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Haïti : pénitencier national au-dedans de l’enfer

Haïti, Port-au-Prince, à la rue du Centre, à quelques encablures du Palais national, des prisonniers, sans grand espoir d’un lendemain meilleur, vivent dans la géhenne, l’invivable. Pour une population carcérale frôlant 5 000 détenus, plus de 80% ne sont pas encore passés devant leur juge naturel.

La ville est étrangement asphyxiée par la multiplication des constructions anarchiques défiant les règles de la physique, cinq ans après le séisme. Au centre-ville de Port-au-Prince, dans les parages du Palais national, un mégaprojet de construction d’une cité administrative a du plomb dans l’aile, des mois et des mois après le passage des bulldozers ayant rasé des centaines de maisons. Les terrains vagues sont reconquis pouce par pouce par des gagne-petits, des réparateurs d’appareils électroménagers, des vendeurs de pèpè, ces objets usagers soigneusement triés dans les ordures de villes américaines et envoyés sur l’île par bateau.

Au milieu de ce décor, à la rue du Centre, trois dames babillent à l’ombre des grandes murailles bleues de la prison civile de Port-au-Prince où l’Etat se rend coupable sur une longue durée de violation des droits de la personne humaine. Margarette, longiligne, visage blafard, vêtements défraîchis, crache ses récriminations contre les autorités judiciaires du pays à qui elle impute la responsabilité de tous ses déboires. Jocelyn, son seul fils, est incarcéré au pénitencier national depuis plus de 7 ans. Sans une idée exacte de ce qu’on lui reproche, elle lui apporte de quoi manger chaque matin. Elle fait la queue au portail, attend les geôliers pour enregistrer la nourriture destinée à son détenu, puis s’en va attendre de revenir le lendemain. La prison ne nourrit pas ses pensionnaires.

L’histoire de Margarette est loin d’être singulière. Rien n’indique que le changement est à l’horizon. Pour les détenus, plus de 4 000 en octobre 2015, dont 80% n’ont pas été jugés, c’est un calvaire. La prison est un monde à part. Hors du lieu et du temps. Les conditions de détention, avec moins de 2m carrés par détenu, démentent les discours et promesses poudres aux yeux des régimes qui se sont succédé au pouvoir.

Des années-lumière séparent l’État de droit claironné par l’administration Martelly et la réalité. Ici, il est facile de comprendre le pays par son système carcéral. Entre Robben Island où Nelson Mandela a été incarcéré et la prison Port-au-Prince, les frontières sont si éloignées et si proches à la fois. Là-bas, l’inhumanité a été une exception pour châtier les opposants politiques. Ici, elle est une règle.

La plus grande prison civile de la République a été construite pour accueillir pas plus de 800 détenus. Robert, un employé de l’administration pénitentiaire, explique que cette surpopulation carcérale résulte du phénomène quasi-incurable de la détention préventive prolongée. “On n’a pas un chiffre exact du nombre de détenus. Il peut varier d’un moment à l’autre. On libère 30 détenus pendant une semaine, tandis qu’on peut en recevoir jusqu’à 30 en un seul jour”. A quoi bon détenir un décompte à jour des détenus, la justice s’en moque, les geoliers aussi.

Si la prison de Port-au-Prince reçoit le plus grand nombre de prisonniers, elle n’est pas pour autant la plus convenable. Robert dira tout simplement qu’elle est la principale, il revient à elle de faire le dispatching. La République de Port-au-Prince est partout. Difficile pour l’administration pénitentiaire de fournir un chiffre sur les prisonniers ayant déjà été entendus par un juge ou qui sont en train de purger une peine régulière.

Des installations insalubres, des bâtiments surpeuplés, des violences quotidiennes insupportables… La réalité dans la prison de la rue du Centre est tout simplement chaotique. Les conditions d’incarcération sont éprouvantes. L’intimité des détenus se conjugue au conditionnel, ne pouvant pas dormir simultanément, faute d’espace. Certains vont jusqu’à confectionner des hamacs de fortune, en attachant des draps ou des morceaux de toile aux barreaux des cellules, et ce, pour tenter de conjurer cette promiscuité.

Dans ce centre de détention, la question d’espace et de cubage d’air ne se pose pas. À titre d’exemple, une guérite d’environ 8 m2 située tout près du centre de détention des policiers, renferme plus de 60 détenus. “Ici c’est un enfer. On y rentre sans savoir quand on en sortira”, lâche, posément, Robert. Entre la greffe et l’administration, une vingtaine de détenus prennent leur bain à ciel ouvert, sans se gêner du regard inquisiteur des visiteurs. La résilience c’est la plus grande vertu de l’homme haïtien, dit-on. Plus loin, un barbu fripe un morceau de papier pour l’adoucir avant d’aller déféquer dans des latrines, en plein air. Les autres doivent faire la queue ou faire leurs besoins à même le sol.

Détention préventive prolongée et normes internationales de détention Le système carcéral n’est pas en mesure de respecter les normes nationales ni internationales en matière de détention, croit Marie Yolène Gilles, responsable de programme au Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). “Les Nations unies reconnaissent un ensemble de règlements minima pour le traitement des détenus, explique-t-elle. Ce document stipule que chaque détenu doit avoir 4.5 m2 dans l’espace carcéral, et 1 agent pour 4 détenus. La population carcérale totale est de 11 484 détenus, alors que la majorité d’entre eux sont en détention préventive prolongée et attendent leur jugement.”

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