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France : les aménagements de peine : le "milieu fermé"

Le juge de l’application des peines (JAP) s’apprête à fêter ses 60 ans au beau milieu d’une réforme comportant un volet d’envergure en matière d’aménagement de peine, même si elle ne retouche à ce stade qu’à la marge les modalités de sortie anticipée de détention. Pour l’occasion, nous nous sommes faufilés dans une série de “débats contradictoires” au centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy…

Ici, ce sont les surveillants qui sont derrière les barreaux : ceux de la “cage” centrale autour de laquelle sont disposés les parloirs avocats aux parois vitrées. Par les fenêtres, on ne voit guère qu’un épais brouillard, recouvrant la forêt qui cerne la maison d’arrêt (taux d’occupation : 183 %), devenue centre pénitentiaire depuis l’adjonction d’un quartier de semi-liberté. Dans cette prison d’hommes, trois femmes ont pris place, pour examiner des demandes de placement sous surveillance électronique (PSE), de semi-liberté ou de placement extérieur. Ou encore de libération conditionnelle, auquel cas les trois premiers aménagements peuvent être prononcés en amont, à titre probatoire.

Il est donc question d’anticiper, pour éviter les fameuses “sorties sèches”. Originellement considérées comme de pures “mesures d’administration judiciaire”, ces décisions de sortie accompagnée sont désormais soumises au contradictoire.

En pratique, si elles sont motivées et susceptibles de recours, elles sont parfois, un peu partout en France, prises “hors débat”.

Mais, comme en témoignent les avocats en train de se chamailler sur leur ordre de passage, nous ne nous trouvons pas ici dans ce cas de figure. Dans le ressort, on n’y recourt pas en milieu fermé (en revanche, un nombre croissant d’audiences se tiennent en visioconférence depuis le tribunal de grande instance). Reposant notamment sur les “avis du représentant” (service de probation et/ou administration pénitentiaire), les débats portent (fort classiquement) sur les faits et la personnalité, avant les réquisitions du parquet et la plaidoirie de l’avocat. Sans oublier le traditionnel dernier mot, qui (tout aussi classiquement) permet souvent aux intéressés de se tirer une balle dans le pied. En maison d’arrêt, on rencontre beaucoup d’infractions “quotidiennes” (stups, conduite sans permis, violences conjugales, etc.), mais réitérées : un peu la même clientèle qu’aux comparutions immédiates, en somme. Les détenus formulent couramment plusieurs demandes en parallèle (au besoin à titre infiniment subsidiaire), et il faut passer en revue (sauf pour un PSE) un certain nombre de paramètres : reconnaissance des faits, indemnisation des éventuelles parties civiles, paiement des amendes, situation familiale, etc. Une particulière attention est portée au projet de réinsertion élaboré (ou pas) en vue de la sortie, et bien sûr au comportement en détention.

C’est compliqué de reconnaître des faits qu’on n’a pas commis

Certains détenus (ou certains avocats) tentent de profiter de l’évocation des faits pour rejouer le match perdu à l’audience de jugement. Mais en cas de discordance entre la mémoire du condamné et la décision qui l’a envoyé ici, c’est la seconde qui prime : on n’exige donc pas tant de lui la reconnaissance des faits que l’intériorisation d’une vérité judiciaire. Ce qui peut conduire à une insoluble incompréhension mutuelle, comme avec Mody, qui entre dans la salle en s’excusant platement pour sa tenue : un survêtement noir impeccable avec un écusson du “Barça”, on a vu pire. Devant la cour d’appel, il a écopé de dix-huit mois ferme pour avoir cassé une vitrine de supermarché, ce qu’il reconnaît parfaitement, de même que son alcoolisation massive. Mais aussi pour la course-poursuite qui a suivi, et qu’il nie au contraire farouchement : refus d’obtempérer, violences volontaires sur fonctionnaires de police (sans ITT… mais en récidive). Le tout avec une douzaine de mentions au casier. Il demande, dans l’ordre, un PSE, une semi-liberté ou un placement à l’extérieur. D’emblée, l’avocate coupe la JAP : quatre minutes avant que les policiers n’identifient formellement Mody comme le conducteur de la voiture en fuite, des enregistrements de vidéosurveillance montrent un autre individu l’empêcher de monter par la portière avant-gauche. Le ministère public laisse faire quelques secondes, puis intervient : “ces éléments ont déjà été débattus, au moins devant la cour d’appel”. Le comportement de Mody ne plaide pas sa cause, puisque son frère a tenté d’introduire dans la maison d’arrêt dix grammes de cannabis et une carte SIM (permis de visite suspendu). Et lui-même a refusé de se soumettre à une fouille programmée (sans doute pas sans lien avec le premier incident), et agoni par la même occasion un surveillant (“au prochain parloir, je vais te pisser dessus, je vais te chier sur la gueule”).

