ACAT Côte d’Ivoire. Les femmes et les enfants représentent une minorité de la population carcérale ivoirienne. Les raisons de leur incarcération sont variées. Les femmes sont majoritairement emprisonnées pour des infractions relatives à la possession ou la vente de drogue, ou pour enlèvement d’enfants.
Ces motifs d’incarcération s’expliquent en partie par la situation de grande vulnérabilité économique des femmes en Côte d’Ivoire. Ces dernières commettent des infractions pour subvenir à leurs besoins. Elles sont souvent le dernier maillon de chaînes de trafic à grande échelle. C’est le cas pour la vente de drogues par exemple. Les femmes revendent de petites quantités de drogue sur le marché, comme un petit maillon au sein de réseaux de trafic bien plus importants. Seulement, elles sont en première ligne. Comme il est difficile de remonter les réseaux, ce sont elles qui sont poursuivies et arrêtées.

Les enlèvements de mineurs relèvent de deux cas de figures. Le plus souvent, les femmes se trouvent en bout de file d’un réseau international de traite d’enfants ou de trafic d’organes. Celles-ci sont repérées dans la rue par les trafiquants qui traquent leur désœuvrement et leur vulnérabilité, et tentent alors de les attirer dans leurs filets. L’objectif est qu’elles se chargent des tâches les plus risquées, par exemple déposer un enfant à un endroit. Ces femmes ne savent bien souvent pas dans quoi elles s’engagent. Comme pour la drogue, les filières sont difficiles à remonter, et ce sont ces dernières qui se retrouvent en détention. Le deuxième cas de figure est intrafamilial : lors d’un divorce, la femme retourne parfois dans sa famille avec son enfant, en faisant fi des procédures légales. Cela constitue un enlèvement aux yeux de la loi. C’est une infraction que nous analysons comme sexo-spécifique : dans 90 % des cas, ce sont des femmes qui en sont accusées.

Les mineurs sont, quant à eux, majoritairement inculpés pour des faits de vol aggravé et de viol. La majorité d’entre eux sont placés en détention provisoire et n’ont pas de contact avec leur famille. La durée de cette détention est rarement en corrélation avec l’infraction commise, car le juge doit entrer en contact avec les parents avant de libérer un mineur. Très souvent, c’est parce qu’on n’arrive pas à mettre la main sur les parents qu’on ne peut pas relâcher les enfants. Lorsque les parents ne répondent pas aux convocations, le juge à l’obligation de ne pas laisser l’enfant dans la rue. Il demeure donc détenu sans autre raison, parfois pour une longue période.

ACAT CI. L’incarcération des femmes et des mineurs a des conséquences dévastatrices pour la société. En Côte d’Ivoire, les femmes sont bien souvent le pilier de la famille. Elles veillent à la bonne scolarisation des enfants et assurent la survie économique du foyer. Cela est flagrant dans les familles de parents divorcés : si l’enfant est placé avec son père, il se retrouvera, dans la plupart des cas, livré à lui-même. Les pères portent souvent peu d’intérêt à la scolarité de leur enfant, ainsi qu’à leurs fréquentations. Incarcérer une femme, en particulier une mère, est donc extrêmement préjudiciable non seulement pour elle, mais également pour la survie du foyer. Les juges ne semblent pourtant pas prendre en compte cet aspect lorsqu’ils placent des mères de famille derrière les barreaux. Leurs enfants se retrouvent sans personne pour veiller sur eux.

Les mineurs qui se retrouvent en prison sont souvent en situation d’isolement. Notre étude souligne que près de la moitié des garçons et des filles ne vivaient pas avec leurs deux parents avant d’être placés en détention. La délinquance et l’entrée en prison sont souvent perçues comme un opprobre jeté par les jeunes sur leur famille. Nous nous battons pour que les enfants puissent se réinsérer, mais le regard que leur famille porte sur eux vient parfois entraver nos actions. Nous avions, par exemple, trouvé une formation de mécanique pour un jeune. Le juge acceptait qu’il soit libéré s’il suivait cette formation, mais son père a refusé de la financer. Il voyait son fils comme un voleur et considérait qu’il ne méritait pas un tel traitement.
La détention vient inévitablement aggraver la solitude des mineurs. Ils n’ont que peu de visites, et la prison devient leur deuxième famille. Nous avons rencontré un jeune à Abidjan qui a commis un délit le jour de sa libération pour pouvoir être de nouveau placé en détention. Quand nous lui avons demandé pourquoi, il a expliqué : “Dehors je suis rejeté par ma famille et mes amis. Ici au Centre d’observation pour mineurs (COM), j’ai mes amis et mes frères, c’est là que je me retrouve”.

ACAT CI. Il n’existe, dans la plupart des établissements, aucune cellule dédiée aux femmes qui gardent auprès d’elles leur enfant. La seule exception concerne la prison d’Abidjan. C’est pourtant une exigence internationale. Les mères avec leur enfant sont donc détenues avec les autres femmes. Elles ne bénéficient d’aucun aménagement spécifique, que ce soit au niveau du dortoir ou du régime alimentaire. Si le père de l’enfant est à l’extérieur, l’enfant est habituellement placé auprès de lui. En pratique, cela ne va pas sans difficulté car l’administration peine souvent à identifier la famille. Pour éviter qu’il soit livré à lui-même, l’enfant est souvent amené à rester avec sa mère.

Nous avons par exemple suivi une femme qui est entrée en détention lorsqu’elle était enceinte. Elle y est restée trois ans. La petite a passé les trois premières années de sa vie en prison. Lorsqu’elle devait se rendre dans le bureau du régisseur avec sa mère, elle disait “c’est ici Abidjan ?”. Elle n’avait jamais rien vu d’autre que la prison.

Les filles mineures ne bénéficient pas non plus de cellules dédiées. Elles sont mélangées avec les détenues adultes, sauf à la prison d’Abidjan. Filles et femmes partagent la même promenade et les mêmes horaires, mangent dans la même assiette, subissent le même traitement.

Au sein de chaque prison, il existe un Service de la protection judiciaire de l’enfant et de la jeunesse (SPJEJ) qui prend en charge les mineurs. Il n’y a en revanche pas de différence s’agissant des conditions matérielles de détention. La scolarisation des mineurs incarcérés est un défi que l’ACAT s’attache à relever. En Côte d’Ivoire, l’école est obligatoire de six à 16 ans. Beaucoup de jeunes qui ont l’âge d’être au collège sont détenus. Hormis quelques modules d’alphabétisation et l’accès à une bibliothèque dans treize prisons, les jeunes ne peuvent pas suivre de cours. Si un mineur sort de détention après ses seize ans, il ne pourra pas reprendre ses études, sauf si ses parents acceptent de les financer.

Nous parvenons, de manière exceptionnelle, à inscrire quelques jeunes à des examens. Lorsqu’ils passent leurs épreuves avec les autres élèves, ils sont entourés de surveillants pénitentiaires. C’est extrêmement humiliant. Généralement, ces jeunes n’ont pas pu réviser en prison, il est donc rare qu’ils réussissent leurs examens.