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France : Voiture de police incendiée: Antonin Bernanos est remis en liberté

Antonin Bernanos, l’une des sept personnes mises en examen dans l’affaire de la voiture de police incendiée le 18 mai 2016 à Paris, a été remis en liberté après dix mois passés en prison, mardi 28 mars. Son cas est devenu un symbole des dérives de la détention provisoire.

En liberté sous contrôle judiciaire, après dix mois en détention provisoire. La cour d’appel du tribunal de grande instance de Paris a finalement suivi l’avis du juge des libertés et de la détention (JLD) et autorisé Antonin Bernanos à sortir de prison. « C’est un soulagement immense, a confié Yves Bernanos, son père, à l’issue de l’audience. Depuis des mois, nous avions tellement le sentiment que la mécanique judiciaire allait systématiquement dans le même sens que nous nous étions même interdit d’espérer. » Hugo Lévy, l’avocat ayant plaidé la cause d’Antonin Bernanos mardi 28 mars au tribunal, confirme le changement de braquet des magistrats : « Cette chambre d’instruction a enfin fait preuve de rationalité en restituant aux faits leur dimension véritable. Ils ont appliqué l’esprit et la lettre de l’article 144, reconnaissant que toutes les garanties de représentation étaient assurées concernant Antonin et surtout que son maintien en détention n’était absolument pas utile à l’apparition de la vérité. » Il faut dire que trois juges des libertés et de la détention consécutifs ont demandé la sortie de prison du jeune homme. Le parquet a systématiquement fait appel. « Le parquet défend l’intérêt des victimes, en l’occurrence des fonctionnaires de police, rappelle Hugo Lévy. Vu les circonstances, il avait un intérêt certain à l’emphase… » L’intransigeance des magistrats précédents sur le maintien en détention prend effectivement racine dans le fond de l’affaire elle-même.

Au printemps dernier, une voiture de police est incendiée en marge d’une manifestation sauvage contre les violences policières, dans le centre de Paris. La scène, abondamment filmée et photographiée, va faire le tour des télévisions, des réseaux sociaux, et suscite des condamnations quasi unanimes de la classe politique et médiatique. Une enquête pour tentative d’homicide volontaire est ouverte le soir même, dans une certaine précipitation. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, annonce quatre interpellations avant que les premiers témoins n’aient été entendus, pas même les policiers attaqués. Les quatre mis en examen le sont seulement sur la foi des renseignements généraux de la préfecture de police de Paris, qui les désignent comme « faisant partie d’un groupe auteur des faits », selon des documents que Mediapart a pu consulter. Antonin Bernanos, ainsi que son frère Angel, font partie du lot. Sans nier leur présence à la manifestation, ils contestent depuis bec et ongles toute participation à l’attaque contre les policiers.

Car au-delà de l’utilité relative de la détention provisoire pour les besoins de l’instruction, la remise en liberté d’Antonin Bernanos signe également la fragilité des accusations portées contre lui, selon Hugo Lévy. En mai dernier, déjà, un premier juge des libertés et de la détention écrivait ceci dans son ordonnance, que Mediapart avait pu consulter : « Avant de placer un jeune homme en détention provisoire dans un dossier criminel avec les conséquences qui vont en résulter sur sa vie entière, quelques certitudes sont de rigueur. Il n’y en a pas s’agissant de l’agression contre le policier. » Même si l’instruction n’est pas close, de nombreuses failles sont apparues dans le dossier, donnant de plus en plus de grain à moudre à ceux qui crient au procès politique. « La thèse de la bande organisée, dont Antonin Bernanos serait l’instigateur, est désormais infirmée. Il est question dans ce dossier de tout un tas de choses, d’une mouvance d’extrême gauche, d’un groupe radical… C’est bien simple, les termes changent aussi vite que les autocollants dans la chambre d’un lycéen ! », ironise l’avocat.

Le point le plus saillant est la validité du principal témoin disant avoir reconnu en Antonin Bernanos le jeune homme qui a défoncé la vitre arrière du véhicule à l’aide d’un plot, ce 18 mai. Un témoignage sous X, recueilli quelques heures après la garde à vue des jeunes gens. L’anonyme est en réalité un fonctionnaire des renseignements généraux de la préfecture de police. Formel en mai sur son identité et son allure, il n’a plus voulu répondre sept mois plus tard, lorsque les avocats de la défense l’ont interrogé sur les vêtements qu’Antonin portait alors.

