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France : face au coronavirus, la déflation carcérale a commencé

Les 186 établissements pénitentiaires de France sont un facteur d’inquiétude majeur dans la gestion de la pandémie de Covid-19, au vu de la surpopulation carcérale. Sous l’effet des mesures prises par la justice et l’administration pénitentiaire, pour la première fois depuis des années, le nombre de détenus diminue.

“J’espère qu’une cinquantaine vont sortir, ce serait bien”. Ce n’est pas un avocat qui parle, ni une association de soutien aux détenus. Mais le directeur d’un établissement d’une région de France, qui compte plus de 800 détenus. Depuis deux semaines, 18 sont sortis en libération conditionnelle, grâce aux mesures prises par les juges d’application des peines, en lien avec l’administration pénitentiaire. Les incarcérations ont aussi beaucoup diminué. Mais c’est loin de suffire : “j’ai encore une vingtaine de détenus qui dorment sur des matelas au sol”, confie ce directeur, sur le pont non-stop depuis 15 jours, qui assure n’avoir “jamais rien vécu de pareil”.

Face à l’épidémie de coronavirus, le gouvernement a pris des ordonnances pour accélérer cette déflation carcérale : les condamnés à de courtes peines, hormis certains faits (crimes, terrorisme, violences intra-familiales) vont pouvoir bénéficier d’un crédit supplémentaire de remise de peine de 2 mois, à condition d’avoir eu un bon comportement en détention. Ils termineront leur peine sous forme d’assignation à résidence. Les reliquats de peine de moins de 6 mois pourront être convertis en travaux d’intérêt général.

À trois dans 9 m2

Depuis 15 jours, 3.500 détenus sont déjà sortis plus tôt que prévu. Grâce aux ordonnances, les directeurs d’établissements espèrent que le mouvement va continuer. Car il y a urgence : comment appliquer les gestes barrière quand on dort à 3 dans 9 mètres carrés ? Comment confiner les détenus malades, ou qui présentent des symptômes ? Avec la suspension de toutes les interventions extérieures et des parloirs, les détenus y passent désormais, pour la plupart, 22 ou 23 heures sur 24, hormis les promenades quotidiennes.

Mardi 31 mars, le nombre de détenus testés positifs au Covid-19 était de 31 dans toute la France. 75 parmi le personnel qui travaille en prison. Mais le nombre de confinés, qui présentent des symptômes, ou ont été au contact de malades, est bien plus important : 683 détenus, et 881 agents et personnels pénitentiaires. Dans le milieu clos de la prison, une flambée épidémique est redoutée par tous.

En île-de-France, la déflation est en route, constate Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires. “Avant la pandémie, il y avait 13.500 détenus dans les 17 établissements d’île-de-France, pour 10.000 places, avec un taux de surencombrement de 150-160% dans les maisons d’arrêt. À ce jour, nous avons environ 12.000 personnes détenues hébergées.” Difficile de savoir exactement combien sortiront encore, avec l’application des ordonnances. Mais Laurent Ridel a fait les comptes : “1.200 détenus pourraient être concernés par la mesure d’assignation à domicile.”

“Cette déflation va permettre d’améliorer les choses” espère-t-il. Les fameux gestes barrières, des zones de confinement bien différenciées… pour la santé des détenus et du personnel pénitentiaire, dont il salue “l’extrême dévouement”, eux qui sont “au front, trop souvent oubliés.”

4 détenus positifs au Covid-19 à la prison de la Santé

À la prison de la Santé, seule maison d’arrêt dans Paris intra-muros, les bénéfices de cette baisse se voient déjà. Rouverte il y a un an, elle hébergeait, avant l’épidémie 850 détenus pour 708 places. Aujourd’hui, ils sont 735. Son directeur, Bruno Clément-Petremann, espère passer sous la barre des 700 dans la semaine. “Nous pourrons mettre les détenus seuls en cellule, c’est une bonne chose pour ceux qui sont malades, et qui sont affectés dans une zone spéciale, mais aussi pour les autres détenus, puisque nous pourrons avoir un confinement général.”

Au 31 mars, 4 détenus et 2 membres du personnel pénitentiaire avaient été testés positifs au Covid-19. Les 4 prisonniers sont toujours à la Santé, leur état ne nécessitant pas d’hospitalisation. Comment passer la crise, ce “confinement dans le confinement”, alors que le plus dur, le pic de l’épidémie, est encore à venir ? “La clé, c’est la communication” insiste Bruno Clément-Petremann, qui organise des réunions – à distance de sécurité – avec des détenus de chaque étage, et adresse des courriers à chacun, 2 à 3 fois par semaine. “On est transparents sur la situation. On leur dit le nombre de malades, de confinés. J’ai organisé des réunions avec le médecin-chef de l’unité sanitaire. On essaie de pallier le quotidien, on a organisé deux promenades par jour… On communique énormément, pour combattre cette angoisse qui s’est installée dans les prisons, comme dans toute la population française.”

Un casse-tête épuisant

Rassurer : le directeur du centre de détention en région le confirme, c’est une grande partie de son travail. Il a fallu trouver des masques pour surveillants et auxiliaires qui interviennent dans la zone confinée, avant que ceux promis par la ministre de la Justice arrivent. Démentir les rumeurs, les fake news, qui se répandent comme une traînée de poudre. “Hier, les auxiliaires (détenus affectés à l’entretien et la cuisine) ont refusé de ramasser le linge en zone confinée. Ils avaient entendu je ne sais où que les masques n’étaient efficaces qu’une demie-heure. Je suis allé leur parler.”

Il s’agit aussi de gérer les plannings – une bonne partie du personnel manque à l’appel, confinés, en arrêt de travail pour s’occuper des enfants… ou parce qu’ils sont, eux aussi, angoissés.

Réorganiser la cohabitation, aussi, entre détenus en fonction des symptômes, des tests, des contacts des uns avec les autres. Désamorcer les tensions, alors que le manque de cannabis commence à se faire ressentir. Un casse-tête épuisant, pour lequel, il le confie, il se sent très seul, peu épaulé par sa hiérarchie, obligé de trouver des solutions aux mille problèmes qui se présentent chaque jour.

Alors oui, il y a urgence, non pas à vider les prisons - on en est loin - mais à respecter, a minima, les capacités des établissements, alors que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint. Ne serait-ce que pour pouvoir, enfin, pratiquer l’encellulement individuel, un principe inscrit dans la loi depuis… 1875.