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France : un certificat de sortie de délinquance pour jeunes détenus

Les instances pénitentiaires du Maine-et-Loire ont mis en place un programme venu du Québec pour aider de jeunes multirécidivistes à sortir de la spirale criminelle. Les participants ont accepté de se confier lors de ces séances.

“C’est sa troisième détention depuis qu’on est ensemble. Je l’ai prévenu : pour moi, c’est la dernière.” Marie fixe son amoureux sans sourire. Mickaël encaisse, lui caresse le bras en silence, comme pour se faire pardonner. La trentaine athlétique, les cheveux tendus par un catogan, plutôt calme en apparence. Près de l’oreille, une petite cicatrice très nette qui laisse songeur. Il a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement en juin 2018 par le tribunal correctionnel d’Angers. Trafic de cocaïne, overdose fatale et condamnation pour homicide involontaire, ultime étape tragique d’un parcours délinquant frappé d’une dizaine de condamnations. Ce 14 mai, dans les locaux blafards du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), Marie a vacillé quand les magistrats ont pris la parole. Elle a dû s’asseoir. L’émotion qui déborde, la solennité de l’instant, elle ne sait pas.

Comme Mickaël, cinq autres détenus viennent de recevoir leur diplôme de “ décertification délinquante“. Une récompense de papier peut-être, un barbarisme linguistique sûrement, mais surtout la fin escomptée de leur vie de prisonnier et de leur carrière de voyou. C’est la deuxième année que le SPIP d’Angers tente ce programme, unique en France, inspiré de méthodes élaborées par le criminologue québécois Denis Lafortune. “Ça concerne des jeunes gens très défavorablement connus de nos services, dont on ne sait plus quoi faire”, explique Elliot, conseiller d’insertion et de probation. Vols, violences, conduite sans permis, alcool au volant, trafics de stupéfiants, la panoplie est complète et a démarré dès la prime adolescence. La spirale infernale d’une jeunesse enfermée dans sa logique destructrice, privée de repères moraux. Et qui revient sans cesse s’échouer à la barre du tribunal, avant de finir en prison.

Lancé il y a une douzaine d’années au Québec, le programme Parcours s’applique désormais dans 95 % des prisons de la Belle Province. Structuré en trois modules de vingt-cinq séances, il commence en prison et se poursuit à l’extérieur. Une aubaine pour ces détenus autorisés à sortir seuls de la maison d’arrêt pour rejoindre l’immeuble sans charme du SPIP, en plein centre-ville d’Angers, à deux pas du commissariat. L’idée générale est de bousculer leurs certitudes, de les forcer à réfléchir aux conséquences de leurs actes. Pour ouvrir le chemin de la rédemption. Ils étaient onze sur la ligne de départ, le 25 février, ils n’étaient plus que six à l’arrivée, ce 14 mai. Ils ont accepté notre présence pendant la seconde moitié du programme.

Séance du 1er avril : “Y a pas de justice”

“S’il revient, y a pas de justice !” Ce matin, Grégory, énervé, s’agite sur sa chaise. Gino* est resté en cellule. Au retour de la dernière réunion Parcours, les matons ont trouvé 3 grammes de haschisch dans ses poches. Anne et Élodie, les deux conseillères du SPIP, sont d’accord pour lui assurer une séance de rattrapage en prison. Les sept autres stagiaires ne sont pas d’accord. Romain*, un autre jeune détenu, avait commis la même erreur, il a été exclu du programme. Pas question de faire une faveur à Gino. “Il y a des règles”, estiment-ils. Malheur à celui qui les enfreint. Ou se fait attraper. Les conseillères, à la fin de la séance, sont soufflées. “Y a pas de justice ! Non, mais tu les entends ? Merde alors, ils sont plus procureurs que le procureur !” Gino est finalement le quatrième à sortir du Parcours à cause de son comportement.

