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Une Québécoise dans l’enfer d’une prison haïtienne

Francine Desormeaux a catégoriquement refusé de nous rencontrer avant d’avoir pu se laver.

“C’est tellement dégueulasse là-dedans”, a soufflé la femme après que deux gardiens lourdement armés l’ont escortée dans la cour avant de la prison pour femmes de Pétionville, où elle est incarcérée depuis mars 2011.

La Montréalaise de 50 ans au passé irréprochable a été arrêtée à l’aéroport de Port-au-Prince, l’an dernier, avec 1 kg de cocaïne caché dans une culotte spécialement conçue à cet effet.

Elle croyait, jure-t-elle, transporter du matériel vaudou. Selon la justice haïtienne, elle était plutôt le pion d’un homme d’affaires montréalais bien connu de la communauté haïtienne, Dejean Victor, de retour à Montréal après s’être évadé d’une prison de Port-au-Prince, en 2010, au moment où il attendait d’être jugé pour trafic de drogue.

C’est pour lui, croit le tribunal, que Mme Desormeaux aurait accepté de servir de mule. Une erreur qui lui coûte extrêmement cher.

Pendant que son patron coule des jours paisibles au Canada, elle a été condamnée à 15 ans de prison pour trafic de stupéfiants. Depuis, elle vit l’enfer.

“Je ne passerai pas au travers. Je vois tout noir. On dirait que ma seule issue, c’est la mort.”

Assise sur une vieille chaise dans la cour poussiéreuse de la prison, édifice bas aux murs décrépits composé d’un unique couloir et de cellules sombres disposées de chaque côté, Francine Desormeaux tient sa cigarette d’une main tremblante.

Elle a le dos courbé, les yeux cernés et le corps secoué de tics. Il y a quelques semaines, elle a dû se faire arracher toutes les dents d’en haut parce qu’elles avaient pourri.

“J’ai beaucoup changé depuis que je suis ici, soupire-t-elle en regardant au sol. Je ne veux pas que mes enfants me voient comme ça.”

La femme n’a pas vu sa fille et ses trois fils depuis son incarcération. Elle refuse qu’ils fassent le voyage en Haïti. “Ce n’est pas un endroit pour eux. C’est trop horrible.”

Déprimée, régulièrement malade à cause de l’eau et de la nourriture et victime d’infections urinaires à répétition, la quinquagénaire a fait deux tentatives de suicide au cours des derniers mois.

Une fois en avalant de l’eau contaminée, l’autre en ingérant des morceaux de miroir cassé. “Je n’ai même pas été malade. Rien”, dit-elle avec désarroi.

Le psychiatre qui l’a évaluée à la prison a diagnostiqué une dépression grave, des troubles de personnalité et des tendances suicidaires.

“À tout moment, il peut y avoir passage à l’acte”, écrit le médecin dans un rapport daté de septembre que nous avons obtenu. La femme ne s’en cache pas. À la prison, tout le personnel sait qu’elle veut se tuer. “Francine, elle ne va vraiment pas bien. Elle ne pense qu’à mourir”, nous a spontanément confié une gardienne lorsque nous avons demandé à voir la Canadienne, le 1er novembre dernier.

La vie est dure dans l’établissement carcéral. Très dure. La Québécoise, seule Blanche parmi quelque 150 détenues, partage sa cellule avec 9 autres femmes.Elles y passent la majeure partie de la journée, entassées les unes sur les autres. Elles n’ont pas de toilettes et les gardiens les laissent rarement sortir dans la cour pour se soulager. Elles ont un pot et des sacs.

“Imaginez comme ça peut être humiliant quand on est malade et qu’on a la diarrhée. On fait ça dans la cellule devant tout le monde et on ne peut même pas jeter les sacs après, raconte amèrement la détenue. Au début, je refusais de manger pour ne pas avoir besoin d’aller aux toilettes.”

Elle a aussi mis longtemps avant d’accepter de se laver. Chaque matin, les femmes sont réveillées à 5 h et emmenées dans la cour ceinturée par un haut mur blanc surmonté de fils barbelés.

Elles y remplissent une bassine d’eau et s’y lavent, nues, devant les autres prisonnières et les gardiens, dont plusieurs sont des hommes.

Parce que Francine est étrangère, la directrice de la prison a accepté qu’elle se lave après. Les gardiens sont là, mais pas les autres détenues.

À cause d’un problème de surpopulation commun aux prisons d’Haïti, Francine Desormeaux et ses neuf codétenues sont enfermées dans d’anciennes toilettes converties en cellule et dont le sol a été entièrement recouvert de vieux matelas. Mme Desormeaux occupe une douche désaffectée.

