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Source : Mediapart
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Comment et quand s’est formé ce que vous appelez “le consensus punitif” ?
Il est né de l’effritement du consensus réhabilitatif : pendant longtemps, les questions de délinquance étaient régulées au niveau local. Les délinquants sont alors vus comme les ratés de la modernisation sociale, notamment pendant les trente glorieuses, qui ont permis le développement d’un mieux-être réel dans les milieux populaires. Il y a alors l’idée qu’il faut remettre ces gens-là dans le droit chemin. On les laisse entre les mains des professionnels de la sécurité – les policiers, les magistrats, les éducateurs. À la fin des années 1990, il ne s’agit plus de réhabiliter, mais de punir davantage. Ce qui provoque ce changement de regard, c’est d’abord le chômage de masse, la précarisation de l’emploi, la dégradation de l’habitat dans les quartiers populaires. Cela transforme la manière dont est perçue la délinquance et celle dont on sort des comportements déviants. Avant, on disait “il faut que jeunesse se passe”, et il y avait une passerelle entre les codes de la rue et le monde ouvrier. L’anti-autoritarisme, qui dehors fait s’en prendre aux policiers, aux adultes, a pu fabriquer d’excellentes générations de militants politiques et syndicaux. Non seulement ces jeunes n’étaient pas rejetés par le monde du travail, mais en plus ils y trouvaient une stabilité qui leur permettait de “se ranger”. Aujourd’hui, la précarité empêche de faire des projets. Cette impasse génère des désordres avec des jeunes qui se fabriquent une identité propre, faite de débrouille, de travail au noir, de petit deal. C’est là-dessus que prospère le discours sur l’insécurité. Dans les années 1990, des politiques locales vont ensuite constituer la sécurité en problème à part entière, la “désencastrer” de la question sociale. Les associations d’élus locaux créent des commissions pour discuter de conflits sociaux d’usage de l’espace public, et c’est là qu’on monte en généralité. On arrache les problèmes à leurs réalités concrètes et hétérogènes pour parler de “la responsabilité des parents”, de police municipale, de vidéosurveillance. On échange des “bonnes pratiques”, le marché est investi par des consultants, des “experts” en sécurité. La technicisation efface le clivage gauche-droite. Ce travail des élus locaux va alors prendre dans des débats de politique générale dans un contexte particulier : la désaffection des classes populaires pour les partis politiques “traditionnels”. L’ensemble du spectre politique veut jouer sur la partition de la sécurité pour reconquérir ces votes. La question de la délinquance est alors reformulée, notamment au parti socialiste (PS). Pendant longtemps, on en faisait une conséquence des inégalités économiques. Cette perspective, qui a donné naissance aux “politiques de la ville”, laisse place à l’idée de la responsabilité individuelle du délinquant. La formidable inflation législative qui se déploie alors vient de là.
Comment se traduit cette inflation sécuritaire et quelles en sont les conséquences ?
Trois phénomènes sont observables. D’abord une accélération de la réponse pénale. Cela donne une réorganisation du fonctionnement de la justice : les parquets s’engorgent puisqu’on commence à tout poursuivre. On invente la « 3e voie », des mesures d’alternative aux poursuites : rappel à la loi, médiation, réparation… La différence de ces mesures avec un traitement plus informel, c’est que cela laisse une constance dans les fichiers. Par ailleurs, il y a une extension du spectre des comportements qui sont punis par le droit. Depuis 1997, plus d’une vingtaine de lois ont été votées sur des questions de sécurité. Il y a plus de 60 modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale, c’est extraordinairement important. Ces lois successives créent toute une série de nouveaux délits. L’accélération et l’extension produisent ensuite un durcissement important des condamnations. Ce phénomène est très net quand on regarde la justice des mineurs. Les mineurs ne sont pas délinquants plus jeunes, ils sont poursuivis beaucoup plus jeunes qu’auparavant par les institutions pénales.
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