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France : prison, quel sens pour les longues peines ? [audio]

Passer dix, vingt, trente ans en prison, tel est le sort réservé à plusieurs milliers de condamnés. Au 1er janvier dernier, ils étaient 6 694 dans ce cas. Les détenus, on le sait, restent souvent dans l’angle mort des politiques publiques, et les “longues peines” plus encore.
Et pour cause, si le travail d’intérêt général ou le placement sous bracelet électronique constituent des substituts pertinents aux courtes peines de prison, personne en revanche ne questionne la nécessité d’incarcérer -et parfois pour longtemps- les auteurs de crime ou de graves délits. C’est ainsi que, sous l’effet d’un arsenal pénal renforcé, on recense un allongement des peines, de même qu’un accroissement de la part des seniors en prison (leur nombre a été multiplié par 6 depuis 1990). Quel sens donner à la prison quand elle devient le seul horizon d’un détenu ? On en parle ici et maintenant.

L’invitée de l’émission : Laurence Blisson, Secrétaire générale du syndicat de la magistrature.

A écouter.


“ Quand on examine les textes, on voit bien qu’on est face à un parcours quasi impossible. Notamment la question de la période de sureté[^note1]. En 1978 on crée une période de sureté qui consiste à dire, en gros, que la juridiction qui condamne considère que pendant telle période, il est impossible d’envisager une quelconque sortie. Jusqu’à trente ans pour la réclusion criminelle à perpétuité. C’est la moitié de la peine pour toutes les peines de plus de dix ans, une période de sureté automatique. Et ça, c’est une défiance vis-à-vis de l’application des peines qui consiste à prétendre qu’au stade de la condamnation, on peut estimer de manière figée que pendant toute la durée de la période de sureté, la personne n’évoluera pas, qu’il n’y aura pas quelque chose qui se présentera, un projet, qui pourrait permettre de le faire sortir.

Alors il y a un premier processus, c’est lever cette période de sureté. Et puis ensuite, il faut entrer dans tout un processus avec des expertises obligatoires, un passage par le centre national d’évaluation pendant six semaines, une évaluation par la commission disciplinaire des mesures de sureté.

On espère que le projet de loi de Programmation de la Justice va supprimer cette phase-là, parce que c’est une phase qui a des effets absolument délétères sur les projets.“

En 1980, il y a cette tribune de Michel Foucault au moment où la France va voter l’abolition de la peine de mort, c’est acquis, et il publie une tribune dans laquelle il dit “en réalité, la véritable ligne de partage, ça n’est pas les pays qui ont la peine de mort et ceux qui l’ont abolie, mais c’est les pays qui acceptent les peines définitives et ceux qui les excluent”.

Si vous réfléchissez ne serait-ce que par rapport à vous. Parce que la figure du grand criminel, elle inquiète, elle créé une sorte de sentiment de peur effectivement. Mais si vous réfléchissez par rapport à votre évolution personnelle et si on vous dit aujourd’hui “imaginez les vingt prochaines années de votre vie”. Mais imaginez quelles évolutions vous pourrez connaître personnellement en vingt années. Enfin je veux dire, c’est presque comme ces chiffres qu’on n’arrive pas à se représenter.
Il y a un texte qui est souvent reproché au syndicat de la Magistrature, c’est la Harangue de Baudot, qui dit notamment quelque chose sur la prison :

Cessez de penser la prison en mois ou en années, et pensez là en jour comme si vous la viviez vous-même.

Je crois que c’est ça aussi le sens, même pour des grands criminels, même pour des personnes qui ont commis des actes extrêmement lourds, qu’est-ce que cela représente finalement cette longue peine ? Il y a des choses à faire. La prison ne peut pas être ce temps vide, ce temps de neutralisation.

A écouter en entier.

[^note1]:C’est une période de la peine pendant laquelle le condamné ne peut obtenir aucun aménagement de sa peine / source