Au dossier, figure une promesse d’embauche, dans un snack, mais elle est problématique : la procureure note que le gérant se paie lui-même à peine un demi-SMIC, et qu’il est connu du parquet pour des faits de travail dissimulé. Elle écarte aussi d’un revers de main l’argument d’une enfant en bas âge : “votre fille était déjà née au mois de mars et, visiblement, cela n’a pas été un déclencheur pour ne pas consommer d’alcool ou ne pas commettre de dégradations”. Elle requiert dans la foulée : “Monsieur nous dit qu’il a beaucoup réfléchi, mais les faits les plus importants ne sont pas reconnus : à part ressasser une haine pour le système judiciaire, je ne vois pas à quoi il a bien pu réfléchir. Pas de garanties, pas d’amendement, un comportement problématique… je m’oppose à la demande”. Comprendre aux trois demandes. L’avocate, qui entame sa plaidoirie par “je ne vais pas revenir encore sur les faits…”, s’empresse (bien entendu) de le faire tout de même : “c’est compliqué de faire reconnaître des faits à quelqu’un qui ne les a pas commis, vérité judiciaire ou pas”. Elle ajoute que son client, théoriquement éligible à une “conditionnelle sèche”, a au moins la sagesse de solliciter une “sortie accompagnée”.

[Décision rendue : rejet de la demande d’aménagement]


Concernant ma réinsertion, mon projet personnel, vous me conseillez quoi ?

Arrive Mohammed, cheveux crépus grisonnants, sans avocat. “Vous souhaitez que cette audience se déroule aujourd’hui, ou vous préférez être assisté ?”, demande la JAP. Mohammed ne sait pas trop, alors la juge poursuit : “ce qui me pose problème, c’est que vous formulez plusieurs demandes”. Mohammed a voulu jouer la sécurité, ce qui n’est pas idiot, mais n’est en pratique éligible qu’à une mesure probatoire (à une libération conditionnelle), vu sa date de fin de peine : encore plus de dix-huit mois à tirer. Il lance : “moi, je veux une semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle”. Bonne pioche. La procureure tente de le dissuader de poursuivre : “je constate que votre demande ne s’appuie pas sur des pièces, nous n’avons pas grand-chose, notamment en termes de travail, je vais sans doute devoir demander le rejet”. Des pièces, Mohammed en a beaucoup, dans une grande enveloppe kraft qui, façon matriochkas, en renferme de plus petites, et de plus petites encore : il tend justement plusieurs photocopies à la JAP, qui se retrouve à devoir constituer le dossier elle-même. Elle en tire donc les conclusions : “je comprends que vous souhaitez que l’audience se tienne aujourd’hui…”.

Avec douze mentions au casier, Mohammed a pris quarante mois ferme en correctionnelle, ramenés à trente-six mois en appel (ce qui reste un quantum peu courant en maison d’arrêt). Pour 350 €, il aurait fait le guet pendant que trois amis cambriolaient une boulangerie. Les quatre ont reconnu se trouver dans les parages (ce qui tombe bien, puisque leurs téléphones ont borné), mais chacun a minimisé à la fois son propre rôle et ceux des autres.

La reconnaissance des faits est donc une nouvelle fois problématique : “je reconnais… que j’ai été dupé, on m’a dit d’attendre, et je me suis retrouvé dans une histoire où je ne savais pas où elle allait”. Mohammed ajoute, comme si cela allait changer quelque chose : “d’ailleurs, on avait demandé la relaxe”.

Le rapport du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), qui date de seulement trois jours, ne mentionne aucun classement pour du travail (et celui de l’administration pénitentiaire évoque tout juste une demande en cours), mais lui affirme officier depuis plusieurs semaines à la “cantine” : son bleu de travail semble en attester. Il a suivi des cours de langues, mais n’a eu aucune visite récente et ne reçoit jamais de mandat (administrativement parlant, il est “indigent”, et reçoit donc de l’administration une obole de 20 € par mois). Il a aussi près de 5 000 € d’amendes à régler (“je ne pourrai jamais payer cash, ça c’est sûr…”).

Avant son incarcération, il a changé plusieurs fois de résidence, et la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), qui n’a pas voulu s’embêter, a résumé sa situation par la formule suivante : “a déclaré vivre entre son domicile, celui de sa mère et celui de sa compagne”. Ce n’est pas bon pour lui, en plus d’être inexact. La juge passe donc de longues minutes à démêler la situation, en reprenant un à un les justificatifs, avant de passer au comportement en détention. Dans les rapports, il est question d’une tentative de suicide, dès le quartier arrivants : “je n’étais vraiment pas bien”.

“C’est votre deuxième incarcération”, s’étonne la JAP, comme si cela excluait tout choc carcéral : “pas du tout pour les mêmes faits”, précise Mohammed.

Il compte appuyer sa demande sur l’aide dont sa femme, rongée par un cancer, a besoin au quotidien : «“elle est handicapée à 85 %, on a réussi à avoir un enfant ensemble, mais… c’est devenu encore plus compliqué ensuite”. La “participation essentielle à la vie de famille” est bien une condition de recevabilité selon le code. Sa mère, retraitée, est repartie en Tunisie et ne peut donc s’en charger. Et puis, les amis, “on ne peut pas compter dessus, parce qu’ils ont leur vie aussi”.

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