La séance du jour a débuté sur le thème du mensonge, dans les 25 mètres carrés de cette pièce aux murs aveugles où ils se retrouvent deux à trois fois par semaine. Les détenus sont assis en cercle, avec leurs cahiers d’exercices sur les genoux. “Hasni, il ment tout le temps, celui-là !”, se marre Jean-Marc*, 21 ans, en piochant dans le sac de bonbons posé sur la table ovale. Hasni, 20 ans, lève les yeux, stoïque quoiqu’un peu vexé : “Je ne mens pas à ma famille !” On a des principes. Mentir pour protéger un proche, mentir pour manipuler un surveillant, obtenir une douche, les raisons varient. Toutes valables à leurs yeux.

“Pour quelle raison vend-on de la drogue ?”, interroge Elodie. “C’est pas un choix, c’est une nécessité, rétorque Jean-Marc. Tu vends de la drogue, tu gagnes 5 000 euros. Tu travailles, tu gagnes 1 200 euros. Le choix est vite fait.”

Et la fraude ? “Pour voler l’Etat ou plus voleur que nous”, lâche Grégory, 28 ans. Il sait de quoi il parle. Son casier est riche de près de vingt condamnations, accumulées depuis 2007. “Je ne vole pas ceux que je connais”, assène Donovan*, son compagnon de cellule. “Après, il n’y a pas de limites. La victime a beau avoir 90 ans, j’en ai rien à foutre.”

Grégory s’amuse : “Tu la vois, la petite vieille bien sapée avec son sac à main Longchamp ? Moi, si j’ai besoin d’argent, je ne m’interdis rien. On est en 2019, hein !” Hasni n’est pas d’accord : “Moi, je ne pourrais pas agresser une personne âgée ». « Même si elle a de l’or aux doigts ?”, le taquine Donovan. Grégory, hilare :“ Bah, tu lui coupes les doigts !“ “Est-ce qu’il y a des gens qu’il est légitime d’agresser ?”, feint alors de s’interroger Anne. Grégory, intarissable : “Les Chinois ! Ils ont beaucoup d’argent, les Chinois ! Ils mettent de côté, c’est des malins. D’ailleurs, on n’a jamais vu de Chinois SDF…” La discussion glisse sur la consommation d’alcool ou de drogue. “On ne boit pas quand on commet un délit, faut être lucide”, tranche Mickaël, très pro. Johnny*, qui a la bouteille facile, sort de sa réserve : “Tu vas voir la voiture le lendemain. Si elle est en bon état, c’est que tout s’est bien passé.”

Donovan, lui, conduit depuis ses 14 ans et n’a toujours pas passé le permis. “Ma mère, ça fait vingt ans qu’elle conduit sans permis et ma sœur plus de dix ans”, se justifie-t-il. Quand il a besoin de se calmer, il ne fume pas, ne boit pas non plus. Il va au stade. “Là-bas, je me sens bien. Faut que j’me défoule.” Pour se calmer, Thomas, 21 ans, a une autre méthode : “Je me ronge les ongles. C’est tout.” Barbe noire, l’œil sombre, pas loquace, il répète juste qu’il est innocent, malgré la vingtaine de condamnations pour vols et violences qui jalonnent sa jeune existence.

Grégory, lui, il n’y a que le regard de sa fille de 6 ans qui l’inquiète. “Elle croit que je travaille à la prison. Je lui dis que je répare les robinets. Et, quand je sors, elle me demande : “Alors, papa, t’as réparé beaucoup de robinets ?” Elodie se passe la main sur le visage, Anne écarquille les yeux. “Et tu penses vraiment qu’elle n’a pas compris ?” La discussion s’enlise et la pendule sonne l’heure du retour. Les stagiaires s’agitent, pressés de goûter leur demi-heure passée à l’air libre sur le chemin du retour. A 12 h 15, dernier carat, ils devront avoir regagné leurs cellules. Dans la salle de réunion, les deux conseillères oscillent entre rire et consternation. Jean-Marc a piqué le jus d’orange.

Séance du 4 avril : “Chipeur, arrête de chiper !”

