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Source : Libération
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La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, présente ce mercredi son futur “code pénal des mineurs” en Conseil des ministres. Les syndicats de magistrats craignent une primauté du répressif sur l’éducatif et dénoncent, avant tout, un manque de moyens et d’effectifs.
La chancellerie fait sa rentrée avec une réforme de la justice des mineurs élaborée au pas de course et présentée en Conseil des ministres ce mercredi. Selon ses maîtres mots, “efficacité” et “simplicité”, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a décidé de mettre de l’ordre dans un texte fondateur, volontiers qualifié de “mille-feuilles législatif” : l’ordonnance du 2 février 1945, entrée en vigueur juste après la Libération.
Elle pose trois grands principes pour régir le sort des mineurs en conflit avec la loi : l’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge, le primat de l’éducatif sur le répressif et le recours à des juridictions spécialisées.
“La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains” , expose ainsi le préambule. Sauf qu’un empilement de réformes successives - 39 exactement depuis 1945 - en a considérablement atténué la lisibilité. Le magistrat et essayiste Denis Salas analyse cette frénésie législative comme la conséquence d’une évolution des représentations de la délinquance des mineurs : “En 1945, tout délit d’un enfant était perçu comme le symptôme de difficultés psychologiques ou familiales. Néanmoins, durant les années 80, un basculement s’est opéré, on a commencé à se focaliser sur la criminologie de l’acte et la réponse pénale. Avec cette idée de la tolérance zéro. Et à chaque fois, on a remis l’ordonnance sur le métier…” Jusqu’à, selon lui, arriver à une scission profonde entre une vision politique qui porte l’accent sur le sécuritaire et les professionnels du secteur qui tentent de maintenir le primat de l’éducatif. Denis Salas prend pour exemple cette image saisissante des lycéens de Mantes-la-Jolie agenouillés au sol et l’absence de réaction gouvernementale comme “symbole de cet imaginaire de l’adolescent dangereux”.
“Un texte sans âme ni philosophie”
Faut-il réformer un texte que l’on taxe justement d’avoir été trop modifié ? Les professionnels interrogés par Libération semblent unanimes : il est nécessaire d’en améliorer la lisibilité. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’un garde des Sceaux s’attelle à la tâche. Ces dernières années, Christiane Taubira ou Jean-Jacques Urvoas avaient eu la même ambition… qui s’était soldée par un échec, les différents projets atterrissant dans les limbes législatifs. C’est sans doute pour éviter cet écueil que la ministre de la Justice a décidé, le 21 novembre 2018, en plein débat sur la réforme de la justice, de procéder par ordonnances. Reste que l’annonce, à la fois coup de théâtre et coup de force, a provoqué le mécontentement.
“Il n’était vraiment pas nécessaire de recourir à une procédure d’urgence. Quand on travaille sur un texte aussi fondateur, il faut se laisser le temps. Là on passe par ordonnances et on prévoit un an de réflexion après le vote. Ce n’est pas cohérent”, réagit Lucille Rouet, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, juge des enfants à Paris et ancienne procureure au parquet des mineurs de Bobigny. Pragmatique, Laurent Gebler, président de l’association des magistrats de la justice et de la famille, exerçant comme juge des enfants à Bordeaux, soupire : “De toute façon, quand ça passe par le circuit classique, ça finit par être abandonné.” Concrètement, le texte sera présenté et débattu au Parlement pour être ratifié, sans que l’on sache exactement dans quels délais.
“Un toilettage”
Que proposent donc les 65 pages du “code de la justice pénale des mineurs” ? “Ce n’est pas le grand soir, c’est surtout un toilettage”, présente-t-on à la Chancellerie. “Un texte sans âme ni philosophie”, résume de son côté Lucille Rouet. L’article préliminaire liste sobrement les trois grands principes de la justice des mineurs. Quant aux nouveautés, elles se focalisent sur le volet pénal - soit le répressif - et ne concernent pas la protection de l’enfance. “Ce que je trouve dommage, c’est qu’on rate une occasion de faire une vraie réforme, d’élaborer un droit de l’enfance avec des mesures spécifiques concernant le pénal, le civil, le social. D’ailleurs, le texte ne parle jamais d’enfance mais de “mineurs”, ça a un sens”, s’agace Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF). “Pour autant, on ne peut pas y voir un durcissement”, considère Laurent Gebler. La première mesure est avant tout symbolique : l’irresponsabilité pénale pour les enfants de moins de 13 ans. Actuellement, un auteur d’infraction en dessous de cet âge peut écoper d’une mesure éducative si le juge le considère capable de discernement. La décision se prend au cas par cas. Dans le nouveau code pénal, il sera écrit qu’il est présumé irresponsable pénalement et ne pourra donc pas être poursuivi. Pour autant, ce n’est pas un principe rigide car l’irresponsabilité pénale est simple et non irréfragable.
Il appartiendra toujours au juge d’estimer si le délit ou le crime commis l’a été avec discernement, et le cas échéant de prononcer une mesure éducative. “Une mesure d’affichage qui ne change pas véritablement le droit actuel”, estime le SM.
Le vrai bouleversement tient plutôt dans l’idée (guère nouvelle, elle était déjà envisagée par Taubira) de créer une césure dans le procès pénal. Désormais, pour les affaires simples et de nature délictuelle, ce qui constitue la majorité des dossiers, il n’y aura plus de phase d’instruction et de mise en examen. De quoi régler au passage le problème de la double casquette d’un magistrat qui instruit et qui juge (censuré par le Conseil constitutionnel en 2011). Selon le nouveau fonctionnement, dans un délai de trois mois après la commission de l’infraction, un jugement sera prononcé sur la culpabilité du mineur et la partie civile pourra être indemnisée. “Jusqu’à présent, c’est un juge des enfants qui décidait si un mineur était jugé en cabinet ou devant un tribunal pour enfants. Désormais, cette décision reviendra au procureur, déplore Laurence Roques. Ce n’est pas du tout anodin, c’est une façon de ramener le droit des mineurs vers le droit commun, de supprimer la spécificité du juge des enfants.”
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