Actualité

Argentine : dans une prison, "le rugby a été mon exutoire"

A San Martin, au nord de Buenos Aires, une équipe de rugby s’entraîne plusieurs fois par semaine dans l’enceinte d’une prison de haute sécurité. Créée à l’initiative d’un avocat il y a dix ans, elle a changé la vie de centaines de détenus et ex-détenus qui en ont fait partie.

“Gardien !” Le bruit sec de la clé dans la serrure, le grincement de la grille qui s’ouvre. Quelques pas puis on recommence. Gardien, serrure, grille. Et ainsi encore et encore. «Ces bruits de trousseaux de clés, de portes qui s’ouvrent et qui se ferment, devoir attendre pour faire trois pas, c’est clair que ça ne m’a pas manqué.» Pourtant Diego Gil, 29 ans dont presque huit entre les murs, semble ravi de revenir en prison aujourd’hui, pour la première fois depuis sa libération il y a trois mois.

“A l’intérieur c’est très dur et il se passe des trucs moches, oui. Mais on forme aussi des amitiés très fortes. C’est ça que m’a laissé le rugby, au-delà de tout le reste : sortir de l’individualisme pour intégrer un groupe. J’avais promis aux gars que je reviendrais pour un entraînement, et chez les Spartiates, on tient parole.”

“La première fois, ça n’a pas été facile”

Les Spartiates, c’est une équipe de rugby créée il a dix ans dans la prison de haute sécurité de San Martin, à 50 km au nord de la capitale argentine, qui a emprunté son nom au film 300, l’un des préférés derrière les murs. L’initiative, la première de son genre, a changé la vie des 500 détenus et ex-détenus qui en font partie. D’ailleurs, la première chose que Diego a faite en sortant, c’est de se tatouer l’emblème du club, un casque spartiate, sur la cuisse.

Eduardo Oderigo, surnommé Coco, en est à l’origine. Désolé de ce qu’il voyait lors de ses visites en prison, cet avocat et joueur de rugby amateur de 48 ans a eu l’idée saugrenue de venir y enseigner son sport fétiche, pourtant réservé à l’élite économique en Argentine. A San Martin comme dans la plupart des prisons du monde, les détenus sont issus des classes sociales les plus pauvres.

“La première fois, ça n’a pas été facile, se souvient-il. D’abord parce que les gars avaient une condition physique déplorable. Et puis ils ne connaissaient pas ce sport de bourges, comme ils disaient. Ils ne voulaient pas tacler, pas se jeter par terre. Pourtant à la fin de l’entraînement, ils m’ont demandé si j’allais revenir. J’avoue que je n’y avais pas trop réfléchi mais j’ai dit : ok, tous les mardis. Et depuis dix ans, qu’il pleuve ou qu’il vente, je viens tous les mardis.”

Aujourd’hui, sur les 1 100 prisonniers de San Martin, 350 jouent au rugby plusieurs fois par semaine. D’autres entraîneurs amateurs se sont joints au projet mais Coco reste leur préféré. Il a trouvé des sponsors et fait construire un vrai terrain en synthétique là où il n’y avait qu’une friche boueuse.

“J’ai retrouvé l’envie d’apprendre”

Gabriel Marquez a 25 ans et en a déjà purgé cinq. Il est le capitaine des Spartiates : “Le rugby, ça a été un exutoire pour canaliser toute la haine, la rancœur, la tristesse que j’avais accumulée depuis l’enfance. D’abord, sortir de ma cellule pour me défouler, ce n’est pas rien, c’est un espace de liberté derrière nos barbelés. Mais surtout, ce sont les valeurs de ce sport : le sacrifice, l’honnêteté, le respect bien sûr, qui m’ont aidé à envisager la vie autrement. Et c’est très spécifique au rugby ! Au foot par exemple, on s’insulte et on parle n’importe comment à l’arbitre…”
Il s’est découvert une véritable passion pour le ballon ovale et pour l’équipe des Pumas, qui vient de temps en temps participer à leur entraînement. Sur le petit écran de la cellule qu’il partage avec deux de ses compagnons, il a prévu de regarder tous les matches de l’Argentine, qu’importe si le décalage horaire les programme à 4 heures du matin. “Je vibre avec eux, dit-il les yeux brillants. Si la vie avait été différente, j’aurais tellement aimé être un Puma.”

Bien sûr, le rugby ne règle pas tout et la détention reste dure. Mais en dix ans, l’atmosphère de la prison de San Martin a changé, détenus et gardiens le constatent. La violence entre les murs a presque été éradiquée, il y a beaucoup moins de drogue aussi.

Certains des Spartiates, comme Gabriel, ont même repris leurs études. “J’ai retrouvé l’envie d’apprendre et la discipline pour le faire, sourit Gabriel. Je prépare mon bac, ça me rendrait très fier de l’avoir, je serais le premier de ma famille.” Coco Oderigo lui aussi est fier de ses poulains : “Ça marche à la confiance, au fait aussi de dépendre les uns des autres. Depuis qu’ils sont gamins, la société leur a fait passer le message qu’elle n’attendait rien d’eux, qu’ils ne servaient à rien. Ici l’équipe a besoin d’eux alors il faut qu’ils se décarcassent pour elle. On attend quelque chose d’eux : leur présence, leurs efforts et ça change tout.”

Valeurs enseignées et confiance retrouvée

L’expérience des Spartiates a été reproduite dans 55 prisons de six pays différents. Mais la plus grande marque de son incontestable succès, c’est le taux de récidive qui n’atteint pas 5% chez ses membres, contre plus de 60% au niveau national.

Bien sûr, les valeurs enseignées à travers le sport et la confiance retrouvée ont quelque chose à y voir. Mais surtout, c’est le réseau d’entreprises que Coco a su convaincre et qui offrent aux Spartiates un premier travail à leur sortie qui facilite la réinsertion.

Diego travaille aujourd’hui comme jardinier paysagiste. Il a emporté avec lui sa passion et créé une équipe de rugby pour les jeunes de son quartier populaire : “C’est important de ne pas oublier d’où on vient, dit-il entre deux blagues à ses compagnons retrouvés. Aujourd’hui ça va plutôt bien pour moi, je veux croire que je ne reviendrai plus jamais ici pour autre chose qu’un match entre potes, et c’est en grande partie grâce au rugby.”

Lire l’article entier