Canada : des vacances au camping, près de la prison

Émile, notre fils, a toujours été un enfant anxieux. Il a commencé à consommer de la drogue quand il avait 13 ans. Il a arrêté l’école avant de finir son secondaire. Avec les années, ses psychoses se sont empirées et il consommait de plus en plus. Nous avons toujours été là pour lui, nous avons payé ses dettes, essayé de l’accompagner mais nous étions impuissants. Sa conjointe souffrait, elle aussi, de dépendance aux produits. Ils ont eu deux filles jumelles ensemble. Nous savions que ça n’irait pas bien, et ils ont fini par se séparer. Nous avons accueilli les filles à temps plein quand elles avaient un an. Aujourd’hui, elles vont avoir 13 ans et elles sont toujours avec nous. Elles nous ont été confiées jusqu’à leur majorité. Au départ, leur mère avait un droit de visite mais après deux ans et demi, elle a cessé de venir les voir.

Émile a été incarcéré en 2016. Il a d’abord passé près d’un an dans une prison provinciale, en attendant son procès. À ce moment-là, il n’avait pas vraiment abandonné sa consommation. Ce n’était vraiment pas agréable de l’avoir au téléphone, alors nous avons mis fin aux échanges. Pendant trois mois, nous avons coupé les liens. Quand nous avons repris contact, il allait mieux, même s’il consommait toujours.

Au départ, nous ne voulions pas que les filles visitent leur père, car cela ne pouvait se faire qu’à travers une vitre. Émile a été transféré à plusieurs reprises dans différents établissements. C’était une période compliquée pour nous. À chaque fois qu’il changeait de prison, cela impliquait des coûts. Quand il nous appelait, c’était toujours à nos frais, ça coutait excessivement cher.
Il a finalement été envoyé, après son procès, dans une prison de sécurité moyenne, à environ deux heures de chez nous. L’arrivée dans cet établissement nous a coûté près de trois mille dollars : c’est nous qui avons payé toute une série d’objets pour son arrivée. La radio, le ventilateur, ça va vite. Notre fils a été chanceux, parce que ceux qui n’ont pas les moyens ne peuvent pas se permettre de dépenser une telle somme.

Il s’est écoulé presque un an entre l’incarcération d’Émile et l’autorisation de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) nous permettant d’amener les filles au parloir. Quand le moment est arrivé, cela faisait presque deux ans qu’ils ne s’étaient pas vus. C’était chargé d’émotion. Quand nous étions sur le point de partir, une des filles pleurait. Un surveillant s’est approché d’elle et lui a dit : “tu as le droit de pleurer, d’avoir de la peine mais tu sais, ton papa il va s’en sortir”. Ça l’a consolé, qu’il lui dise ça. C’est là qu’on se rend compte qu’il y a de bons gardiens et de moins bons. Ce qui est dommage, c’est que les moins bons nous affectent beaucoup, parce qu’on se sent visé. En tant que proches, nous sommes considérés comme des parias de la société, comme si nous étions responsables de ce que notre proche incarcéré a fait.

Émile a été renvoyé de cet établissement. Il continuait de consommer à l’intérieur et a été pris pour trafic de drogue. Il a été automatiquement placé dans une prison de sécurité maximum. Ça ne s’est pas bien passé. Il a donc demandé à être transféré, et il s’est retrouvé dans un établissement qui se trouve à plus de dix heures de chez nous. Nous n’y sommes pas allés souvent, seulement l’été. Nous avons, par exemple, pu bénéficier d’une roulotte¹ avec lui. Ça s’est très bien passé. C’était super de pouvoir se retrouver avec lui, pendant trois jours : un père, ses filles et les grands-parents.

Puis, en mars 2020, la Covid-19 est arrivée. L’accès aux roulottes était suspendu mais nous avons décidé de faire quand même le voyage durant l’été. Nous étions dans un camping, pas très loin de l’établissement. Les visites étaient possibles, mais nous ne pouvions pas nous toucher et il fallait porter un masque. Les filles pleuraient beaucoup, et leur père aussi. Il aurait voulu les prendre dans ses bras mais il ne pouvait pas. C’était vraiment minimal. Nous sommes restés huit jours et nous avons pu le voir deux fois pendant environ deux heures, pas plus. Le chemin du retour a été dur car nous savions qu’il faudrait attendre un an avant de se revoir. Nous y sommes retournés l’été suivant, en 2021. Il y avait toujours des mesures restrictives mais nous pouvions le voir tous les jours, nous avions plus de temps. En revanche, aucune place n’était disponible dans les campings proches de la prison donc il fallait faire plus d’une heure de route pour s’y rendre, matin et après-midi. C’était très fatigant. Ça a été des vacances épuisantes sur tous les plans. Nous n’y sommes pas allés en 2022, car nous savions qu’il allait sortir à l’automne. Et nous avions envie de voir d’autres choses avec les filles.

Nous avons toujours fait passer le bien-être des filles en premier. Notre fils a commis des erreurs, il est normal qu’il paye pour ça. Mais on ne l’a jamais empêché d’accéder à ses filles, bien au contraire. Il a toujours fait ce qu’il fallait avec elles, même avant son incarcération. Quand il se disputait avec sa nouvelle conjointe et que les filles étaient là, il nous appelait pour qu’on aille les chercher et qu’elles n’assistent pas à ça. Il les a toujours protégées. Il a toujours gardé un contact positif avec les filles. En dehors des visites, elles le voyaient en visio une fois ou deux par mois et il les appelait trois à quatre fois par semaine minimum.

Quand il était en détention, nous lui avions envoyé des photocopies de jeux. Les filles et lui pouvaient jouer ensemble au téléphone. Il bougeait son pion ou mettait des jetons et, de notre côté, nous faisions pareil. Il nous arrivait aussi de jouer à la bataille navale.

Il faisait régulièrement les leçons avec les filles. Nous donnions à Émile les mots qu’elles devaient apprendre ou des leçons d’orthographe, et lui les interrogeaient. Les filles ont gardé un très bon lien avec le père.
Il est actuellement dans une maison de transition, en libération conditionnelle à environ deux heures de voiture de chez nous. Tout se passe bien, il fait ce qu’il faut. Nous avons obtenu les autorisations nécessaires donc nous pouvons aller le voir avec les filles et il peut venir passer le week-end chez nous. Nous nous sommes entendus sur une fois par mois, au-delà, cela bouleverse l’équilibre familial. Il doit aussi prendre conscience qu’elles ont grandi, qu’elles ont leur propre vie. Nous lui avons par exemple expliqué que quand elles marchent dans la rue, elles n’ont pas envie que leur père leur tienne la main. Ce sont des préadolescentes maintenant ! Notre priorité c’est la protection des filles, puis, bien entendu, nous souhaitons que notre fils s’en sorte. Et ça passe par ses filles, c’est sa raison de vivre.