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Source :  Blog Mediapart de l'OIP-SF

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France : soins psychiatriques en prison, un pansement sur une plaie béante

À l’entrée, je me suis dit : “Mais c’est pas une prison ici, c’est un hôpital psychiatrique.”

La réflexion de cette ancienne détenue n’a rien de surprenant. La proportion de détenus dont l’état nécessite des soins psychiatriques est colossale. D’après la dernière étude de grande ampleur réalisée sur le sujet, une personne détenue sur quatre serait atteinte de troubles psychotiques ; une sur douze répondrait aux critères de diagnostic de la schizophrénie. Une autre étude révèle qu’à l’issue de la visite médicale d’entrée, un suivi en psychiatrie serait préconisé pour la moitié des personnes.

Un premier repérage peut en effet avoir lieu dès l’entrée en prison, à l’occasion d’une consultation réalisée avec un infirmier psychiatrique. Si besoin, il doit permettre de proposer à la personne un suivi médical adapté. Sauf que ce type de procédure n’est “pas généralisé dans tous les établissements”, apprend-on dans un rapport des inspections générales des affaire sanitaires (IGAS) et des services judiciaire (IGSJ). De la même manière, la gravité de l’état de santé doit en principe déterminer l’orientation vers une prise en charge en ambulatoire (à l’intérieur de la prison mais hors de la cellule), en hospitalisation de jour ou en hospitalisation complète. Sur le terrain, l’accès des détenus aux soins psychiatriques est pourtant loin de suivre ce schéma optimal.

Une offre de soins inégale et insuffisante

En cause notamment, un faible nombre de structures et des moyens insuffisants : des carences qui engendrent une offre de soins très variable selon le lieu d’incarcération. En théorie, les détenus souffrant de troubles psychiatriques peuvent être pris en charge dans l’un des 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) installés dans des établissements pénitentiaires. Dans les faits, une minorité d’entre eux y ont accès : l’implantation inégale de ces structures lèse en particulier les personnes détenues en maison centrale et les femmes. Comme l’a souligné le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2016, celles-ci sont quasiment toutes exclues des cellules d’hospitalisation à temps partiel et des consultations en SMPR – même quand une telle structure existe dans leur établissement.

Ici, cela fait de nombreuses années qu’on se bat pour que les femmes puissent venir au SMPR, témoigne Basile Charpentier, psychomotricien au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. C’est en train de bouger, mais pour les voir, nous nous déplaçons toujours en maison d’arrêt ou en centre de détention pour femmes avec notre matériel. Ça n’exclut pas des femmes des soins, mais ça complique la prise en charge.

Les détenus ne sont pas non plus égaux dans l’accès aux hospitalisations de jour. “À cause du manque de place, les SMPR ont tendance à recruter à partir de leurs propres patients, moins à partir des autres établissements pénitentiaires”, explique Michel David, psychiatre et président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (APSMP).
En 2011, seules 20 % des personnes bénéficiant d’une hospitalisation de jour dans un SMPR venaient d’un établissement différent. Par ailleurs, les délais d’attente sont particulièrement importants pour la majorité des détenus. “Pour une consultation au SMPR de Perpignan, il faut compter environ huit semaines. C’est ingérable”, soupire Nicolas Haegman, psychiatre au centre pénitentiaire de Béziers.

Du fait de ce maillage insuffisant, la majorité des détenus sont suivis en ambulatoire par des psychiatres et des psychologues exerçant à temps partiel à l’unité sanitaire. Des locaux où il est plus difficile, voire impossible, d’organiser certaines activités thérapeutiques comme des groupes de paroles. Mais la difficulté majeure dans les établissements non dotés d’un SMPR, c’est le recrutement de psychiatres. En 2016, 22 % des postes budgétés n’étaient pas pourvus. Ceux qui sont occupés correspondent très souvent à des temps partiels ou à des vacations. Une grande partie des unités sanitaires ne bénéficie donc d’un psychiatre qu’au maximum deux jours par semaine. Un dysfonctionnement qui concernerait avant tout les zones rurales, peu attractives pour les médecins. “Le métier ne fait pas rêver, les collègues qui bossent en détention sont usés, abîmés. Il y a beaucoup de turn over”, souligne un praticien. Là encore, ce dysfonctionnement implique des délais considérables : le détenu peut attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant une consultation.

Des obstacles inhérents à la vie carcérale

La prison n’est pas un lieu de soin. C’est un lieu où l’on souffre, mais ce n’est pas un lieu de soin”, explique Isabelle Boisier, ex-cadre dans un SMPR. Au-delà de l’offre disparate, les contraintes propres à la vie carcérale suffisent à ralentir, voire à empêcher l’accès aux soins. Dans certains établissements, la multiplication des sas, des grilles ou encore les normes de sécurité peuvent devenir des obstacles infranchissables.

