Contributeur(s)Prison Insider

L’intégrité physique

La peine de mort est encore en vigueur.

Aucune exécution n’a eu lieu depuis 1991 mais des personnes continuent à être condamnées : 11 condamnations en 2015, 2 en mai 2017.

La loi antiterroriste de 2015 introduit la peine de mort comme sanction en cas d’attaque terroriste entraînant la mort d’une ou plusieurs personnes.

La peine à perpétuité est prévue par le code pénal.

Les crimes graves comme le meurtre sont passibles de la peine à perpétuité.

Les mineurs ne peuvent pas y être condamnés.

Presque tous les condamnés à mort incarcérés au moment de la révolution, en 2011, ont vu leur peine commuée en peine de perpétuité.

L’administration pénitentiaire ne publie pas de chiffres relatifs aux décès en détention.

Les organisations de défense des droits de l’homme exercent une veille sur les cas de décès suspect en détention. Les enquêtes aboutissent difficilement.

En cas de décès par mort violente ou de défaut de soins, l’administration est rarement mise en cause.

Lorsque des plaintes sont déposées, des entraves sont opposées aux plaignants ou à leur famille. Le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Tunis a par exemple refusé à la famille de Sofien Dridi, mort à la prison de Mornaguia en septembre 2015 dans des circonstances suspectes, de consulter le rapport d’autopsie ou de se constituer partie civile.

La torture est prohibée, en 1999, avec l’ajout de l’article 101bis au code pénal. Les traitements cruels, inhumains et dégradants sont assimilés, par l’article 103 du code pénal, aux “violences” et aux “mauvais traitements”. La nouvelle Constitution de 2014 interdit formellement la “torture morale et physique”.

La définition de la torture du code pénal tunisien n’est pas conforme aux textes internationaux.

Seules l’intention d’obtenir des aveux ou des informations et la discrimination raciale sont pris en compte pour qualifier un acte de torture. Les actes commis avec l’intention de punir, perpétrés sans aucun but ou sur la base d’une discrimination quelle qu’elle soit,ne sont pas considérés comme de la torture. Cela pousse les victimes à déposer plainte pour “violences”.

Les peines encourues pour menaces, intimidations ou souffrances morales sont plus courtes que pour mauvais traitement physique.

Seuls les “fonctionnaires ou assimilés” peuvent, selon la loi, être considérés comme auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements. Cela exclut les autres personnes détenues.

A ces limites légales s’ajoutent des limites pratiques qui conduisent à un régime généralisé d’impunité envers les agents des forces de l’ordre auteurs de torture et de mauvais traitements.

Le système judiciaire est défaillant : lenteur des procédures, pressions sur les juges, entraves aux enquêtes de la part de la police judiciaire. Les mécanismes de réclamations présents dans les prisons tunisiennes ne sont que très rarement mis en pratique1. Lorsque des instructions arrivent au jugement, les faits font rarement l’objet de condamnations.

Les examens médicaux-légaux constituent des éléments clés dans les dossiers relatifs aux mauvais traitements et tortures. Ils sont toutefois souvent mal menés (par exemple par des médecins non formés à la documentation de la torture) ou effectués trop tard pour constater des traces2. L’absence de constat médical est parfois dissimulée dans les rapports de police.

Les victimes sont souvent confrontées à des pressions susceptibles de les dissuader de porter plainte. Les représailles peuvent être nombreuses en prison : transfert vers une prison éloignée du domicile familial, placement en cellule d’isolement, interdiction de visites, refus de transfert à l’hôpital en cas de grave problème de santé, coups, etc. Wael C. est accusé, après avoir déposé une plainte pour torture contre un agent pénitentiaire en avril 2011, dans plus de dix affaires pour outrage à fonctionnaire. Il est transféré à plusieurs reprises et empêché de recevoir des soins à l’hôpital. Sa famille a également subi des agressions lors des visites3.

Les personnes accusées de terrorisme sont particulièrement vulnérables aux actes de torture ou de mauvais traitements. D’après un rapport publié par l’ACAT et Freedom Without Border : “*Récemment, les plaintes pour torture concernant des détenus arrêtés dans le cadre de la lutte antiterroriste et soumis à des sévices pendant leur garde à vue se sont multipliées. *”. Dans les affaires terroristes, la garde à vue peut durer jusqu’à 15 jours. Les avocats peuvent être interdits de visite pour une durée maximum de 48h.

