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France : dans les parloirs de Fresnes

Les familles qui viennent voir leurs proches détenus en ont ras-le-bol. En cause, notamment, l’état déplorable des locaux destinés aux visites.

Maison d’arrêt de Fresnes, il est 12h30. Pour se rendre aux parloirs, il faut dépasser les barrières qui obstruent l’accès au vaste domaine pénitentiaire. Tourner à droite et prendre l’allée bordée d’arbres qui longe l’hôpital de la prison. On atteint finalement ce qui ressemble à une petite excroissance recouverte de crépi gris contre l’imposante enceinte de la maison d’arrêt des hommes. Derrière les portes métalliques blanches, une pièce sombre équipée de quelques bancs sommaires, de dizaines de casiers et de quatre grosses bornes tactiles bleues.

Une heure avant les parloirs, les proches commencent à déposer les sacs d’affaires pour les détenus. C’est un drôle de manège qui débute. Brice* est venu chargé : “C’est l’hiver qui arrive, mon frère va avoir besoin de pulls et de vêtements chauds”.

Le maton soupèse le sac :
– Il est trop lourd, il faut en retirer.
– Vous avez une balance ?
– Non. Mais c’est trop lourd, c’est tout.

Dépité, Brice sacrifie les serviettes.

Devant le bâtiment, Brice attend sa belle-sœur et ses deux nièces car le nombre de visiteurs est limité lors des parloirs, Brice, ne peut donc y participer. Son frère est incarcéré à Fresnes et il vient le voir au parloir une fois par semaine. Solidarité familiale oblige. Le jeune homme a lui aussi fait de la prison, six ans passés derrière les barreaux. Il nous briefe : « Fresnes c’est particulièrement sale. Les parloirs sont minuscules. Si t’es claustro, oublie. Les toilettes sont franchement immondes. Je vais vous montrer ». Il tient à ce que l’on voit le lieu en question. Effectivement la pièce ne fait pas rêver. « Après, elles sont toujours plus grandes que les parloirs », remarque-t-il avec une pointe de cynisme.

À Fresnes, les parloirs se déroulent dans de minuscules boxs souterrains d’environ 4 m². On y enferme le détenu et son visiteur durant 45 minutes. Sept requêtes déposées par des détenus de la maison d’arrêt de Fresnes sont actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans les témoignages qui soutiennent leurs requêtes, consultés par VICE, les prisonniers parlent de pièces sales qui « ressemblent à des caves » et « sentent l’urine ».

Contactée par VICE, l’administration pénitentiaire semble consciente du problème : « On est sur des logiques qui ne correspondent plus au standard européen. C’est une prison qui était extrêmement moderne à sa construction, mais on est à la fin d’un cycle ». Il était temps. Fresnes a été construite en 1898. « On n’est plus du tout sur les mêmes standards qu’il y a près de cent ans », nous rassure-t-il. Les détenus continuent malgré tout de recevoir leurs visites dans ces espaces centenaires. « On a essayé de les rendre les plus humains possible. Mais bon, la pièce reste ce qu’elle est. Elle est petite et pas nécessairement très agréable ».

« Ils ne nettoient pas entre chaque visite. Parfois il y a des préservatifs ou du sperme dans la pièce » – Nafouante, sœur d’un détenu

Fresnes n’est pas une prison comme les autres. C’est ce que nous confirme François Bes, responsable du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons : « À Fresnes il y a une conjonction de choses merdiques : la taule est pourrie, les parloirs sont pourris, il y a une ambiance de tension générale, c’est l’une des prisons les plus surpeuplées, il y a des problèmes chez les surveillants… C’est des problèmes qu’on retrouve partout, mais à Fresnes c’est concentré ». Cette agrégation de difficultés n’est pas sans conséquence sur les détenus et leurs proches. Elle envahit chaque parcelle de leur vie.

« Vous voulez que je vous parle des parloirs ? Ben déjà, c’est dégueulasse ! », nous assène d’emblée Nafouante quand nous la rencontrons dans la petite allée près de l’enceinte. Elle sort d’un parloir avec son petit frère qui a pris trois ans de prison ferme. « Ils ne nettoient pas entre chaque visite. Parfois, il y a des préservatifs ou du sperme dans la pièce. Vous imaginez des gosses là dedans », bondit-elle.

Même pour les initiés, chaque parloir est un parcours du combattant qui démarre dès la réservation. « On est obligé de venir réserver les parloirs à la borne. Il y a un numéro de téléphone, mais personne ne vous répond jamais » détaille Nafouante. VICE a tenté de joindre ce numéro à plusieurs reprises, sans succès. « Quand la borne ne fonctionne pas, vous faites des allers-retours pour rien », poursuit-elle. « Les pannes sont ponctuelles, mais fréquentes une peu partout en France », appuie François Bes. Deux bornes sur les quatre fonctionnent ce jour-là. Une chance.

