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France : une vie entre les murs, le défi des longues peines de prison

L’un ne veut plus sortir après près d’un demi-siècle en prison. Un autre multiplie les incidents et les années à l’isolement. Plusieurs ont replongé après leur libération. Des spécialistes des longues peines pointent la gestion complexe de ces détenus «sans espoir» et leur épineuse réinsertion.

«Pour pouvoir survivre, leur avenir n’est pas à 20 ou 30 ans, mais à dix ou quinze jours», assure Damien Pellen, directeur du centre de détention d’Argentan (Orne), passé par les maisons centrales de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) et de Condé-sur-Sarthe (Orne).

Cinq, dix ou vingt ans? Il n’existe pas de définition de la longue peine, mais pour M. Pellen au-delà de «dix, douze ans, on sent une rupture avec l’extérieur. Il y a une telle évolution technologique, sociétale qu’ils sont complètement déconnectés quand ils sortent».

Des études ont démontré que les effets psycho-sociaux d’une incarcération et la perte d’autonomie et de repères se ressentent dès cinq ans, rappelle Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP).

Les profils des longues peines - condamnés aux crimes les plus graves - sont aussi divers que les établissements qui les accueillent. Mais les maux d’une longue détention sont souvent les mêmes: distension du lien familial, sur-adaptation au milieu carcéral et anxiété à l’approche de la sortie.

Le plus ancien prisonnier de la maison centrale de Poissy (Yvelines), arrivé en 1972, ne veut pas en partir. Il est revenu d’une permission sous escorte en disant: «Ne me faites plus jamais sortir», raconte la directrice adjointe Isabelle Lorentz. «Il est incarcéré depuis tellement longtemps que l’institution est devenue son repère».

Il y a «ceux qui se laissent happer et ceux qui vont être dans le refus et l’opposition», distingue Marie Crétenot. Les plus «ingérables» feront dix, vingt, cinquante établissements. Rachide Boubala, condamné en 1996 à trois ans pour un braquage raté, libérable en 2038, est un «cas extrême». Sa «résistance au système pénitentiaire» - outrage, menaces, jets d’excréments, agressions, prises d’otage ou encore trois feux de cellules qui lui coûteront «cinq ans chacun» selon Mme Crétenot - lui a valu d’amasser les condamnations «internes».

- Sorties “manquées” -

Nombre de longues peines présentent des troubles psychiatriques, souvent renforcés par le poids et les années de la détention. «Ce sont ceux qui nous posent le plus de difficultés, avec les violents, car nos personnels sont peu formés», commente Cécile Izard, directrice de détention à la centrale d’Arles (Bouches-du-Rhône).

L’usure, l’intolérance à la frustration, l’absence de perspectives… «C’est le cercle vicieux: plus ils se dégradent, moins ils en sortent et on en fait des gens qui vont squatter nos quartiers d’isolement pour des années», remarque Vincent Vernet, directeur du centre pénitentiaire ultrasécuritaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). L’un de ses ex-pensionnaires a ainsi passé «huit ou neuf ans» à l’isolement.

Juge de l’application des peines dans le ressort d’une autre prison très sécurisée, Condé-sur-Sarthe, Hugo Rialland note un «paradoxe: parfois ce sont les personnes posant problème en détention qui ont des chances de s’adapter au milieu libre. Ils ont un potentiel pour lutter. Et retrouver la liberté, c’est aussi lutter sous certaines formes».

«La sur-habitude carcérale» fait que beaucoup «manquent la sortie», poursuit le juge, qui a compté «jusqu’à sept retours sur dix» à Condé.

«Parfois la longueur de peine est tellement importante que le retour à la case prison est inévitable», affirme un chef d’établissement, pour qui il manque en France une réflexion sur la durée des peines prononcées. «Condamner quelqu’un à 30 ans, quel sens ça a?», interroge-t-il.

En 2006, dix «perpèt» de la centrale de Clairvaux (Aube) avaient lancé un retentissant appel à rétablir la peine de mort, préférable selon eux à de trop longues peines les faisant «crever à petit feu».

Une décennie plus tard, les détenus longues peines restent «les grands oubliés des politiques pénales», déplore Marie Crétenot.

Selon les chiffres de l’Administration pénitentiaire, au 1er juillet 2018 près de 500 détenus purgeaient une peine de réclusion à perpétuité, un millier une peine supérieure à 20 ans et quelque 5.200 une peine de plus de dix ans. Plus de 71.000 personnes sont actuellement incarcérées en France.

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