“C’est sale, ça pue et c’est plein de bibites, dit-elle avec dégoût. Il y a tellement de punaises que je ne me rends même plus compte que je me fais piquer.” C’est sans compter les coquerelles.

“La nuit, elles me montent dessus. Elles marchent sur mon visage. J’ai même peur d’en avaler.”

Et il y a les rats. “Les premières nuits, je les regardais courir dans le couloir. On met des cartons le long des barreaux pour les empêcher de rentrer dans les cellules, mais il y en a qui y arrivent quand même.”

La Montréalaise ne s’est pas adaptée aux piètres conditions de vie de sa prison haïtienne. Elle ne digère ni la nourriture qu’on lui sert deux fois par jour (une bouillie le matin, du riz l’après-midi) ni l’eau non filtrée. Elle a appris assez de créole pour se faire comprendre, mais ne saisit pas toujours ce qu’on lui dit.

Même si les gardiens ne l’ont jamais touchée, dit-elle, elle a peur de certains d’entre eux. “Celui-là, il me persécute. Il me crie après, il m’insulte, il me fait peur.

“Il va me rendre folle”, chuchote-t-elle en montrant un homme en uniforme qui la fixe, arme au poing, durant notre entretien. “Les autres filles se font battre à coups de bâton. Mais pas moi.”

Le 5 octobre dernier, Mme Desormeaux a formellement demandé d’être rapatriée au Canada pour purger sa lourde peine. Elle attend toujours une réponse et dit avoir très peu d’espoir d’être exaucée.

Au début du mois de novembre, les autorités haïtiennes ont affirmé qu’elles n’avaient pas reçu de demande d’extradition. “Lorsqu’on a des requêtes du genre de pays amis comme le Canada, c’est très rare qu’on les refuse.

“Mais il faut qu’on la reçoive avant de pouvoir faire quelque chose”, explique le substitut-commissaire du gouvernement d’Haïti, Me James Pierre.

Au ministère des Affaires étrangères, on a refusé de commenter le cas de Francine Desormeaux pour des raisons de confidentialité.

On nous a toutefois assuré que des services consulaires sont fournis à la citoyenne ainsi qu’à sa famille et que “les agents consulaires restent en contact avec les autorités locales afin de recueillir d’autres renseignements”.

Selon nos informations, la prisonnière devrait recevoir une visite de l’ambassade du Canada au sujet de sa demande de transfert au cours des prochains jours.

Suite à sa deuxième mission réalisée en juillet 2014, Gustavo Gallón, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Haïti, considère la situation des droits humains en Haïti comme complexe mais surmontable.

Dans son rapport publié en février 2015, l’Expert indépendant analyse les efforts déployés pour traiter cinq aspects des droits humains identifiés dans son rapport précédent comme méritant un traitement d’urgence : l’éradication de l’analphabétisme ; la détention préventive prolongée ; la réalisation des élections ; la réparation de violations massives perpétrées dans le passé et la relocalisation digne de la population déplacée par le séisme de 2010.

Nous partageons avec vous deux extraits du rapport de Gustavo Gallón, à savoir sur la détention préventive prolongée et les conditions de détention en Haïti, que nous laissons à votre appréciation…

Traitement d’urgence concernant la détention préventive prolongée : “Un deuxième aspect qui mérite un traitement d’urgence est l’abolition de la pratique de la détention préventive prolongée. Plus de 70 % des prisonniers en Haïti sont privés de liberté pendant des années sans avoir été entendus par un juge. Certaines de ces personnes ont passé plus de temps en détention préventive que la peine qui pourrait leur être imposée si elles étaient condamnées par un juge. Cette pratique est clairement contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui prévoit, en son article 9, paragraphe 3, que “ Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré”.

Il est donc crucial de prendre des mesures efficaces pour assurer que les personnes en détention préventive prolongée seront jugées ou libérées dans un délai raisonnable et d’éradiquer cette nuisible habitude des procédures judiciaires d’Haïti.

Il est évident qu’il est urgent de prendre de mesures au niveau national pour permettre de juger les cas ou de résoudre la situation de la plupart des 7,500 prisonniers en détention préventive, parmi les plus de 10,500 personnes qui passent leurs jours dans les lieux de détention haïtiens bien trop surpeuplés.

Comme l’Expert indépendant l’a signalé dans son précédent rapport, cette situation, selon les autorités, n’est pas nouvelle et serait en partie due à la capacité réduite des juges d’instruction à entendre les détenus.

Les juges ne sont pas très nombreux et ne consacrent pas suffisamment de temps au traitement des dossiers. D’après ces mêmes sources, certains d’entre eux passeraient trop de temps à donner des cours et à s’occuper d’affaires personnelles.

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