Nafouante s’insurge : « Les matons nous parlent comme à des chiens. On a l’impression de subir la vengeance de ces types ». Un climat délétère qui ne doit rien au hasard, mais à une culture de la discipline comme nous l’explique François Bes : « C’est aussi une tradition à Fresnes. Avant, c’était une prison ultra-sécuritaire. Cette tradition ultra-dure est restée, elle est transmise par les vieux surveillants aux jeunes ». Le climat est difficile et la tension palpable entre les matons et les familles qui se sentent suspectées en permanence. « On ne voit pas forcément ça dans les autres prisons où les surveillants des parloirs sont triés sur le volet. Ils sont fermes, mais gentils, sociables, et toujours prêts à renseigner » poursuit François Bes, l’enquêteur de l’OIP. « On a l’impression qu’à Fresnes, ils ne font pas tellement gaffe sur les surveillants qu’ils choisissent ».

toutes les doléances de sa copine. Elle a fait la route depuis Montpellier. Son ex petit ami est incarcéré depuis six ans. « C’est sa première fois, alors je l’ai accompagnée pour lui montrer comment tout ça fonctionne », nous dit Nafouante. Les deux filles ne se connaissaient pas il y a une heure.

La toute première fois au parloir de Fresnes se révèle une véritable épreuve psychologique. Alicia en est restée tétanisée : « Ça me faisait peur, j’étais très stressée, j’en avais carrément mal à la tête. Arrivée au deuxième couloir, je suis restée là. Je n’arrivais plus à avancer ». Les surveillants ne parviendront pas à lui faire entendre raison et Nafouante devra intervenir pour que la jeune femme retrouve son sang-froid. Des moments forts que la plus grande relativise : « Ça se fait très facilement, on est tous dans la même galère ».

« Souvent, les familles discutent et se rencontrent au parloir et il y a une alchimie qui opère », confirme Kevin. « C’est con à dire, mais c’est magique ». Le jeune homme paraît serein alors qu’il franchit avec sa compagne la sortie du domaine pénitentiaire les bras chargés de linge refusé par l’établissement. À 26 ans, il a déjà été incarcéré et semble accueillir avec diplomatie les turpitudes de l’administration pénitentiaire. Il poursuit : « On est très solidaire, les gens savent qu’ils vont se revoir et on échange beaucoup d’informations ».

« Vous rentrez où madame ? On peut vous déposer ? », lance un jeune homme à une vieille maman qui sort péniblement de son parloir. La vieille dame est aussitôt délestée de son sac de linge et s’éloigne avec son chauffeur. Kevin confirme l’étendue de cette pratique : « À force de se croiser, les gens savent d’où viennent les autres et ils se déposent ».

La solidarité trouve aussi sa source à l’intérieur de la prison. « Aujourd’hui, je ne reconnais pas le linge de mon frère, remarque Nafouante quand elle jette un œil aux affaires qu’elle vient de récupérer. Il a dû mettre celui de son codétenu, ça ne pose pas de problème ». Certains détenus indigents ou trop éloignés géographiquement de leurs familles ne peuvent compter que sur la solidarité de leurs compagnons d’infortune. « Quand la famille d’un détenu ne sait même pas qu’il est incarcéré, il faut bien qu’il se débrouille pour laver son linge », renchérit une jeune femme venue voir son copain. Pour les moins bien lotis, une seule alternative : cantiner de la lessive et laver son linge dans le lavabo de la cellule.

Avant chaque parloir les familles sont fouillées, l’administration de la prison de Fresnes va jusqu’à utiliser régulièrement des chiens. « Moi j’ai peut-être de la chance avec les matons, je fais profil bas. Mais je les vois faire… Ils obligent les mamans à enlever leurs soutifs à cause des armatures, etc. », nous lâche Ali, un grand sec de 42 ans qui en parait dix de moins. De son côté Nafouante accepte cette procédure à contrecœur. « J’ai du mal à supporter tout ça, mais je sais que ce n’est rien comparé à ce qu’ils font vivre à mon frère ».

Le calvaire que vivent les familles aux parloirs n’est qu’un pale reflet de ce qui se déroule à l’intérieur de la forteresse de Fresnes. Interface entre l’univers carcéral et le monde extérieur, les parloirs sont une fenêtre par laquelle s’engouffre le climat anxiogène de la prison pour jaillir brutalement sur leur proche.

À Fresnes certains détenus sont systématiquement fouillés à nu après les parloirs. « On nous oblige à enlever nos caleçons et montrer nos parties intimes. Si tu refuses, on te jette au mitard », se plaint un détenu dans sa requête devant la CEDH. Un autre requérant détaille : « Les fouilles sont faites dans une salle d’attente transformée. Il y a quatre surveillants et quatre boxs ouverts. On se déshabille, on passe nos vêtements et chaussures au surveillant. On se retourne et on lève les jambes ».

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