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France : suicides en prison

"La détention est toujours un choc très violent”

Le ministre de la Justice a commandé vendredi 21 août une mission d’inspection sur les suicides en prison, en légère hausse. Pour le père Jean-François Penhouët, aumônier national catholique des prisons et de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, l’expérience de la miséricorde est rendue difficile pour les personnes détenues, au sein d’une société très préoccupée par la sanction.

Entre le 1er janvier et le 17 août dernier, 82 suicides en détention ont été recensés, soit 10 de plus que l’an passé sur la même période. Au total, on en comptait 128 en 2019 et 131 en 2018.

Que vous inspire ces chiffres ?

Je dirais que les suicides en prison sont toujours difficiles à évaluer. On ne compte pas toujours les cas où la personne décède à l’hôpital après une tentative de suicide en prison. Il faut aussi considérer toutes les tentatives qui n’aboutissent pas : des personnes détenues se “coupent” régulièrement, ce sont des appels au secours, et ils sont préoccupants.

Ces suicides seraient-ils imputables à une dégradation des conditions carcérales ?

Je pense pouvoir répondre non. On constate surtout trois moments clés générant chez certains un passage à l’acte : d’une part, l’arrivée en prison. La détention est toujours un choc très violent, les détenus vivent au début un fort sentiment d’abandon. Il y a aussi le moment du procès, avant et après, et en particulier aux assises. Enfin, il y a l’angoisse de la sortie, pour plusieurs raisons : l’appréhension de quitter les habitudes de la prison, de devoir retrouver un logement, de vivre avec cette rupture des liens familiaux… Ce sont les trois grandes étapes de fragilisation. Évidemment, il y a une attention de l’administration pénitentiaire, particulièrement pour les nouveaux entrants, mais ils ne peuvent pas mettre un surveillant derrière chaque gars 24h sur 24, et c’est toujours très délicat à prévenir. Parmi les personnes détenues que j’accompagne, trois gars parlent ouvertement du fait de se suicider. On se dit que quand ils en parlent, ils ne le feront pas, mais j’ai toute de même accompagné deux personnes qui en parlaient et sont passées à l’acte.

S’agit-il toujours de profils avec des fragilités ou pathologies psychiques ?

Non. À titre d’exemple parmi les trois personnes dont je vous parlais et qui évoquent l’idée du suicide, deux sont fragiles, ont des addictions, alcool, stupéfiants… Un autre a eu une belle réussite sociale, une situation a dégénéré et il a commis un meurtre, mais ne semblait pas avoir une psychologie particulièrement fragile. Aujourd’hui, c’est surtout cet immense sentiment de culpabilité qui le fait songer à la mort. Le fait d’être incarcéré peut aussi générer le fait que des personnes plutôt équilibrées versent dans des pathologies.

On a beaucoup parlé de la résilience dans l’univers carcéral. Est-elle vraiment effective aujourd’hui ?

C’est difficile à dire, cela ne répond pas vraiment à des statistiques. Je constate qu’il y a des personnes assez solides psychologiquement et qui s’en tirent, par l’acquisition des codes de la prison et des relations avec les autres, ou la participation aux différents services, formation professionnelle, activités sportives, culturelles, aumônerie…

Mais en règle générale, la résilience est très difficile, surtout en raison de la philosophie sous-jacente du système pénitentiaire actuel : tu as fait du mal donc on va te faire souffrir pour racheter le mal que tu as fait. Comme son nom l’indique, une peine, il faut que ce soit pénible. Je ne suis pas persuadé que cela suffise à faire avancer les choses.

Par ailleurs, il y a des mécanismes psychologiques qui empêchent souvent les personnes détenues de se relever. Je pense à un gars que j’accompagne. Il n’a pas été abandonné par ses amis, ni sa famille, ni ses anciens collègues de travail, mais il dit : “Je ne veux pas que les gens me soutiennent car ce que j’ai fait est trop horrible”. Cette culpabilité entraîne une véritable difficulté à se relever.