France : "à chaque fois, il a fallu tout reconstruire"

Ce qui a été le plus difficile lors de ma première incarcération c’est la surprise. Je savais qu’il y’avait une procédure judiciaire en cours et je savais qu’à cette condamnation pouvait être assortie une peine de prison, mais à aucun moment je pensais que j’allais être placé en détention provisoire à l’issue de ma garde à vue. Je ne m’y attendais pas et donc forcément aucun de mes proches non plus. Je ne saurais pas dire le choc que ça a été pour eux à ce moment-là, d’avoir à vivre cette réalité. Mes enfants étaient jeunes, ils avaient 12 et 14 ans. Ça a été une période particulièrement difficile mais aussi parce que les choses sont rendues lourdes et compliquées. C’est compliqué pour les proches notamment en raison des disfonctionnements de l’administration judicaire et pénitentiaire. Il serait temps d’imaginer des processus beaucoup plus rapides.

Lors du placement en détention, il y a une procédure qui permet de faire enregistrer des numéros de téléphone qui peuvent être appelés depuis la prison. Mais cette procédure, dans les faits, prend six à huit semaines. Cela signifie que pendant tout ce temps, il n’y a aucune possibilité de joindre l’extérieur, hormis via le courriel postal ou par les avocats. Il est donc impossible d’amortir le choc de l’incarcération et de la séparation en se parlant.

J’ai été chanceux, j’ai été incarcéré à 45 ans, donc j’avais un certain vécu derrière moi. Mais j’étais entouré de gens qui avaient la vingtaine, qui n’avaient pas le même recul et qui ont vécu très difficilement la rupture. Il ne s’agit pas de réparer quoi que ce soit mais quand on est à l’intérieur, c’est important de pouvoir maintenir le lien, pouvoir expliquer, d’une certaine façon, accompagner ceux restés à l’extérieur. Or tout cela est impossible pendant les premières semaines, voire mois de détention.

J’ai beaucoup communiqué par voie épistolaire lors de ma première incarcération. J’ai écrit à mes proches dès les premiers jours. Il était essentiel pour moi, notamment vis-à-vis de mes enfants, de les libérer du poids des émotions qu’ils pouvaient ressentir. Quand on est un enfant, on pense qu’on doit aimer et admirer ses parents de façon inconditionnelle. On n’a pas forcément encore la maturité ou le recul nécessaire pour être en mesure de trier les émotions qui nous parviennent. Je comprenais donc qu’à ce moment-là mes enfants pouvaient être en colère contre moi.

Je trouvais important de les libérer de ça, de leur dire que c’était normal et légitime qu’ils m’en veuillent, ou qu’ils ne comprennent pas comment j’avais pu les mettre dans cette situation. Qu’ils avaient le droit de ressentir tout cela.

Je savais que mon absence allait engendrer de nombreuses contraintes notamment économiques. Je ne voulais donc pas que s’ajoutent à cela des difficultés émotionnelles pour les enfants, qu’ils se sentent coupables d’une manière ou d’une autre. Les lettres ont donc pris beaucoup d’importance, on a pu établir une relation épistolaire assez riche et qui a permis de maintenir le lien. Au départ, l’exercice de l’écriture manuelle s’est révélé assez compliqué. J’appartiens à une génération qui n’a plus l’habitude d’écrire. Mais je l’ai beaucoup fait lors de ma première détention. J’étais assez isolé donc j’avais beaucoup de temps pour écrire. C’était différent pour ma seconde incarcération : comme j’avais mes proches quotidiennement au téléphone, je n’ai quasiment jamais écrit.

Mes enfants ne sont jamais venus au parloir. Je les ai encouragés à ne pas venir. Ma femme, est venue une fois. À Fresnes les parloirs ne sont pas nommables. À Fleury-Mérogis, les conditions sont un peu meilleures, c’est plus propre mais ça reste des parloirs. Comme on parvenait à maintenir le lien autrement, c’était important pour moi de les dégager de ça, de ne pas leur imposer les trajets, les visites, etc.

Au moment de mon incarcération, nous étions temporairement logés chez une de mes tantes. Ma femme a, après quelques semaines de réflexion, fait le choix de retourner dans sa famille, à Bruxelles. C’était une décision importante car cela nous éloignait considérablement mais aussi parce que cela signifiait qu’elle quittait le territoire français. Lorsque je suis sorti sous bracelet électronique, j’avais besoin d’une adresse en France. J’ai donc conservé cette adresse d’affiliation chez ma tante. Mes enfants sont venus me voir plusieurs fois. C’est toujours curieux, toutes ces choses qu’on impose à ses enfants. C’était leur nouvelle réalité. J’ai gardé le bracelet six mois puis j’ai été placé sous contrôle judiciaire et toute la famille est revenue en France.
J’ai été réincarcéré plusieurs années après, à l’issue du procès. Ma femme s’est retrouvée, une nouvelle fois, avec un mari en détention et sans revenu. Les enfants et elle sont retournés s’installer en Belgique.

Chaque détention a conduit à des déménagements, des interruptions économiques. Et à chaque fois il a fallu tout reconstruire. La prison est plus difficile pour les proches que pour les personnes en détention. Quand on est en détention, la vie est simple. À l’extérieur, tout est compliqué, il faut gérer les problèmes ordinaires de la vie, tout ce qui est lié à la détention, gérer les émotions et les difficultés qu’engendre l’éloignement. Pourtant, à ma connaissance, il n’y a aucun accompagnement qui est proposé pour les personnes à l’extérieur.

Rien ne s’est miraculeusement réglé à ma sortie. J’avais – j’ai toujours d’ailleurs - des dettes colossales, en plus d’être interdit d’exercer un certain nombre d’activités. C’est une nouvelle configuration économique imposée indirectement aux proches, qui doivent, en particulier ma femme, se projeter dans une nouvelle réalité. Tout cela créé nécessairement des tensions. Il faut aussi accueillir et recevoir le jugement des autres. Ma famille m’a beaucoup soutenu et accompagné. Ça a été beaucoup plus compliqué avec mon beau-père. Ce genre de situation met forcément sous pression la famille. Mon fils ainé a très mal vécu cette période. Aujourd’hui encore, ce n’est pas réglé. Ça crée des difficultés durables sur lesquelles il est important de communiquer, d’échanger.

Même quand le lien est fort, la communication peut être rendue plus difficile alors quand le lien est déjà affaibli, j’imagine à quel point les choses peuvent rapidement se détériorer.

Mon couple est passé, une fois ou deux, pas loin du point de rupture. Pas tant du fait de la détention mais plutôt en raison de ce que j’avais pensé être une grande partie de ma vie et de ce sur quoi s’était construit mon couple. Mais ça fait partie de mon histoire, notre histoire. Soit on arrive à vivre avec ça, construire à partir de ça, soit on n’y arrive pas et il faut en prendre acte et faire différemment. Je n’ai pas laissé les non-dits s’installer et miner les relations avec ma famille. On n’a jamais cessé de communiquer et ça nous a permis d’avancer et de construire. On porte longtemps les conséquences de cette interruption de vie qu’est la détention. En revanche, je ne pense pas que cela ait impacté particulièrement mes relations, c’est une expérience, presque comme une autre.