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Canada : santé mentale en prison, « une fabrique d’itinérance »

Le nombre de personnes judiciarisées aux prises avec un trouble de santé mentale, souvent doublé d’un problème de toxicomanie, est aujourd’hui six fois plus élevé qu’il y a 10 ans à Québec, s’inquiète le directeur général de l’organisme PECH (pour Programme d’encadrement et d’hébergement clinique), Benoît Coté, selon qui la prison est devenue une «fabrique d’itinérance».

En 2009, les intervenants de PECH suivaient 53 personnes présentant des problèmes de santé mentale, diagnostiqués ou pas, et judiciarisées, souvent en lien avec leur consommation de drogue. Cette année, ils en accompagnent pas moins de… 329.

«Ce sont souvent des gens qui vont en prison pour des bris de probation, qui ont un problème de toxicomanie et qu’on considère aptes à purger leur peine parce qu’ils consomment volontairement, donc qui purgent leur peine même s’ils sont psychotiques», résume Benoît Côté en entrevue au Soleil.

Avec 329 personnes à suivre à l’Établissement de détention de Québec, l’intervenante de PECH (elles ont déjà été deux) est débordée. La tâche est colossale : évaluations psychosociales, soutien, gestion de crise, réunions avec le personnel de la prison, animation d’activités de groupe, préparation des projets de sortie…

«Malgré la bonne volonté de l’Établissement de détention, qui a ouvert un département pour une douzaine de détenus aux prises avec des problèmes de santé mentale et où on fait des activités de groupe, les ressources et les services sont nettement insuffisants», observe le directeur général de PECH, faisant notamment référence à l’absence de psychiatres au centre de détention. «On a une psychiatre qui travaille avec nous et qui va y faire des visites», mais elle ne peut s’y rendre qu’environ deux demi-journées par mois, précise-t-il.

Expertise ignorée

M. Côté s’étonne que l’expertise pointue des psychiatres ne soit pas davantage déployée auprès des personnes aux prises avec des troubles concomitants de santé mentale et de toxicomanie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de la prison. «Souvent, (pour les psychiatres), la toxicomanie vient compliquer les choses. Ce sont donc surtout des intervenants du milieu communautaire qui doivent s’occuper de ces cas complexes», souligne-t-il.

Selon lui, il faut impérativement se doter d’un «programme structuré» pour aider ces gens malades, toxicomanes et judiciarisés et éviter qu’une fois sortis de prison, ils n’y retournent. «Il leur faut des logements, du support, des suivis en santé mentale et physique (…). Il y a toute une vision à développer. Si on ne les accompagne pas en prison, ils vont grossir les rangs de l’itinérance dehors», prévient-il, déplorant que la prison soit devenue, pas juste à Québec et au Québec, mais un peu partout dans le monde, «un lieu de prise en charge, mais sans services».

Benoît Côté comprend que la situation est «complexe», que la mission de réinsertion se confronte avec celle de contrôle et de surveillance du centre de détention, et qu’il y a des enjeux de sécurité dont il faut tenir compte. Il n’empêche, «est-ce que le ministère de la Santé et le ministère de la Sécurité publique se parlent?» demande M. Côté.

«Ça fait beaucoup de personnes qui se retrouvent dans un trou de services. […] Personnellement, je ne pense pas que c’est en prison que tu dois te retrouver quand tu as ces problématiques-là de santé mentale et de toxicomanie. Tu vas y aller pour six mois, puis après tu vas te retrouver ou retourner dans la rue», dit le directeur général de PECH, selon qui la prison est devenue «une fabrique d’itinérance».

Pour l’heure, l’espoir de Benoît Côté réside dans des initiatives comme celle du projet d’Intervention multisectorielle programmes d’accompagnement à la cour municipale (IMPAC) de la Ville de Québec, qui vise à adapter le tribunal aux clientèles vulnérables, en situation d’itinérance ou qui vivent des problèmes de santé mentale.

Le directeur général de PECH a aussi bon espoir de voir un jour le CIUSSS de la Capitale-Nationale prendre en charge les services à l’infirmerie de l’Établissement de détention de Québec. «C’est un projet qui est supposé se faire et qui permettrait de supporter davantage les détenus qui ont des problèmes de santé mentale», dit-il.

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