Les actes de torture ou de mauvais traitements ont le plus souvent lieu pendant la période de garde à vue. D’après le rapport 2016 des centres Sanad qui accompagnent 171 victimes entre 2013 et 2016, la torture ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont imputés à plus de 80% aux forces de police et garde nationale. Les surveillants pénitentiaires sont mis en cause dans 15 % des cas.

Lire le reportage “Tunisie : l’impunité des forces armées” sur notre site.

Les personnes qui entrent en prison peuvent être victimes de “tabassage d’accueil” de la part des autres personnes détenues et/ou des agents pénitentiaires. Les violences peuvent aussi être verbales ou psychologiques. Un ancien prisonnier, suite à la répétition des coups subis en prison, a perdu la vue à cause des conditions insalubres en prison et l’absence de soin qui ont facilité l’inflammation. Il a été frappé contre les murs à plusieurs reprises et notamment la veille de sa libération en guise de “bizutage de départ”.

La surpopulation carcérale aiguë constitue une autre forme de mauvais traitement. Elle peut entraîner la privation de sommeil, l’exposition aux maladies contagieuses (par exemple la gale) et beaucoup de violence.

Les installations sanitaires sont très largement insuffisantes.

La santé mentale des personnes détenues ne fait pas l’objet d’une prise en charge adéquate. Les prisonniers et des membres du personnel pénitentiaire témoignent de problèmes graves liés à des troubles psychiatriques : suicides, automutilations et agressions. D’après l’étude menée par l’ONG Ensemble contre la peine de mort (ECPM), en 2012, les soins envers les condamnés à mort se limitent à la distribution de psychotropes.


  1. OMCT Tunisie, “Rapport relatif à la mise en œuvre d’un dispositif de réclamations dans les prisons de Tunisie”, 2015. 

  2. ACAT France et Freedom Without Borders, “Tunisie. Justice : année zéro ”, Janvier 2015, pp. 25-26. 

  3. Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) – Tunisie,“ L’impunité, pourquoi ? Analyses de dossiers juridiques. Rapport annuel Sanad 2016“, 2016, p. 35. 

Les autorités ont un recours excessif à la détention provisoire. 58% de la population carcérale est, en 2014, en attente de jugement en 2014. Le nombre de prévenus diminue toutefois : ils représentent, en 2016, 49,9% de la population carcérale.

La durée légale de garde à vue est, depuis juin 2016, de 24h pour les délits et de 48h pour les crimes. Elle peut être renouvelée une fois. La durée est plus longue en cas de terrorisme, jusqu’à 15 jours. La pratique la plus courante après une garde à vue est la comparution immédiate. L’avocat de la défense demande alors un report d’audience. L’accusé est ensuite placé en détention provisoire dans une “maison d’arrestation”. Ces centres sont sous l’autorité de la police (et donc du ministère de l’Intérieur). Les maisons d’arrestations sont l’objet du plus grand nombre de plaintes pour surpopulation, conditions de détention indignes, insalubrité, absence de soins, et mauvais traitements.

La durée de la détention provisoire, fixée par la loi, est de six mois. Il est possible d’y ajouter trois mois en correctionnelle ou huit mois en criminelle. Dans le cas des procédures criminelles, les délais d’instruction sont extrêmement longs et excèdent la durée légale de détention provisoire. Certaines personnes peuvent attendre leur jugement pendant deux ou trois ans, voire plus. Les prévenus formulent régulièrement des plaintes ou organisent des grèves de la faim pour demander d’être auditionné par un juge.

Les organisations de défense des droits humains n’ont, à présent, pas recensé des cas de détention au secret. Ces pratiques sont toutefois dénoncées par le passé, notamment à l’occasion de “l’affaire du Cheikh Charles Nicolle”, du nom de l’hôpital où aurait été vu un ancien prisonnier politique médiatisé, porté disparu. L’enquête ouverte en 2012 sur le sort de ce détenu et l’existence de prisons secrètes n’a, à ce jour, pas abouti. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte anti-terroriste, suite à sa visite en Tunisie en 2010, affirme que les personnes soupçonnées de terrorisme faisaient régulièrement l’objet de détention secrète. Il a constaté lors de sa visite en 2011 que les détentions non-reconnues n’étaient plus appliquées. En mai 2017, dans le cadre d’une affaire de corruption, sept personnes sont assignés à résidence dans un lieu inconnu, sans accès à leurs avocats ou à leur proche.