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France : la prison altère le fonctionnement du cerveau

La perte de repères ainsi que les privations sensorielles et sociales induites par l’enfermement carcéral ont un impact cognitif important et peuvent conduire à des psychoses.

“Nos ordinateurs font des mises à jour en permanence. Ils reprennent en fait le fonctionnement du cerveau, compare Didier Vernay, neurologue au CHU de Clermont-Ferrand. On rééquilibre en permanence notre acuité visuelle et auditive grâce à la pratique quotidienne.” Or en prison, elle est très limitée.

Les détenus sont privés de leurs repères, de leur liberté de mouvement, vivent souvent dans de petits espaces à trois ou quatre. L’utilisation des cinq sens est très amoindrie. “Pendant le confinement nous nous sommes bien rendu compte de l’importance qu’a le contact corporel. En prison, il n’y a pas de relations choisies. Le toucher est subi, il est vécu comme une agression”, détaille le neurologue.

Le cerveau doit fabriquer des images, des sensations

Cette privation sensorielle a un impact cognitif. “L’expérience montre que lorsqu’un individu sain et équilibré est placé en isolement total, au bout d’un moment, il va souffrir d’hallucinations, explique Didier Vernay. Plongé dans le noir complet, il finira par avoir des flashs lumineux. Le cerveau doit fabriquer des images, des sensations, il en a besoin.”

Paradoxalement, les sens des détenus sont en alerte. “Ils sont sensibles à tous les stimuli et ont des phases de microsommeil. Ils deviennent hypersensoriels et ont peur de tout”, poursuit-il. Les voisins de cellule qui crient, les bruits en tout genre… Derrière les barreaux, on entend sans voir, sans pouvoir aller vérifier ce qu’il se passe. “Les détenus sont dans l’incapacité totale d’être dans le monde réel”, analyse Didier Vernay.

La plasticité cérébrale se dégrade faute “d’exercice”

Sans nous en rendre compte, nous décodons chaque jour des visages, nous évaluons l’espace qui nous entoure. “Cela se passe au niveau du complexe amygdale/hippocampe, décrit le neurologue. Sans modulation, c’est-à-dire sans cet exercice quotidien, la plasticité cérébrale se dégrade et notre relation au monde s’en trouve perturbée.”

Les privations sensorielles et sociales liées à l’emprisonnement favorisent donc l’apparition ou l’aggravation de psychoses. “En permanence le cerveau harmonise nos perceptions, pour que la réalité soit une évidence. Lorsqu’une tasse de café tombe et se brise, on entend le bruit en simultané. Le cerveau fusionne le bruit et l’image et cela nous paraît cohérent, illustre le neurologue. Une des théories des psychoses, c’est que le réseau de neurones qui sont là pour synchroniser, ne fonctionne plus.”

Travailler le corps, les émotions et le cognitif dans cet ordre

La plasticité cérébrale se rééduque, jusqu’à un certain point. Il faut alors travailler, dans l’ordre : le corps, les émotions et le cognitif. “Ces trois composantes s’articulent entre elles, explique Didier Vernay. C’est la grande force de la médiation animale. La relation créée par le toucher va permettre un accordage des émotions. Le traitement des maladies psychiques passe d’abord par le travail du corps.”

Pour Didier Vernay, nous sommes très inégaux face à des situations subies d’enfermement. “Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui mettent en place une ritualisation créative, dit-il. Grâce à cela, ils parviennent à redonner une puissance psychique et à rester dans un monde qui a du sens, ce qui est vital pour l’Homme.”