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Luxembourg : "la prison reste le reflet de la société"

Depuis ce lundi, le centre pénitentiaire de Luxembourg est officiellement dirigé par une femme. Une première dans l'histoire de la prison de Schrassig qui va connaître, dans les prochaines années, de profonds changements.

La prison de Schrassig ne vous est pas inconnue, puisque vous en étiez la directrice adjointe depuis 2016 et vous en êtes désormais la directrice. Quelles seront les premières mesures que vous comptez mettre en oeuvre?

Joke Van der Stricht: Ce qui compte avant tout, c’est de poursuivre les mesures prévues dans la loi de 2018 et la réforme pénitentiaire. Et donc que le centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) puisse bénéficier de l’ouverture prochaine de la nouvelle prison à Sanem pour permettre la mise en place d’aménagements destinés à créer un environnement moins stressant. Aussi bien pour les détenus que pour les gardiens.

Pour les détenus, les aménagements se concentreront notamment sur leur réinsertion dans la société afin de minimiser le risque de récidive. Cela passera notamment par des mesures sociales et psychologiques, mais aussi par une offre plus fournie de formations pendant leur incarcération.

C’est pourquoi nous allons poursuivre et développer nos échanges avec le ministère de l’Education nationale pour la mise en place de modules qui bénéficieront d’une certification officielle pour reconnaître les connaissances ou les savoir-faire acquis en détention. Avec comme idée d’ajuster au mieux nos ateliers aux besoins hors des murs de la prison, comme dans le secteur de l’Horeca ou la construction par exemple.

Dans son dernier rapport annuel, l’Ombudsman, en charge du contrôle des prisons, plaide pour le développement de solutions alternatives à l’incarcération. Est-ce un moyen de répondre à la surpopulation carcérale de Schrassig ou une tendance de fond en Europe?

Pour moi, l’incarcération doit effectivement être la dernière des solutions. Et je constate d’ailleurs, ces dernières années, que le nombre de personnes incarcérées est en baisse. Mais ce qui reste vrai, c’est que la prison reste le reflet de la société.

Justement, quelle vision avez-vous de la société luxembourgeoise au travers de la population carcérale présente à Schrassig en ce début 2021?

C’est une population très diversifiée, à l’image du Luxembourg. Au quotidien, le personnel pénitentiaire de Schrassig parle au moins six, sept langues avec les détenus. Et pour le reste, nous essayons tous les moyens possibles pour communiquer, même si certaines langues restent compliquées, comme le chinois ou le géorgien par exemple. Au-delà de cette composante linguistique, nous prenons en charge une population qui est composée aussi bien d’hommes que de femmes, de prévenus et de condamnés, de personnes très jeunes et d’autres plutôt âgées.

Le problème, c’est qu’ils sont tous mélangés, même si nous essayons de les séparer et de créer une place pour chacun. Mais ce n’est pas toujours évident pour le moment. Cela ira mieux une fois la nouvelle prison en activité, car cela nous permettra de créer différentes unités spécifiques, comme une unité de gériatrie ou une dédiée aux détenus qui n’avaient jamais eu de contact avec le milieu carcéral auparavant.

En attendant la fin des travaux de la prison d’Ueschterhaff prévue pour 2022 et le déménagement d’une partie des détenus en 2023, quelles solutions allez-vous mettre en place pour limiter les effets néfastes de ce mélange des différentes populations?

En ce moment, c’est difficile. Vraiment difficile. La situation ne pourra s’améliorer qu’à partir du moment où les premiers détenus commenceront à être transférés. Ce processus va encore prendre quelques années, mais c’est uniquement à partir de ce moment-là que nous pourrons mettre en oeuvre plusieurs petits changements, comme la création d’unités de vie beaucoup plus petites. Pour l’heure, il y a au moins une vingtaine de détenus qui sont à deux, voire plus, dans une même cellule. Donc dès que les transferts auront débuté, nous pourrons rapidement donner des cellules individuelles. Ce qui va améliorer le travail des gardiens.

Interrogée mi-janvier en commission parlementaire sur son rapport dédié aux stupéfiants en milieu carcéral, Claudia Monti, l’Ombudsman, indiquait qu’“une prison 100% clean est irréaliste”. Pourquoi?

Une prison sans drogue est effectivement une utopie, cela n’existe pas. Car si on fait bien évidemment tout ce que l’on peut pour éviter que des stupéfiants entrent, même avec les nouveaux moyens dont on dispose, les possibilités sont tellement nombreuses. Et surtout, ce sont de très petites quantités. Principalement du cannabis. Cette substance est interdite dans la prison, comme dans le reste du pays pour le moment, et devrait le rester dans l’enceinte pénitentiaire, selon moi, car cela désinhibe les comportements. Et peut, dans certains cas, encourager la violence.

Au vu des conditions actuelles de détention, la violence fait partie du quotidien de votre prison. La réorganisation que vous souhaitez mettre en place va-t-elle tout régler comme par magie?

Non. Mais le niveau élevé de violence qui existe pour l’heure tient notamment dans le fait que les détenus sont très concentrés, en raison de l’architecture actuelle de la prison. Pouvoir créer de plus petites unités permettra notamment de mieux prendre en compte les différentes cultures et donc de désamorcer les situations compliquées. La baisse de la population carcérale permettra aussi de créer d’autres unités, comme un bloc blanc sans drogue ou un autre dédié aux relations avec les familles.

Car il est important pour les détenus de garder des relations dignes avec ceux qui vivent à l’extérieur. A Schrassig, nous allons nous inspirer des unités de vie familiale qui existent en France et qui sont composées de petites chambres avec une kitchenette et qui offrent notamment la possibilité de faire venir des enfants. La question de la dignité apparaît donc comme centrale.