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France : les maux de la prison

La prison abîme. Physiquement, mentalement. En 1991, le docteur Gonin publiait la seule étude jamais menée sur les conséquences de l’enfermement sur le corps et l’esprit des personnes détenues. Des maux dont elles peuvent toujours témoigner, près de trente ans plus tard.

Tous les sens s’atrophient

Je suis sûr et certain qu’après avoir séjourné douze ans en prison, mon capital-vie est diminué. Pour plusieurs causes : la sédentarité, le tabac, la nourriture bas de gamme, les carences, le fait d’être tombé à 53 kg pour 1 m 80 (même si j’ai repris 10 kg en trois mois depuis mon arrivée ici), l’anxiété, les névroses et les médicaments pour y remédier – qui soignent, mais qui abîment aussi de l’autre côté.

On perd le goût. Toute la nourriture est fade, sans sel, avec peu de propriétés gustatives. On perd l’odorat. On perd le toucher.

Mais surtout, on perd la vue, avec les grilles apposées aux fenêtres qui assombrissent les cellules. La lumière du plafonnier est diffuse, si bien qu’il est nécessaire de posséder une lampe d’appoint. Les problèmes d’acuité visuelle surviennent ici de façon plus précoce que ceux liés à l’âge. Tous les sens s’atrophient, sauf l’ouïe qui, elle, se développe à cause du bruit omniprésent. À Villenauxe, par exemple, je faisais une fixation sur le bruit des clefs qui s’entrechoquaient à la ceinture du surveillant. Au fil du temps, on arrive à le détecter de très loin.

Les repères temporels disparaissent, on a du mal à situer des dates antérieures. Tous les jours, je coche la date sur mon calendrier pour ne pas être déphasé. Je rencontre des problèmes avec le calcul mental que je maîtrisais avant de rentrer, et des problèmes avec la mémoire immédiate – par exemple, lorsque je regarde un film, mon esprit est occupé ailleurs – et j’ai été pendant longtemps sujet à la paramnésie2, ainsi qu’à une fatigue nerveuse.

Dans cet univers de malheur, il suffit d’un rien pour nous déstabiliser. Car on ne se sent pas châtié, mais éradiqué. J’ai toujours peur de l’inévitable : finir en psychiatrie. Alors je m’efforce de vivre le présent comme un rêve, comme si c’était du passé : je rêve ma vie au lieu de la vivre. On s’invente un monde nouveau, parce que l’environnement dans lequel on vit nous fait souffrir. Il faut apprendre aussi à relativiser les choses, ne pas trop penser à demain, mais supporter le présent. La porte de la cellule devient un exutoire : la nuit, alors que le silence règne, il est fréquent d’entendre des coups qui résonnent, des coups de pied donnés dans une porte par un détenu qui manifeste sa souffrance.

“La prison est construite comme une institution disciplinaire qui vise à normaliser un individu ; je crois malheureusement qu’elle fait tout le contraire d’un dressage social et que l’on ignore la portée qu’elle peut avoir sur un individu. Ainsi, un jour, alors que j’avais atteint six ans d’incarcération, j’ai demandé à un détenu qui en avait déjà fait neuf comment c’était. Il m’a répondu : « On ne peut plus voir les autres. » La relation avec les autres est une souffrance, ils vous abîment ; c’est pour cela que je vis comme un ermite. Si bien que je suis toujours sur la défensive, je vis chaque nouvelle venue à ma porte comme une agression. La prison est un monde qui peut vous faire oublier l’âme et la lumière qui subsistent en chaque être humain.” — L. P.

“Le fait que mon corps reste 24h/24 en cellule sans faire aucun effort a causé des dégâts.À mon âge – à peine 33 ans – on m’a découvert un début d’arthrose.” – K. E.

À chacun sa façon de tenir

“C’est une gageure de dire qu’à long terme, la prison occasionne fatalement des changements sur le corps et l’esprit. Et ce, de façon parfois spectaculaire. J’ai ainsi souvenir d’un détenu qui perdit toute pilosité en quelques jours (…)”

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