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France : un jury littéraire derrière les barreaux

Lancé le 12 novembre, le prix Monte-Cristo sera décerné le 9 mai 2019 par un jury composé de dix détenus de la maison d’arrêt de l’Essonne. Huit romans sur le thème des “enfermements” sont en lice.

Si le mois de novembre concentre les prix littéraires, cela n’empêche nullement d’en voir d’autres naître. Officiellement lancé depuis la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le prix Monte-Cristo récompensera le 9 mai un roman paru entre septembre 2017 et mai 2018. Huit livres répondant à la thématique choisie – “Enfermements” –, signés Dan Franck, Emilie de Turckheim, Richard Morgiève ou Yves Pagès seront ainsi lus, commentés et départagés par un jury de dix hommes, sélectionnés parmi les 4 000 détenus. “Il nous a fallu choisir parmi les sept bâtiments, qui diffèrent selon les longueurs de peine et les profils pénaux, explique Sylvie Robert-Stock, proviseure adjointe de l’unité pédagogique régionale de Paris, l’institution qui gère l’enseignement en milieu pénitentiaire dans la région Ile-de-France. Notre décision s’est arrêtée sur le D1, celui qui abrite le plus de condamnés et le moins de prévenus. Au D1, nous savons qu’ils sont là pour au moins un an.” Les candidatures se sont faites sur la base du volontariat, avec deux prérequis simples : bonne conduite et niveau scolaire minimal.

Daniel Pennac, parrain de cette première édition
A l’initiative du prix, un triumvirat de femmes de lettres œuvre depuis des mois pour faire exister cette idée. L’attachée de presse Roxane Defer, l’éditrice Maëlle Guillaud et l’écrivaine Michèle Gazier ont toutes les trois découvert le milieu carcéral dans le cadre de leur métier, les auteurs étant régulièrement sollicités pour aller rencontrer les détenus. “En 1999, j’ai reçu le “Goncourt des prisonniers”, un prix créé par la Fnac, qui faisait juger par des détenus la sélection du Goncourt, se rappelle Michèle Gazier. Quand je me suis rendue à la maison d’arrêt pour hommes de Rennes pour le recevoir, j’avais en tête les images des prisons américaines, où tout le monde est en orange, mais en France les détenus portent leurs propres vêtements, ce qui marque fortement la différentiation sociale. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, très mal habillé, avait pris la parole pour me demander si mon personnage était un salaud ou un type bien. J’en étais sortie complètement émue et bouleversée.

La lecture est un moyen d’évasion vertical et en même temps un moyen d’enracinement dans du sens et de l’émotion.
Daniel Pennac, écrivain

Parrain de cette première édition, l’écrivain Daniel Pennac s’enthousiasme pour la liberté de choix de ces jurés captifs. “Je sais par expérience que les prix de lecteurs sont les plus libres, dit-il. Ça fait de beaux jurys, très véhéments, parce que la passion de la lecture s’en mêle. Les raisons pour lesquelles chacun aime un livre peuvent être littéraires, stylistiques, thématiques, mais aussi tellement personnelles.” L’écrivain-enseignant sait mieux que personne la fenêtre qu’un livre peut ouvrir sur le monde, et se rappelle avec émotion “l’immense joie” qu’il trouvait dans les livres, adolescent, pendant qu’il était pensionnaire dans une école dont il ne pouvait s’échapper qu’à Noël et à Pâques : “La lecture est un moyen d’évasion vertical et en même temps un moyen d’enracinement dans du sens et de l’émotion. La prison, ça n’est pas un univers particulièrement amusant, alors, quand on me demande de faire quelque chose comme ça, je le fais.” L’initiative n’est d’ailleurs pas unique : à quelques kilomètres de Fleury-Mérogis, la Fondation de l’université Paris-Diderot a elle aussi créé il y a cinq ans son prix littéraire, Esprits libres, à la prison de Réau.

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