahsa) Amini. Grâce à la mobilisation de la société civile, des ONG et, en dernière instance, de la communauté internationale, notamment le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en Iran et la mission d’établissement des faits du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le nombre de manifestants condamnés à mort a pu être limité, surtout si on le compare au nombre de personnes exécutées.

MRAM. La loi pénale islamique définit les qisâs comme une loi du talion : œil pour œil. Ces principes sont appliqués pour les homicides tant volontaires qu’involontaires : l’intentionnalité n’est pas évaluée, on l’ignore. La famille de la victime, c’est-à-dire les plaignants, peuvent choisir entre une compensation financière expiatoire (diya), la vengeance ou le pardon.

Le montant indicatif de la compensation est évalué annuellement, en mars, pour le nouvel an iranien, par le chef du système judiciaire. Il est, en 2024, de 1,2 milliards de tomans (environ 17 000 €) pour un homme musulman et de 600 millions (environ 8500 €) pour une femme musulmane. Il n’existe pas de limite maximale. Une personne condamnée pour meurtre qui ne peut s’acquitter de la somme réclamée est exécutée : c’est le cas de nombre de condamnés tous les ans. Les qisâs sont un mécanisme discriminatoire et cruel : les pauvres sont pendus plus que les autres.

Dans le cas d’un meurtre, les qisâs signifient la condamnation à mort de la personne coupable du crime. L’un des aspects inhumains de ces lois est qu’elles font peser la responsabilité de l’exécution sur la famille de la victime. Les qisâs permettent au régime de rendre les familles des victimes complices des exécutions.

Ceux qui ont perdu un être cher sont changés en bourreaux. Les plaignants qui réclament vengeance ou leur représentant doivent être présents lors de l’exécution de la sentence ; la plupart du temps, les condamnés sont exécutés par pendaison. Mais très souvent, le plaignant est même encouragé à pendre lui-même le condamné en retirant le tabouret sur lequel il se trouve. C’est en soi traumatisant.

JBF. Les autorités rendent la population responsable de l’application de la peine de mort. Elles utilisent ce système pour présenter les exécutions comme une conséquence de la volonté du peuple.

MRAM. Mais les qisâs offrent également aux gens ordinaires un moyen de s’opposer à la peine de mort. Le rapport comporte un chapitre sur le mouvement du pardon. Au cours des dernières années, de plus en plus de plaignants ont opté pour le pardon ou la compensation financière. Nous avons demandé à environ 20 000 personnes de plus de 18 ans résidant en Iran, dans un sondage, en 2020, quel serait leur choix si l’un des membres de leur famille proche était assassiné : vengeance, pardon ou compensation financière ? Plus de 70 % n’ont pas choisi la vengeance. La population ne soutient pas le régime, la majorité ne veut pas de la peine de mort.

MRAM. Les personnes marginalisées sont, de manière générale, davantage exécutées en Iran. Si l’on se reporte aux cartes inclues dans le rapport, on constate que la province qui compte le plus grand nombre d’exécutions rapporté au nombre d’habitants est le Khorassan méridional, de loin la plus pauvre des provinces iraniennes. Les chiffres sont également élevés au Baloutchistan et dans les régions de peuplement kurde. Les habitants de ces régions sont pauvres et marginalisés. L’opposition au régime y est plus forte : le besoin de celui-ci de susciter la peur y est donc plus prononcé.

JBF. Les personnes exécutées pour homicide ou pour des infractions liées à la drogue appartiennent, la plupart du temps, à des catégories marginalisées : populations pauvres, minorités ethniques… il s’agit là, pour le régime, de montrer que personne n’est à l’abri. Les autorités procèdent parfois également au transfert de prisonniers d’une province à une autre, après arrestation, pour augmenter le nombre d’exécutions dans une province donnée et y répandre la peur.

MRAM. Les prisonniers accusés de mettre en danger la sécurité publique, par exemple affiliés à des groupes kurdes, sont soumis à davantage de pressions. On les transfère dans des aires plus centrales, éloignées de leurs communautés, pour les couper de tout soutien, les regrouper, ou peut-être utiliser certaines méthodes d’interrogatoire. On les retrouve souvent à Téhéran ou dans des prisons proches de la capitale. Là, ils sont interrogés par l’un des nombreux corps parallèles des services de sécurité iraniens.

Les prisonniers du couloir de la mort de Téhéran, notamment les prisonniers politiques, font l’objet de campagnes de soutien et d’information. Dans les provinces du centre et les grandes villes, les autorités s’appliquent à sauver les apparences du respect des garanties en matière de procès et de détention. Mais au Baloutchistan et dans les régions kurdes, la peine de mort ne fait pas l’objet d’une telle surveillance. Les militants des droits humains y sont bien plus vulnérables, accusés de séparatisme ou de terrorisme par l’appareil de propagande du régime. Attirer l’attention sur des questions comme celle de la peine de mort est bien plus difficile : qui dit moins de vigilance dit moins de comptes à rendre. L’iniquité qui marque le système judiciaire iranien est encore plus prononcée dans les régions occupées par des minorités ethniques.

La pendaison publique est un moyen mis en œuvre par le régime pour faire peur, même s’il est politiquement coûteux. Mais leur nombre a décru au cours des dernières années, particulièrement après la pandémie de Covid-19. On a pu compter, au cours de certaines des 14 ou 15 dernières années, plus de 60 exécutions publiques. Il semble que la question des exécutions publiques soit susceptible de ressurgir.

JBF. Les exécutions publiques ont cessé pendant la pandémie de Covid à cause des limitations sur les rassemblements, mais ont recommencé en 2022 ; le nombre d’occurrences augmente lentement mais sûrement. Cette augmentation est liée à celle du nombre d’exécutions en général. Il est difficile de mesurer l’impact psychologique d’une pendaison publique sur les spectateurs, en particulier les enfants. La torture fait aussi partie de la panoplie utilisée par le régime pour faire peur.

MRAM. La nouvelle d’une exécution envoie un message clair au public, mais sa vision est encore plus terrifiante. Les autorités ne seraient pas hostiles à davantage d’exécutions publiques, mais le coût politique en serait trop élevé. Elles calculent les risques et les bénéfices. Elles savent que les exécutions publiques, a fortiori dans le contexte des dernières années, suscitent la colère de la population iranienne et de la communauté internationale. La pression internationale est l’un des éléments qui peut faire faire machine arrière aux autorités, concernant par exemple le recours à la peine de mort pour les infractions liées à la drogue. La marge de manœuvre est restreinte, mais elle existe.