Dans une centrale, on ne peut pas déplacer les gens facilement. Quand l’administration pense qu’une personne est dangereuse, les surveillants doivent être quatre pour l’accompagner en consultation et ne vont la sortir que munis d’un équipement de sécurité. L’opération peut facilement prendre une heure“, explique Christine-Dominique Bataillard, psychiatre à la maison centrale d’Arles.

Dans les centres de détention ou les maisons d’arrêt, des mouvements imprévus ou des retards dans l’ouverture des portes des cellules peuvent aussi faire rater des rendez-vous médicaux. Et partout, la stigmatisation des pathologies psychiatriques contraint certaines personnes à renoncer aux soins, par crainte des agressions. « Le fait de venir au SMPR est repéré par les surveillants et les codétenus, alors que dehors, ça ne se sait pas forcément qu’on va chez le psy », souligne Michel David.

Le secret médical malmené

D’après plusieurs personnes interrogées, la dépendance vis-à-vis des personnels de surveillance fausse inévitablement la confidentialité des soins. “Dans la mesure où les surveillants gèrent les mouvements, assurent la sécurité dans l’unité de soin, sont présents dans les endroits où se fait la distribution des médicaments, font des fouilles dans les cellules, accompagnent les détenus à l’hôpital… Le secret est très relatif”, estime Guillaume Monod, pédopsychiatre au quartier mineurs de Villepinte. Pour le préserver au maximum, les soignants membres de l’APSMP ont choisi de ne pas participer aux commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) et de ne consigner aucun rendez-vous dans le logiciel de gestion de la détention Genesis (également utilisé par des surveillants et les juges de l’application des peines). “On a pourtant eu des pressions pour cela. On nous expliquait que ce serait un moyen sûr d’avoir nos patients, moins de retards, etc.”, se rappelle un psychiatre. Pour certains professionnels de santé, le respect du secret n’empêche pas forcément toute communication avec la pénitentiaire.

On n’a pas besoin de donner d’information sur le patient pour donner des indications de travail. Cela m’arrive de donner des conseils pratiques à des surveillants, du type “Essayez comme ça avec lui”. Ils repartent avec quelque chose de plus utile que si je leur avais dit que la personne était schizophrène“, pointe une psychologue exerçant en unité sanitaire.

L’usage de soins contraints pourtant illégaux

Au-delà des tensions récurrentes sur le partage d’informations, le CGLPL relève des pratiques portant atteinte aux droits des malades et à l’indépendance des soignants. La liste des dérives est longue. À la maison d’arrêt de Strasbourg par exemple, l’absence de boîte aux lettres dédiée rendait impossible, en 2015, une correspondance confidentielle entre les personnes détenues et les soignants. Dans les recommandations en urgence publiées la même année sur cet établissement, le CGLPL s’alarme de la présence de caméras de vidéosurveillance dans les salles d’activité du SMPR. Autre exemple : dans des quartiers de certaines prisons, des surveillants assureraient la remise des piluliers contenant les médicaments.

**“Les rapports de visite du CGLPL montrent que dans certains établissements, des psychiatres ont préconisé l’utilisation des cellules de protection d’urgence pour prévenir une crise suicidaire. Il s’agit pourtant d’une mesure pénitentiaire“, rappelle Cyrille Canetti, psychiatre ayant exercé dans plusieurs prisons. **

Il arrive aussi que le vendredi, des médecins prolongent d’office le placement dans ces cellules pour ne pas devoir se déplacer le week-end”. Au centre pénitentiaire de Château-Thierry, spécialisé dans la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques, des traitements et injections ont été administrés de force à des détenus (lire page 27) – ce qui est pourtant illégal en prison. Une pratique qui ne serait pas isolée et concernerait aussi certains SMPR, comme celui de Lyon-Corbas. Des soins sans consentement y ont été administrés dans une cellule d’hospitalisation de jour devenue une chambre d’isolement.
Le placement des personnes détenues dans cette cellule obéit à des modalités qui ne sont conformes ni à la déontologie médicale, ni aux règles pénitentiaires européennes”, constate le CGLPL en 2014. “Dans ce rapport, on apprenait que les détenus y étaient parfois piqués sans accord et privés de visite, de parloir, de cigarette, d’activité. S’ils étaient un peu agités, ils étaient pris en charge par des surveillants équipés plutôt que par des blouses blanches”, se rappelle Cyrille Canetti. “Or si la loi n’a jamais validé la pratique des soins contraints, c’est précisément pour éviter la confusion entre la maîtrise physique à des fins de punition et celle à des fins thérapeutiques.

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