Ce témoin clé du dossier n’a pas non plus vu les deux personnes ayant pourtant avoué leur participation à l’incendie de la voiture de police, quelques mois plus tard. Car depuis le mois de mai, trois personnes, n’apparaissant pas dans ces fameuses notes des renseignements, ont également été mises en examen, et deux d’entre elles ont reconnu leur implication dans des faits de violence. Notamment les coups à la tige de fer portés contre le policier. L’une d’entre elles a même été identifiée comme l’auteur des faits reprochés jusqu’ici à Angel Bernanos. Le parquet avait d’ailleurs connaissance de cet élément dès la fin du mois de mai, et a néanmoins confirmé la mise en détention d’Angel, le 2 juin.

Angel, le plus jeune des Bernanos, est finalement sorti de sa cellule le 1er juillet 2016. Son frère aura passé presque un an entre les murs de Fleury-Mérogis. Il est libre mais sous contrôle judiciaire strict, qui comprend l’éloignement de l’Île-de-France où il réside normalement. Son cas, qui n’a pas encore été jugé sur le fond, a donné lieu à une intense mobilisation, impliquant notamment le site d’information Prison Insider et la Ligue des droits de l’homme (LDH). L’association a même organisé avec des proches une conférence de presse la veille de l’audience, sur la question de la détention provisoire, le cas d’Antonin Bernanos faisant office de symbole d’une « peine par anticipation ».

« Cette affaire est révélatrice de deux choses en matière judiciaire, a relevé Arié Alimi, représentant de la LDH. Premièrement le traitement est disproportionné quand des policiers sont victimes. Ensuite, les juges ont intégré le fait que la détention provisoire est devenue le principe et non pas l’exception. » La loi est en effet claire à ce sujet : le recours à la détention provisoire ne peut être qu’exceptionnel, sur le principe de la présomption d’innocence.

Or, selon les chiffres du ministère de la justice rapportés par Le Monde, au 1er janvier 2017, 9 498 personnes, non encore jugées ou dont la peine est frappée d’appel, étaient incarcérées, soit 28,5 % des détenus. L’exception est donc bien devenue une règle, d’autant plus que ces chiffres croissent d’année en année et que les durées en détention provisoire s’allongent également (concernant les personnes poursuivies pour des crimes, 25 mois en moyenne). D’après un rapport au vitriol sur le sujet, remis en décembre 2016 par la Commission de suivi de la détention provisoire, la détention provisoire est pourtant un « véritable sismographe » : « La détention provisoire irrigue toutes les problématiques de la justice et est tapie au cœur de tous ses dilemmes et impuissances. Elle est d’abord un des principaux symptômes des dysfonctionnements du système judiciaire et des impasses de la gestion pénitentiaire. »

Antonin Bernanos, étudiant en sociologie, reconnu comme un très bon élément par ses professeurs, est blanc, vit à Paris et a reçu un soutien constant de sa famille et des ses proches pendant toute la durée de sa détention (lire ici cette lettre de soutien d’enseignants chercheurs, étudiants et citoyens). Il a poursuivi ses études et même passé ses examens en prison, soutenu par plusieurs professeurs et camarades d’université. Tables rondes, journées d’études et rassemblement contre les violences policières et institutionnelles (voir le portfolio ici) ont permis de mettre son cas en lumière. « Difficile de savoir de quelle manière tout ceci a pesé dans sa remise en liberté, explique son père Yves Bernanos. Mais il s’est passé quelque chose aujourd’hui qui ne s’est pas passé entre juin et décembre. On avait à l’époque gardé le silence, peut- être parce que nous avions la conviction à l’époque que ça ne pouvait pas durer. C’est contraints et forcés que nous avons fini par mettre tout ça sur la place publique. Cela veut dire aussi que ceux qui sont isolés, dans l’anonymat, peuvent pourrir en prison pendant deux ou trois ans sans avoir été jugés. Ce que cela dit sur notre système judiciaire est terrible. » L’affaire est cependant loin d’être close. L’instruction devrait s’achever rapidement, d’après une source proche du dossier, mais le procès d’Antonin Bernanos pour tentative d’homicide volontaire pourrait ne se tenir que dans plusieurs mois, voire années.

l’article sur Médiapart