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France : suicides en prison, un hommage contre l'oubli

Le 27 février, Timothée, 22 ans, suicide par pendaison à Fleury. Le 5 octobre, trois hommes, une crise cardiaque et deux suicides par pendaison à Corbas. Le 1er avril, Abderahmane, suicide par immolation à Luynes. Le 21 avril, Marine, 25 ans, suicide par pendaison à Fleury. Le 23 décembre, Carmen, suicide par pendaison à La Talaudière.

Ce 28 mars, durant près d’une heure s’égrènent ainsi les noms des détenus s’étant suicidés en détention pendant l’année 2018, devant la quarantaine de personnes réunies pour leur rendre hommage. Chaque année depuis 2008, plusieurs associations se réunissent pour rendre hommage aux “mort·e·s de la prison”. A l’initiative de ces hommages annuels, un infirmier spécialisé en psychiatrie qui travaillait en milieu carcéral : Roch-Étienne Migliorino, qui a également publié un livre sur le sujet en 2009. “Quand il a constaté des décès de détenus dans des conditions indignes et l’occultation du problème par la pénitentiaire, il a voulu faire remonter ça, explique Jean Cael, responsable du pôle prison-justice du Secours catholique. Il faut détourner le regard de la société vers ce qu’elle ne veut pas voir.”

“Le système carcéral est mortifère”

De chaque côté de l’estrade dressée place de la Bataille-de-Stalingrad à Paris, des panneaux avec le nom, l’âge, le lieu et les circonstances de la mort des 131 détenus s’étant suicidés en 2018 d’après les chiffres de la direction de l’administration pénitentiaire – 119 en détention et 12 hors détention (bracelet électronique…). Un chiffre qui ne diminue pas, malgré les diverses mesures prises depuis le début des années 2000. “Le système carcéral est mortifère”, lâche Jean Cael en lançant un regard triste aux ballons noirs qui flottent au-dessus de cette sinistre liste. Une membre de l’Observatoire international des prisons (OIP) monte sur l’estrade pour lire le témoignage de la mère d’Émeric, condamné à trois mois de prison ferme pour des amendes de transport non payées. Le 18 mars 2018, on lui apprend que le jeune homme aurait essayé de se suicider la veille dans la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, cinq jours avant sa libération. Alors que la maison d’arrêt affirme à sa mère qu’Émeric a été envoyé à l’hôpital en vie, c’est un jeune homme en état de mort cérébral que l’hôpital reçoit. Depuis, la mère d’Émeric cherche à comprendre les circonstances du décès. Toujours à Fleury-Mérogis, en avril 2018, un jeune détenu du nom de Kévin passe la soirée et la nuit à vomir. Malgré les appels à l’aide de son codétenu, il faudra attendre la relève du lendemain matin pour que les surveillants interviennent, à temps pour constater le décès de Kévin. De suicides en morts accidentelles dans des circonstances pour le moins étonnantes, les témoignages se succèdent devant un public choqué.

“Il n’a pas supporté de faire un jour de plus”

Petit, une longue barbe blanche et un foulard turquoise autour du cou, Éric a retrouvé la liberté en 2014 après avoir purgé une longue peine dans une prison lilloise. Aujourd’hui âgé de 57 ans et médiateur social, il témoigne pour la première fois de son expérience. “Les suicides, c’est encore plus courant que ce que l’on croit, explique-t-il en roulant une clope. Dans les années 2000, j’ai vu cinq suicides en une semaine, mais ça peut être maquillé en “mort naturelle”. Il y en a beaucoup à l’approche de Noël et dans les jours précédant la libération, parce qu’on ne sait pas ce qu’on va trouver à la sortie : la rue ?”

Gravement, Éric finit sa clope et monte sur l’estrade pour rendre hommage à son ami Guy, qui s’est donné la mort le soir même où il a appris le refus de son aménagement de peine, malgré la famille et le travail qui l’attendaient dehors. “Il n’a pas supporté de faire un jour de plus, conclut Éric_. Les gens qui sortent de prison et qui ne disent rien, ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal ce qui se passe là-bas, il faut en parler pour ceux qui sont encore dedans.

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