
Belgique : le "véritable échec" des sections pour détenus radicalisés
Conditions matérielles déplorables, régime de détention très dur : l’État belge vient d’être condamné pour faute.
Prison Insider. Pourquoi avez-vous entrepris un recours en faveur des détenus des sections De-Radex ?
— Publié le 29 mai 2019.
La Belgique est condamnée, le 24 avril 2019, à indemniser plusieurs détenus placés au sein de la section De-Radex à la prison d’Ittre. Ces sections visent à isoler les détenus considérés comme des recruteurs pour les milieux djihadistes.
Nicolas Cohen est avocat au barreau de Bruxelles et membre du conseil d'administration de Prison Insider. Il a déposé un recours au nom de ces personnes détenues en raison du traitement que l'État belge leur réserve. Pour lui, les conditions de détention des sections De-Radex ne sont pas justifiées. Prison Insider lui pose trois questions.
Les détenus ne prennent pas réellement l’air. Leur lieu de sortie, officiellement appelé préau, est une cage à moitié couverte par un toit en béton.
Prison Insider. Pourquoi avez-vous entrepris un recours en faveur des détenus des sections De-Radex ?
Nicolas Cohen. Les sections De-Radex existent depuis 2016. Les détenus y sont soumis à un régime de détention très dur. Tout est restreint, y compris les contacts avec l’extérieur. Quant aux conditions matérielles, elles sont déplorables. Les détenus ne prennent pas réellement l’air. Leur lieu de sortie, officiellement appelé préau, est une cage à moitié couverte par un toit en béton. Elle ne doit pas faire plus de 30 mètres carrés. Les détenus s’y rendent par trois et s’occupent comme ils peuvent. Ils ne doivent pas être plus de cinq à la fois (ils sont 15 au total dans la section). La salle de sport est en intérieur. Après de longs combats, le culte est devenu la seule activité collective.
Plusieurs détenus m’ont sollicité pour dénoncer ces conditions. J’ai décidé de mener une action collective au nom de tous. J’ai d’abord demandé à l’administration pénitentiaire un contrôle fréquent de ce régime. Aucun contrôle ne vient justifier, aujourd’hui, la présence de détenus dans ces sections : ils n’y connaissent pas la durée de leur maintien. Les discussions étant totalement stériles, nous avons décidé d’agir en justice. Plusieurs actions ont été menées. Nous voulions que les juges viennent sur place constater les conditions. Aucune de ces demandes n’a été acceptée.
Détenir des personnes dans ces conditions équivaut à une mise à l’isolement. Et la mise à l’isolement appelle des garanties. La loi prévoit alors un contrôle tous les deux mois pour justifier son maintien. Après de nombreux refus d’un tel contrôle, la décision ordonnée par le tribunal de première instance condamne l’Etat belge pour faute.
Le jugement n’est pas encore définitif. Nous allons réfléchir à une possible contestation.
PI. La décision rendue vous convient-elle ? Concrètement, quels changements va-t-elle entrainer ?
NC. Voilà, symboliquement, une décision très forte. Elle nous donne raison sur le fait que les détenus sont dans une situation d’isolement. Celle-ci leur porte préjudice. L’administration pénitentiaire assimilait, depuis le début, ce régime à une détention normale. C’était absurde ! La juge a fini par entendre, après de longues batailles, notre demande.
Si un détenu est à l’isolement, la loi impose qu’on lui octroie des garanties. Dans notre cas, la juge reconnait que les conditions des sections De-Radex sont semblables à celles de l’isolement. En l’absence de contrôle, l’Etat belge est en faute.
Le préjudice énoncé est très modéré puisqu’il est évalué à un euro par jour de détention. Pour le tribunal, nous n’apportons pas assez de preuves. Nous ne sommes donc pas légitimes à demander une somme supérieure. Le tribunal a de nouveau refusé de se rendre sur les lieux pour constater les conditions. Résultat : la question du préau n’a pas été posée. Nous l’avions pourtant détaillée. Certains détenus se rendent depuis trois ans dans cette cage. Le jugement n’est pas encore définitif. Nous allons réfléchir à une possible contestation. Toutefois, la reconnaissance d’un dommage quotidien est une très belle victoire.
Cette peur constante pousse l’administration à isoler au maximum ces personnes. C’est un véritable échec.
PI. Les régimes de détention des détenus radicalisés font l’objet d’expérimentations dans d’autres pays. Que préconisez-vous ?
NC. Les dispositions que je vois aujourd’hui ne marchent pas. Le fait d’ostraciser davantage les détenus de ces sections est regrettable. Pour vous donner un exemple, les parloirs sont collectifs. Les détenus des sections De-Radex sont mêlés aux autres. Si un détenu de la section s’adresse à un détenu lambda, les agents vont venir immédiatement le questionner. Il peut, par la suite, faire l’objet d’une observation spéciale. L’administration vérifiera qu’il n’est pas en train de se radicaliser. Cette peur constante pousse l’administration à isoler au maximum ces personnes. C’est un véritable échec.
En revanche, il existe des services qui tentent, en Belgique, de les accompagner. Une des principales solutions est de refaire du lien. Tout l’inverse du monde carcéral qui signifie la séparation. La prison brise aujourd’hui tout lien social. Les détenus radicalisés sont des personnes qui ont besoin de reprendre pied. Elles doivent trouver une motivation positive à leur vie, ce qui est totalement impossible en prison.
Propos recueillis par Leïla Lopes