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Haïti : à Port-au-Prince, les cachots de la faim

“L’espoir fait vivre !”, crie sans rire Marlon Romage, le nouveau directeur du pénitencier national de Port-au-Prince, face à un contingent de prisonniers malades, allongés dans une partie de la prison qu’on destine en général aux victimes du choléra. Un simple toit de tôle, une centaine de lits individuels, pas de murs. Depuis quelques semaines, on y parque les cas les plus sévères de malnutrition.

L’un d’entre eux est mort la nuit dernière. On n’avait pas encore évacué son corps que sa place, déjà, était réquisitionnée. Une vingtaine de prisonniers souffrent d’anémie si grave qu’on a dû leur transfuser du sang fourni par la Croix-Rouge. Un jeune homme passe. Il est si maigre que deux de ses codétenus doivent le soutenir. “Vous savez ce que je pense quand je vois ça ? demande le directeur. On devrait fermer cette prison et l’inscrire au patrimoine haïtien.”

Le pénitencier national de Port-au-Prince a toujours été l’un des pires endroits du pays. Une immense bâtisse, blanche, bleue, sale, d’une vétusté accentuée par les traces du séisme de 2010. Une surpopulation intenable, plus de 4 000 détenus pour 700 places, moins de 0,4 m2 par homme, dont 10 % sont atteints de tuberculose. C’est aussi une prison d’innocents, puisque huit personnes sur dix y sont maintenues en détention préventive, en moyenne plus de trois ans, souvent plus de dix ans, sans rencontrer un juge.

Depuis quelques mois, la situation s’est aggravée, avec des ruptures fréquentes dans l’alimentation de la population carcérale. En février, l’Etat haïtien enterrait collectivement 20 détenus, la plupart ayant succombé aux conséquences de la malnutrition.

Sida, tuberculose, malnutrition…

Dans le dispensaire du pénitencier, une cour dont la pharmacie est presque vide, le docteur Brutus a les yeux rougis :

“Bien sûr que je suis ému ! Je travaille ici depuis 1995 et je n’ai jamais vu une situation aussi catastrophique. Avant, les détenus recevaient deux rations de nourriture par jour. Depuis que les moyens manquent, on ne leur donne souvent qu’une seule ration, et de mauvaise qualité. On n’est pourtant pas là pour les tuer !”

Sur un lit de fortune, un patient tient en l’air un bras qui semble avoir doublé de volume. Sa plainte continue résonne dans tout le bâtiment. Le médecin Edwin Prophète, de l’ONG Health Through Walls, tente de lui administrer des antibiotiques :

“Nous nous consacrons au traitement des malades de la tuberculose et du sida. Mais la malnutrition nous contraint à adapter notre action. Certains détenus sont si diminués qu’ils ne peuvent pas prendre leurs médicaments. Hier, l’un de mes patients est mort. Il s’appelait Benito, il avait 36 ans, comme moi. On le soignait depuis quatre mois pour une tuberculose. Il avait tellement faim qu’il grattait les murs et mangeait la terre.”

L’ONG américaine, qui est l’un des rares acteurs de santé présents en permanence dans les prisons haïtiennes, a testé l’indice de masse corporel de 1 700 détenus : plus de 300 étaient très en dessous des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les administrations pénitentiaire et judiciaire haïtiennes ne tentent plus de cacher l’ampleur de la crise ni leur incapacité à assurer la survie des 10 000 détenus du pays.

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