Le devoir du jour s’affiche sur le mur clair : “Passer à l’acte ou se ressaisir ?” Anne engage le débat : “Et votre petite voix, elle vous dit quoi quand vous vous apprêtez à passer à l’acte ?”* Grégory, du tac au tac : “Chipeur, arrête de chiper !” La référence au dessin animé pour enfants Dora l’exploratrice provoque l’hilarité générale. Chez tous, la délinquance est venue très tôt, presque naturellement.

“Ça a commencé en classe de 6e, raconte Thomas. Je sortais, je volais. Ma première garde à vue, c’était pour un vélo. J’y suis resté vingt-quatre heures. Après, c’est monté en grade.” “Et la prochaine fois, ce sera quoi ? Une banque ?”, l’interroge Anne. “Non, il n’y aura pas de prochaine fois. Sinon, je ne serais pas ici.” La discussion roule sur le regard des autres, celui de la famille en particulier. “Moi, ça me fait plus rien, la prison. C’est pas moi que ça punit, c’est mes proches”, crâne Grégory, huit années cumulées passées derrière les barreaux. “Ma femme me répète tout le temps : “Parole de prison, parole bidon !” Et ma mère, elle dit : “Quand t’es en prison, au moins, je sais où t’es. J’me tracasse pas.”

Donovan enchaîne : “Je n’ai connu mon père qu’au parloir, mon frère aussi. Pas d’ami, pas de trahison. On est bien mieux tout seul. Ma femme me dit que je ne changerai jamais, qu’il n’y a que l’argent qui compte. Moi, je sais que c’est pas avec 1 200 ou 1 300 euros par mois que je vais m’en sortir. Et, si je dois passer ma vie en prison pour que mon fils ait ce qu’il veut, je le ferai. Tant pis.” Elodie le coupe : “Il a quel âge, ton fils ? – Dix mois. – Et tu es sûr qu’il ne préférerait pas avoir son père près de lui ? –… (Il regarde ses baskets.)” Un frisson électrise la pièce. Elodie s’énerve : “Si vous pensez que vous n’êtes que des délinquants, ça ne sert plus à rien de venir !” Elle clôt la séance : “A vous de jouer, mais ce ne sera pas simple…”

Conseillère du SPIP depuis vingt-quatre ans, Anne confie un peu plus tard : “Cette formation, on s’est battu pour que ça se fasse, contre la direction, contre tout le monde. On nous disait qu’on n’avait pas le temps, qu’on ne savait pas faire.” Elodie reprend son souffle : “On propose quelque chose qui n’existait pas jusqu’alors. Sinon, il ne se passerait plus rien pour eux.”

Séance du 15 avril : “Si les autres y arrivent, pourquoi pas nous ?”

Julie et Lucie ont pris le relais. Elles chassent le stress en se donnant la réplique. Les stagiaires arrivent en ordre dispersé. Ce matin, une alarme a retenti à la prison et la sortie a été perturbée. Le groupe est en retrait. Les animatrices rallongent les questions comme elles peuvent, les réponses sont archibrèves, parfois murmurées. “Eviter de revenir devant les tribunaux, c’est quelque chose auquel il faut croire, tente Julie. Vous êtes jeunes, vous êtes intelligents, vous pouvez tout à fait y arriver !” Sur le mur blanc défilent les thèmes des prochains exercices : comprendre l’enchaînement qui mène au passage à l’acte, repérer les terrains glissants, maîtriser sa colère, etc.

En dix jours, le discours de Donovan a bien changé : “Il faudrait se contenter de ce que l’on a, ne pas en vouloir toujours plus.” Hasni, lui, aspire à “une vie simple et organisée”, quelque chose qu’il n’a jamais connu. Johnny, 23 ans, sait qu’il retrouvera vite un emploi. En plomberie, il a été meilleur ouvrier du département. “A la prison, il y a toujours du boulot pour moi.” Grégory veut “un CDI, acheter une maison et agrandir la famille”. Thomas attend de sortir de prison “pour avoir une vie comme tout le monde”. Julie insiste : “Une vie simple, c’est aussi une vie avec moins d’argent, moins bling-bling.” “Si les autres y arrivent, pourquoi pas nous ?”, s’offusque Grégory.

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