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France : isoler ou "réinsérer" ? Le dilemme de la prison face aux personnes impliquées dans des affaires de terrorisme

Alors qu’environ 450 détenus condamnés pour une infraction à caractère terroriste ou radicalisés doivent être libérés d’ici à la fin 2019, la politique d’isolement pratiquée à leur égard inquiète. Des avocats et des magistrats ont peur que ces conditions drastiques compromettent leur réinsertion.

L’appel sonne dans le vide depuis de longues minutes. Une silhouette apparaît enfin sur l’écran de la 8e chambre du tribunal correctionnel de Paris ce vendredi 22 juin. Ahmed M., 23 ans, se tient tout ouïe. Cet homme au crâne dégarni, barbe légère et polo bleu sur pantalon kaki, assiste à son jugement en appel par visioconférence. Il a été condamné en première instance à huit ans de prison, dont deux tiers de sûreté, pour association de malfaiteurs terroriste (AMT). Depuis la maison d’arrêt de Rouen, il fait signe à son avocate, avec un sourire vague. La décision tombe : cinq ans de prison. “Merci beaucoup, je ne sais pas quoi dire.” Puis lève le pouce. De mémoire d’avocat spécialisé dans la défense des détenus AMT, une telle réduction de peine en appel est “rarissime” en matière de terrorisme. Selon Clémence Witt, le conseil d’Ahmed M., les conditions de détention “inhumaines” de son client ont interpellé la cour, alors qu’“aucun juge n’en avait tenu compte auparavant”.

“Son parcours en prison illustre l’échec de la politique carcérale à l’égard de ces détenus.” - Clémence Witt, avocate d’Ahmed M. à franceinfo

Le procureur de la République de Paris, François Molins, s’est lui-même inquiété, en mai dernier, de l’impact de la détention sur ces personnes étiquetées “TIS” (pour “terrorisme islamiste”) : “On court un risque majeur qui est celui de voir sortir de prison à l’issue de leur peine des gens qui ne seront pas du tout repentis, qui risquent même d’être encore plus endurcis compte tenu de leur séjour en prison.” Des détenus qui auront connu un parcours similaire à celui d’Ahmed M.

Ce jeune homme a été interpellé en région parisienne avec son grand-frère Salim M., 27 ans, en juillet 2015. Les services de renseignement les surveillaient depuis plusieurs semaines et saisissent, à partir d’écoutes, des propos violents à l’égard des juifs et des “mécréants”. En compagnie du cadet, âgé de 13 ans, la fratrie finit par tenter de rejoindre la Syrie mais se fait refouler à la frontière turque. Ils sont cueillis peu de temps après leur retour en France. Aucun élément matériel ne permet de caractériser une volonté de commettre un attentat sur le territoire français, comme le reconnaîtra la justice lors du jugement de première instance. Mais les deux aînés sont placés en détention provisoire. Une mesure qui s’est quasi systématisée dans ce type de dossiers depuis les attentats de janvier 2015.

Salim M., considéré comme le leader, est incarcéré à Fresnes et Ahmed M. rejoint Fleury-Mérogis. À partir de là, le parcours des deux frères va complètement diverger. Pas le droit de travailler, ni d’étudier.

Ahmed M. n’a pas le droit de travailler en détention. Cette restriction, fréquente pour les détenus considérés comme jihadistes, vise à limiter le risque de prosélytisme. Une mesure “en totale contradiction avec l’objectif de réinsertion”, estime le contrôleur général des lieux de privations de liberté dans son rapport 2017. Ahmed M. a néanmoins eu, au début, le droit d’étudier. Le jeune homme, décrit comme le “plus brillant” de la fratrie, a arrêté ses études en première année de bac pro. Il souhaite passer un bac L et quinze heures de cours par semaine. Mais les attentats du 13-Novembre changent la donne. Les conditions de détention se durcissent à l’égard de tous les détenus mis en cause pour une infraction à caractère terroriste, quel que soit leur degré d’implication. Conséquence : Ahmed est désinscrit du scolaire.

Le jeune homme se renferme, comme en atteste le dossier. Décrit comme “avenant et joyeux” au début de son incarcération, il se mure dans le silence au cours de l’année 2016. Dans l’attente de son procès, sa détention provisoire sera prolongée à quatre reprises, d’abord pour quatre mois renouvelables, puis six mois, comme le permet la loi du 3 juin 2016 pour le délit d’association de malfaiteurs terroriste. “On met de côté ces individus pour sécuriser la société, sans individualiser le régime carcéral. Or, les détentions provisoires dans ce genre de dossiers sont souvent très longues car les instructions sont complexes”, souligne l’avocate Olivia Ronen, dont le client, poursuivi dans l’enquête sur l’attentat de Nice, s’est suicidé à Fleury-Mérogis le 8 juin 2018, juste après la deuxième prolongation de sa détention provisoire, malgré son rôle périphérique dans le dossier, rappelle Libération.

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