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France : prisonniers, au pied de la lettre

En France, les correspondances des 70 710 détenus sont toutes surveillées et parfois censurées. Entre sécurité et voyeurisme, le personnel pénitentiaire s’immisce dans la vie privée détenus.

Je vais vous raconter ma journée d’aujourd’hui, suivie de quelques dénonciations”. Telle est la première phrase d’une lettre envoyée au Genepi, une association militant pour le décloisonnement des institutions carcérales récemment privée de ses subventions du ministère de la Justice. Ce détenu de Moulins-Yzeure, en Auvergne, y raconte les repas congelés, les prises de tête avec les surveillants et les fouilles abusives. Il fait la lumière sur ce qu’il se passe à l’intérieur et prend quelques risques en dénonçant, par voie postale, des abus de l’administration pénitentiaire. Comme lui, certains prisonniers sont des habitués de la plume. Ils écrivent quasiment chaque semaine à leur famille ou à des associations, tantôt oreilles attentives tantôt porte-voix avec des émissions de radio ou des journaux dédiés au milieu carcéral.

En prison, la correspondance est un droit fondamental : elle ne peut en aucun cas être interdite.
À leur arrivée dans l’établissement pénitentiaire, les prisonniers reçoivent un kit contenant du papier, quelques enveloppes timbrées et un stylo. Ce maigre butin a pour mission de garantir le maintien des liens familiaux comme exigé dans le code de procédure pénale.

Les prisons ont l’obligation de proposer des moyens de communication. Le téléphone étant excessivement onéreux et le parloir n’ayant d’intérêt que pour ceux qui ont des proches qui peuvent se déplacer, beaucoup se tournent vers le papier.

Pour Sylvia, ancienne détenue courte peine passée par Fleury-Mérogis, le courrier était “une brève évasion” chaque jour. “À l’intérieur, on sait bien qui en reçoit ou qui n’en a jamais, c’est un sujet de discussion important : on prend des nouvelles de la famille, on se soutient quand certaines reçoivent des annonces difficiles”, décrit-elle. Et si tout le monde n’a pas le réflexe d’écrire, ni l’envie de correspondre, tous les détenus doivent s’y faire. La moindre demande d’entretien ou de rendez-vous à l’infirmerie, la moindre requête doit se faire par écrit. Ce fonctionnement discrimine d’emblée une partie de la population carcérale, notamment les prisonniers étrangers ou les personnes illettrées, qui doivent se débrouiller autrement. Généralement, ils font appel à un codétenu de confiance, les traducteurs et écrivains de l’administration pénitentiaire étant très souvent surchargés.

Les prisonniers le savent : tous les courriers sont ouverts par le personnel pénitentiaire pour vérification du contenu. Alors jusqu’où cela peut-il aller ? La lecture des courriers est seulement une des façons dont l’intimité est atteinte en prison. Mais elle participe à alimenter un système sécuritaire privant les détenus d’espace de liberté. Sylvia le déplore : “Entre les douches devant les surveillants et les fouilles à nu, oui la relecture des lettres paraît moins grave, mais ça contribue à alimenter notre sensation d’être épié dans toutes nos activités”. Et si cette “*obsession de tout voir *“est moins marquée qu’il y a dix ou vingt ans, si les lettres ne sont plus caviardées par endroits, la relecture existe toujours.

Si le vaguemestre 1 détecte un élément suspect, il met la lettre de côté et la remonte à la direction. Le juge d’instruction décide de la bloquer ou non” – Jocelyn Defawe, responsable des relations presse de la Direction de l’Administration Pénitentiaire

Plus qu’un simple contrôle du courrier entrant et sortant, c’est tout un système qui est en place : distribution du papier, achat de timbres et d’enveloppes en cantine, relève de différentes boîtes aux lettres à chaque étage des établissements pénitentiaires, distribution à La Poste, vérification des plis ouverts ou fermés selon les correspondants, relecture aléatoire ou systématique des lettres. L’organisation est cadrée, le mécanisme bien rodé. Du moins, en apparence.

Car dès les premiers jours de détention, les délais de réception des lettres en découragent plus d’un. Des prévenus[^note2] incarcérés en juillet ont écrit à leurs proches pour leur dire “Je vais bien, ne t’inquiète pas, peux-tu m’apporter du linge propre s’il-te-plait?”“Leurs familles ont reçu les courriers début octobre, raconte Amélie Morineau, présidente de l’association des avocats pour la défense des droits des détenus, “*mettre quatre mois à recevoir des courriers comme ça est difficile à comprendre pour eux, difficile à expliquer pour moi”.

Autre fait difficile à expliquer, un peu plus grave aussi : les manquements au secret professionnel des vaguemestres. Le poste répond pourtant à des critères précis. Ce personnel administratif dédié à la mission du courrier est tenu au secret professionnel et à une rigueur sans faille. Pourtant, quelques fois, certaines informations personnelles semblent s’échapper des courriers, posant alors de vraies questions sur le respect de la vie privée des détenus. Normalement, des boîtes aux lettres sont à disposition des détenus afin de maintenir la confidentialité et de faciliter la récupération des courriers par le vaguemestre. Dans les faits, le contrôleur des lieux de privation de libertés remarque parfois que les surveillants récupèrent les lettres avant de les donner au vaguemestre, laissant alors la porte ouverte à quelques relectures officieuses si certains en avaient l’envie.

Cette observation, relevée par plusieurs associations, nous est confirmée par Sylvia, l’ancienne détenue aujourd’hui militante pour les droits des prisonniers. « Un jour, une des surveillantes gradées m’a dit que mes enfants m’avaient écrit. C’était assez anodin et sans méchanceté mais sur le coup, je n’ai pas compris car je n’ai pas d’enfants. J’ai réalisé de quoi elle parlait quand j’ai reçu une lettre d’une amie dans laquelle elle avait glissé une photo de ses enfants. Elle avait bien d’une manière ou d’une autre su que j’avais ce courrier ». Sylvia était une détenue discrète, elle le rappelle à plusieurs reprises, elle n’a jamais été dans le viseur des surveillants. “Par contre, j’ai vu des filles à qui on ne distribuait pas leur courrier, c’était un vrai moyen de pression entre le détenus.” Un moyen de pression et surtout un sujet de moquerie. François Bès, coordinateur à l’Observatoire international des prisons (OIP), recueille régulièrement des témoignages sur des surveillants d’étage faisant ouvertement des remarques aux détenus à propos de leurs courriers. “Parfois ils surnomment le détenu comme sa femme l’a fait dans un courrier ou rigolent sur certaines expressions.

Ces incidents à répétition poussent les individus mettre peu à peu leurs sentiments sous-scellés, quand leurs lettres ne le sont pas. Au-delà de la rupture physique, l’auto-censure les isole de leurs proches une seconde fois. “Quand on s’est moqué de vous parce que vous avez échangé des mots tendres avec des proches, on arrête de le faire, regrette François Bès. La prison bousille les relations”. Une conséquence du système carcéral qui peut avoir de graves répercussions sur le moral.

Dans sa déclaration, un des deux détenus va plus loin et dénonce un climat de violence et de tension avec le personnel de Fresne. Il dit être menacé en raison des courriers qu’il reçoit de l’OIP

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  1. Personnel habilité à relire les courriers- [^note2]:Détenus pas encore jugés définitivement, dont les lettres doivent passer par le juge d’instruction, ndlr.