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La France condamnée par la justice européenne pour ses prisons

Surpopulation, matelas au sol, crasse, bruit incessant : une trentaine de détenus avaient porté plainte pour dénoncer leurs conditions de détention. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) leur a donné raison, jeudi 30 janvier, en condamnant la France.

Saisie entre 2015 et 2017 par 32 détenus des prisons de Nice, Nîmes, Fresnes, Ducos (Martinique) et de Nuutania (Polynésie), – dont 29 ressortissants français, un ressortissant cap-verdien, un polonais et un marocain –, la justice européenne recommande à l’Etat d’“*envisager l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention“, selon un communiqué de presse diffusé par la Cour, sans toutefois lui intimer d’agir, mais en recommandant de prendre des mesures face à ce “problème structurel”.

Absence de recours effectif

Les requérants dénoncent également l’absence de recours effectif dont ils disposent, puisque le Conseil d’Etat a reconnu la violation des droits fondamentaux des détenus dans certaines prisons mais estimé qu’il n’était pas du ressort des juges administratifs d’arbitrer les choix de gestion d’un établissement pénitentiaire ou la politique pénale.

Selon les derniers chiffres trimestriels rendus publics par l’administration pénitentiaire, il y avait 70 818 personnes incarcérées dans les 188 établissements pénitentiaires français le 1er octobre 2019, pour 61 065 places opérationnelles. La densité carcérale s’établissait à 116 %, en baisse de 2 % en un an. Le nombre de matelas au sol s’élevait à 1 497, contre 1 353 un an auparavant.

Dans son arrêt, la CEDH a estimé que les détenus requérants n’avaient pas, dans leur majorité, bénéficié de “conditions de détention décentes” et a souligné la portée limitée du pouvoir d’injonction du juge administratif, condamnant la France à la fois pour absence de recours effectif et traitements inhumains ou dégradants.

“C’est un grand chantier qui s’ouvre”

Si les requêtes avaient été présentées à titre individuel par les détenus, ainsi que l’exige la procédure devant la CEDH, elles avaient été coordonnées dans le cadre d’une campagne mise en œuvre par l’Observatoire international des prisons (OIP).

Cet arrêt n’est pas un arrêt pilote, procédure instituée par la CEDH quand elle est saisie de très nombreuses requêtes sur un même problème et qu’elle fixe un délai pour le résoudre. Toutefois, pour Patrice Spinosi, l’avocat de l’OIP, l’arrêt rendu constitue un “quasi-arrêt pilote” et “une immense victoire, l’aboutissement des efforts de l’OIP depuis dix ans pour faire reconnaître l’état de délabrement des prisons françaises”. Selon l’avocat, avec cette condamnation, “c’est un grand chantier qui s’ouvre”, exigeant une “réflexion globale sur le sens de la peine” et non pas la seule construction de nouvelles prisons.*

La CEDH a déjà pris des décisions similaires contre certains Etats, comme l’Italie, la Hongrie et la Roumanie, pour les forcer à agir contre la surpopulation carcérale, sans toutefois dicter leur politique pénale. Un rapport publié en avril 2019 réalisé pour le Conseil de l’Europe plaçait la France parmi les très mauvais élèves de l’organisation en termes de surpopulation carcérale, avec un taux de 116 détenus pour 100 places, derrière la Roumanie (120) et la Macédoine du Nord (122).