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France : en prison, on se suicide dans l’indifférence
Le collectif "Pour les morts en prison" a recensé, sur 2019, 115 suicides de détenus. L’État refuse de communiquer un chiffre officiel et semble vouloir enterrer le sujet. Familles et soignants se battent pour éviter que ces drames ne se répètent.
Lorsqu’il crée le collectif Pour les morts en prison, Étienne Roch-Noto est infirmier pénitentiaire depuis une dizaine d’années. Le suicide fait partie de son quotidien : “Un matin, on m’a appelé pour un suicide. J’ai vu un corps qui gisait là, sur le sol crasseux. Au milieu de cette cellule vétuste, c’était l’indifférence générale. Chacun vaquait à ses occupations. Ça m’a fait tellement de mal, je me suis dit : c’est pas possible, vraiment pas possible, que des jeunes puissent mourir comme ça.”
Depuis 2020, l’administration pénitentiaire ne communique plus le nombre de suicides de détenus. “Alors on essaie de s’organiser, chercher dans la presse locale, activer nos contacts”, explique le collectif. L’année dernière, ils ont recensé 115 détenus qui se sont ôtés la vie et l’année précédente le ministère en recensait 119. Des chiffres très probablement sous-évalués. “En prison, la mort c’est comme le sexe, on n’en parle pas”, soupire l’infirmier Étienne Roch-Noto. Pourtant, elle est omniprésente.
Ce que l’on sait c’est que, selon un calcul de l’Observatoire International des Prisons (OIP), on se suicide six fois plus en détention qu’ailleurs. À l’isolement, le taux de suicide double selon l’OIP. “Le mitard, c’est une privation de liberté extrême”, acquiesce Cyril Canetti. Le médecin a exercé en prison pendant dix-huit ans.
C’est une autre affaire de rupture de soins qui hante Loïc Roccaro. En 2017, l’avocat est commis d’office dans une affaire pénale. Son client – accusé de tentative d’homicide – présente de graves troubles schizophréniques. Préoccupé par son état, il insiste pour l’accompagner le plus possible. Depuis les vitres du parloir, il voit l’état de l’homme se détériorer au fil des mois : “À la fin, il était dans une perte de lucidité totale, avec des traces d’automutilation sur ses avant-bras. Il m’a confié avoir tenté de se donner la mort.” Lui aussi fait des pieds et des mains pour alerter les autorités et tenter de rétablir un traitement. À peine sorti de la prison des Baumettes, affolé par cette visite, il court vers son bureau et contacte la prison ainsi que le juge d’instruction. La famille du détenu en fait de même. “Et le 12 juillet 2018, alors que la France est en liesse après avoir gagné le mondial de football, je reçois un coup de fil. Il s’est pendu.” Loïc accuse le coup : “Ce fut le silence radio, débrouillez-vous avec ça.” Définitivement marqué et plein de remords, il multiplie depuis les recours pour confronter la prison des Baumettes. “On déplace les hôpitaux psychiatriques en prison”, déplore l’avocat.
Selon l’OIP, au moins 45% des nouveaux incarcérés présentent au moins deux troubles psychiatriques.
“Mon fils a mis le feu à sa cellule car il voulait se faire transférer, je ne vois que ça”, explique la maman d’Alexis. Le jeune homme décède quelques heures après avoir déclenché l’incendie, intoxiqué par les fumées inhalées. Dans le cas d’Alexis, sa mère est catégorique, il y a eu des manquements. Alors que l’incendie se déclare à 22 heures, il faut plus de deux heures aux surveillants pour intervenir. Après le drame, de nombreux détenus lui téléphonent : “On m’a dit : “Madame… Ils ont laissé votre fils agoniser, ne lâchez rien.” Elle prend quelques minutes pour respirer et lance : “Ils ont laissé crever mon fils comme un chien.”
Quand un suicide survient, certains sont marqués par la froideur de l’administration pénitentiaire. En 2015 Sylvie rend visite à son fils au parloir. Elle fume une dernière cigarette sur le parking, remet ses cheveux en place. Lorsqu’elle se présente à l’accueil, elle remarque l’air gêné du membre du personnel. En quelques minutes, je me retrouve dans le bureau de la directrice. “Madame, votre fils est décédé il y a trois jours.” Le choc est brutal.