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France : "le confinement en détention, c’est la prison dans la prison"

Le premier mois, cela a été, mais là, ça devient difficile ! Le confinement en détention, c’est un sentiment d’isolation totale, la prison dans la prison. Plus de parloirs, vous ne voyez plus personne, ni famille, ni amis. Les avocats n’entrent pas non plus.

Le cher téléphone contre l’isolement

On peut appeler mais à nos frais généralement sur des portables, ce qui est plus cher. Exemple : Dix euros représentant 52minutes sur un fixe, 36 minutes sur un portable. L’administration a tout de même tenté de remédier à ce surcroit d’isolement. A partir de la mi-Mars, on nous a alloué 40€ de crédit par mois pour les appels téléphoniques, soit 20€ pour Mars, 40€ en Avril et sans doute 20€ en Mai mais la somme est vite dépensée, surtout si on appelle un portable ! Et nous ne savons pas si la mesure sera-t-elle reconduite au delà du 11 Mai au cas où le confinement se prolonge en prison.

Les appels téléphoniques représentent une dépense importante pour les personnes en détention. ce sont elles qui appellent leur correspondant et pas l’inverse. Pour qu’un détenu puisse vous appeler, il faut que votre numéro soit agréé. Pour cela il est nécessaire d’écrire à l’administration, avec copie de pièce d’identité et justificatif de la ligne téléphonique. Le ou la détenue donne ensuite l’autorisation d’être appelé/e. Je sais c’est cocasse.

Coté téléphone encore, deux innovations durables, cette fois. Les cellules ont été récemment équipées de téléphone. De plus, les personnes disposant d’un numéro agréé peuvent nous laisser un message sur répondeur, au moment de leur choix. Et cela aide beaucoup d’autant que le courrier est très ralenti, plus encore qu’à l’extérieur puisqu’une fois arrivé en prison, il peut être lu par l’Administration.

Inquiétudes en prison

En l’absence de contact, de nouvelles, on s’inquiète pour les proches, bien plus encore qu’à l’extérieur. Une grand-mère fatiguée, un grand-père en Ehpad, une mère qui travaille à l’hôpital, voilà qui vous tourmente en prison , jour et plus encore nuit….Chacune réagit à sa manière, les angoissées, plus angoissées encore…Les femmes restent plutôt calmes mais il parait que ça gronde chez les hommes.

Le Covid-19 n’est apparemment pas entré dans l’établissement mais s’il y avait un ou des cas, comment seraient-ils traités ? Y-a-t-il des possibilités d’isolement sur place ? Les malades seraient-ils soignés dans l’établissement pénitentiaire ou pris en charge à l’extérieur, nous n’en savons rien.

Les suppositions vont bon train, d’autant que circulent, comme à l’extérieur, les rumeurs

complotistes alimentées par des informations télévisées souvent alarmantes, à moitié écoutées ou mal comprises….

Interdiction du gel hydroalcoolique

Sans masque ni gants au départ, les surveillants ont été équipés fin Mars. Il n’y a plus de fouilles de personnes notamment au retour des parloirs, ou de cellules, personne ne s’en plaint. Plus non plus de «sondage » hebdomadaire des fenêtres dans les cellules (un surveillant tape pour détecter un éventuel barreau scié, ndlr).

Nous n’avons aucune protection, ni masque, ni gants. Le gel hydroalcoolique est interdit, impossible de le cantiner. Tout ce qui contient de l’alcool est interdit, c’est la raison, comme si on pouvait boire le gel…

Coté nettoyage et désinfection, nous disposons uniquement d ’eau de Javel très diluée.

Rien n’a changé, nous nous occupons nous-mêmes de l’entretien de nos cellules, et les coursives sont comme d’habitude périodiquement nettoyées par une « auxi », détenue chargée de cette tâche.

Comme toujours, la nourriture est distribuée à l’assiette devant la porte de la cellule. Nous avons nos propres couverts que nous nettoyons.

Pendant le confinement, absence de parloirs et d’activités

Les journées sont encore plus longues qu’à l’habitude, sans parloirs ni activités, ni cours, ni visites d’intervenants. Tout a été annulé. Auparavant, nous pouvions avoir chaque semaine une à trois visites au parloir. Pour les plus chanceuses, sachant que les femmes ont beaucoup moins de visites que les hommes.

Le parloir, on y pense toute la semaine et on vit douloureusement le parloir « fantôme » quand le visiteur annoncé n’est pas là. Quant aux activités, elles occupent quelques heures dans la semaines : cours sur place, un peu de sport, un atelier de peinture ou autre, les visites de visiteurs de prison, avocats, bibliothèque, peu fournie, mais tout de même… En détention, toute diversion est bienvenue. Rencontrer un prof ou un intervenant, c’est une bouffée d’air du dehors qui nous arrive, on se sent écouté, on oublie un peu la cellule.

Autre difficulté en cette période de confinement, le manque total de connexion à internet qui se fait plus Insupportable encore. Pas besoin de vivre à l’extérieur, pour savoir qu’Internet est partout.

Mais pour nous, impossible d’obtenir la moindre information, auprès de Pôle Emploi, par exemple, de s’informer sur un sujet quelconque, de poursuivre ses études.

Coté lecture, peu de livres ou magazines et plus aucune possibilité de s’en procurer puisqu’ils nous sont souvent apportés par les visiteurs qui, lorsqu’ils viennent au parloir, peuvent nous laisser un sac contenant des vêtements, des livres ou des magazines, et pratiquement rien d’autre : fantaisies ou gâteries sont interdites, uniquement permises dans le colis de Noël.

Portes des cellules closes

Alors qu’en temps normal, en centre de détention, les portes de cellule sont ouvertes du matin au soir, en ce moment pour cause de confinement, elles sont désormais ouvertes par roulement de deux heures. Il est maintenant interdit d’être plus de deux par cellule. Coté « promenade » dans la cour de béton, nous avons toujours droit à une heure le matin, une 1h30 l’après-midi. En raison de confinement, nous devons sortir sur les coursives par groupe de cinq seulement mais bizarrement nous pouvons nous retrouver jusqu’à 30 dans la cour, en fonction du nombre de personnes qui souhaitent sortir… A nous d’observer la distanciation.

En cette période d’enfermement pour tous, je me dis que chacun peut ressentir ce que représente la privation de liberté, quoi que ce que vous vivez à l’extérieur s’apparente plus à la vie sous bracelet électronique, un sort qui me semble nettement plus supportable que l’enfermement.

L’annonce de la date du 11 mai a fait du bien, tout de même, comme une perspective.

Nous en parlons, mais sans espoir que cela soit comme avant. Quand les parloirs seront-ils rétablis ? Verrons nous nos proches séparés par une paroi de plexiglas, sans possibilité de les serrer contre nous… Il y a aussi toutes les décisions de justice actuellement suspendues. Plus qu’à l’habitude, encore, tout est en attente sans la moindre certitude à laquelle se raccrocher…