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Syrie : "On dort l'un sur l'autre", plongée au cœur d'une prison de jihadistes au Kurdistan syrien (vidéo)

Que faire des jihadistes de Daech actuellement aux mains des forces kurdes au nord de la Syrie ? Dans quelles conditions sont-ils détenus ? Les journalistes d’“Envoyé spécial” ont été autorisés à filmer l’intérieur d’une prison de haute sécurité où sont enfermés 5 000 anciens jihadistes de l’organisation terroriste.

Quelque 15 000 jihadistes de l’organisation Etat islamique sont actuellement détenus au Kurdistan syrien. Que faire d’eux ? Les garder prisonniers en Syrie ? Les rapatrier en Europe pour les juger ? C’est avec ces questions en tête que les journalistes Romain Boutilly et Florian Le Moal sont allés à la rencontre de ces détenus, parmi les plus dangereux au monde. Les autorités locales kurdes leur ont permis de visiter et filmer l’une des sept prisons où sont enfermés les anciens combattants de Daech.

Coupés du monde depuis neuf mois

A Hassaké, à deux heures de la frontière turque, sont réunis 5 000 prisonniers des plus déterminés et dangereux. Des jihadistes irréductibles, capturés après la chute du dernier bastion de l’organisation Etat islamique, à Baghouz. Pour eux, pas de promenade au sein de la prison ni de contacts avec leur famille. Depuis neuf mois, ils n’ont vu passer que la Croix-Rouge. Coupés du monde, ils ignorent que leur leader, Abou Bakr Al-Baghdadi, a été tué un mois auparavant. Pour éviter les rébellions, les journalistes ont pour consigne de ne rien leur révéler.

Entassés dans des cellules surpeuplées

Le bâtiment est une ancienne université, reconvertie par les Kurdes en prison d’une cinquantaine de cellules, toutes surpeuplées. Dans chacune d’elles s’entassent jusqu’à 130 prisonniers, de 30 nationalités différentes. Ils portent tous la même combinaison orange, fournie aux Kurdes par l’armée américaine. Ici sont mélangés les combattants suspectés d’exactions ou d’attentats et les simples soldats de Daech.

Des jihadistes recherchés par Interpol

Les conditions de détention sont difficiles. “On dort l’un sur l’autre. L’eau, elle vient 30 minutes par jour, il n’y a pas beaucoup de nourriture”, explique Daniel, un prisonnier suisse de 24 ans. Il affirme vouloir “retrouver une vie comme avant, rentrer s’occuper de [s]a famille”, mais s’avoue pessimiste. Il n’a “pas trop de regrets”, reconnaît-il. Originaire de Genève, il fait partie des premiers étrangers à avoir rejoint Daech, début 2015. Il nie avoir combattu, mais la presse suisse a publié des photos de lui en le présentant comme très dangereux. Son nom figure sur la liste d’Interpol de jihadistes étrangers ayant appartenu à la Brigade des martyrs – des hommes formés pour revenir commettre des attentats en Europe.

Deux cellules de mineurs

Dans la cellule voisine, un jeune Algérien livre certains détails sur lesquels les forces kurdes évitent de communiquer : “Il y a des gens mineurs. Ils n’ont rien à voir avec la guerre.” Il affirme qu’ils étaient là il y a encore une semaine, dans un “immeuble B”. Les gardiens de la prison les auraient déplacés pour éviter qu’ils soient à nouveau filmés, comme un mois plus tôt, par un photographe américain. Répartis dans deux cellules, 150 garçons de 9 à 15 ans, fils de jihadistes morts au combat. Les journalistes n’ont pas eu accès à ce secteur de la prison.

Les jihadistes français qui étaient détenus dans cette prison auraient eux aussi été déplacés, et interrogés par les services de renseignement français dépêchés sur place.

Extrait de “Syrie, des prisonniers encombrants”, un reportage à voir dans “Envoyé spécial” le 16 janvier 2020.