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Ukraine : Un ancien détenu d’une prison secrète du Donbass raconte

Le journaliste ukrainien Stanislav Asseyev a été incarcéré pendant vingt-huit mois à Isolatsia, où les détenus sont torturés à huis clos. Il livre un témoignage rare.

Attention, cet article traite de faits violents.


Avant la guerre, en Ukraine, Isolatsia était un grand centre culturel de Donetsk, dans le Donbass, dans l’est du pays. On s’y pressait pour admirer les expositions, installées au cœur d’une ancienne usine de matériaux isolants. Quand le conflit a éclaté en 2014 avec les séparatistes prorusses, soutenus par Moscou, le centre d’art contemporain s’est métamorphosé en prison secrète, lieu de tortures et base militaire de la République autoproclamée de Donetsk. Depuis, le “ministère de sécurité d’Etat”, les services secrets de cette province séparatiste, y enferme ceux qu’il considère comme des “ennemis du peuple”. Tout se déroule à huis clos : aucune organisation de défense des droits humains n’y a jamais eu accès.

Le journaliste ukrainien Stanislav Asseyev, lui, a passé vingt-huit mois à Isolatsia, surnommé le “Dachau de Donetsk” par d’anciens détenus. Originaire d’une ville minière du Donbass, il couvrait le conflit lorsqu’il a été enlevé, en mai 2017. Incarcéré pour “espionnage”, il a été témoin des sévices perpétrés sur les prisonniers – les tortures, viols, humiliations et travaux forcés –, avant d’être libéré en décembre 2019, sous la pression de Reporters sans frontières, Human Rights Watch et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Isolatsia n’est pas un centre de détention comme les autres. “C’est un mélange entre l’armée, la clinique psychiatrique et la prison”, explique au Monde Stanislav Asseyev, de passage à Paris, début décembre.

Le journaliste, âgé de 32 ans, également expert au Centre ukrainien de la prospective, se souvient de chaque détail.A l’automne 2017, quand de nouveaux détenus ont été torturés pour obtenir des “aveux”, le chef d’Isolatsia a obligé les autres prisonniers à entonner des chants soviétiques pour couvrir les cris. “A partir de ce jour, ces chansons sont devenues un attribut indispensable des tortures des nouveaux arrivants.”

A force d’entendre les hurlements, Stanislav Asseyev a appris à distinguer les différentes formes de torture. “Quand c’était des coups, on entendait une succession de cris, mais quand les gens étaient torturés à l’électricité, c’était un cri constant.” Le personnel médical y participait lui aussi : “Un docteur surveillait que les gens ne meurent pas pendant les sévices, puis les examinait”, raconte le journaliste.

Lui-même a été torturé au début de son séjour. Ses bourreaux ont obtenu des “aveux” au bout d’une heure. Il a été condamné à trente ans de prison, dont cinq pour avoir simplement utilisé des guillemets dans ses reportages, lorsqu’il mentionnait la “République populaire de Donetsk” – une façon de souligner que cette entité n’est pas reconnue par la communauté internationale.

Les sévices, comme tout le reste, ont été scrupuleusement filmés. Dans chaque cellule, chaque cave, des dizaines de caméras vidéo ont enregistré les moindres faits et gestes des détenus. Un jour, le journaliste a aperçu la salle de visionnage, “un grand moniteur quadrillé de dix écrans où, telles des fourmis, les détenus bougeaient dans leurs cellules”. Il ignore à quoi servent ces enregistrements et ce qu’ils sont devenus, mais cette pratique rappelle celle qui existe déjà en Russie.

Pour en savoir plus sur la situation dans les prisons russes, lisez le témoignage délivré par une source russe pour Prison Insider.