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Ghana : dans les prisons à ciel ouvert pour "sorcières"

A Kukuo, dans le nord du pays, une centaine de femmes accusées de sorcellerie vivent dans des conditions rudimentaires. Et ne sortent jamais du village, par peur du lynchage.

Awabu Issakaku a le corps frêle, la démarche lente, le regard las. Cette petite femme, qui a «entre 83 et 86 ans» selon ses dires, sort rarement de la hutte qu’elle occupe dans le village de Kukuo, dans le nord du Ghana, à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Togo. «Je vis grâce à la générosité des autres habitants du village qui me donnent de la nourriture et vont me chercher de l’eau», témoigne-t-elle.

Awabu est originaire de Yindi, une ville située à 70 kilomètres au nord de Kukuo. Mais elle y est persona non grata. La raison : Awabu a été accusée de sorcellerie il y a dix ans par un habitant du village. «Un de mes voisins est allé voir le chef pour lui dire qu’il m’avait vue dans un rêve l’attaquer», raconte-t-elle en dagbane, la langue la plus courante dans le nord du pays. Dans une région où les superstitions et les croyances sont particulièrement ancrées, Awabu n’a eu d’autre choix que de partir. Elle est alors conduite dans le camp de «sorcières» de Kukuo. Huttes

«Il y a aujourd’hui cinq camps au Ghana, tous dans le nord du pays. Quelque 300 femmes y vivent. Il y en avait 468 en 2008», avance Alia Mumuni, membre de l’ONG ActionAid, qui milite pour la fermeture de ces camps. Le Ghana est officiellement le dernier pays au monde à en conserver. «La plupart de ces femmes sont des veuves isolées, sans enfant, qui n’ont pas les moyens de subvenir seules à leurs besoins. Leurs conditions de vie sont très dures», poursuit-elle. De nombreuses raisons peuvent conduire à l’accusation de sorcellerie : un mort dans l’entourage ou bien encore le fait de ne pas enfanter un garçon. Et si ces femmes refusent l’enfermement, elles risquent la mutilation, la lapidation ou la mort.

A Kukuo, les huttes des «sorcières» se mélangent à celles des autres habitants. Le village compte un millier d’âmes, la plupart agriculteurs, dont quelque 113 «sorcières». Un chiffre en baisse puisqu’elles étaient plus de 200 il y a dix ans. Les occupantes du camp vivent dans des conditions rudimentaires. Elles dorment à même le sol et seuls quelques ustensiles de cuisine et des sacs de riz habillent leur intérieur. Elles ne sortent jamais du village, de peur d’être «lynchées», comme le raconte Samantha, 90 ans.

La femme, au dos voûté, a été conduite dans le camp en 2017, après la mort de son fils, auquel elle avait rendu visite. «J’ai été accusée d’être responsable de son décès. J’ai alors dû quitter mon village et ma maison», soupire-t-elle. La vieille femme, qui a des difficultés à se mouvoir, vit avec sa fille, venue l’aider dans le camp. Cette dernière parcourt chaque jour plusieurs kilomètres pour aller chercher de l’eau. «Je ne pourrais absolument pas le faire moi-même», poursuit Samantha.

Dans la hutte d’à côté, Kpani n’a pas la même chance. Après plusieurs décès dans sa famille, cette dame de 80 ans est accusée de sorcellerie et conduite dans le camp. «Personne ne prend soin de moi, ma famille ne prend pas de nouvelles», témoigne-t-elle. Pratiquement aveugle, elle ne peut survivre que grâce à l’aide de ses voisins. «Pédagogie»

Le gouvernement ghanéen a longtemps été accusé d’inertie devant la situation. «Il faut que les autorités se saisissent de la question», estime Issah Michael Mustapha, membre de l’ONG ActionAid, qui vit dans le village de Kukuo. «Mais il n’est pas possible de fermer du jour au lendemain un camp, il faut d’abord s’assurer que les femmes qui s’y trouvent ont de la famille qui pourra les accueillir par la suite», poursuit-il.

Adamou Dassama, 56 ans, a vécu pendant douze ans dans le camp de Kukuo, après avoir été accusée du meurtre de plusieurs membres de sa famille. “La vie n’y était pas facile, et c’était une lutte quotidienne”, témoigne-t-elle. Grâce à l’ONG ActionAid, elle a pu être libérée du camp. Mais il lui a été impossible de retourner vivre dans son village natal, de peur que les habitants ne veuillent s’en prendre à elle.

Adamou Dassama vit désormais chez sa fille dans le village de Bimbila, situé à quelques kilomètres seulement du camp de Kukuo. “Le plus important aujourd’hui est que le gouvernement fasse de la pédagogie au sein des communautés contre ces superstitions, qui sont surtout tournées contre les femmes. Car il existe bien un camp de ‘sorciers’, comme celui de Gnani, mais les hommes peuvent en sortir au bout de quelques jours, ce qui n’est pas le cas des femmes”, estime Issah Michael Mustapha.

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