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France: les détenus étrangers sous-protégés, notamment dans les Outre-mer, selon l’Observatoire international des prisons

L’Observatoire international des prisons se penche sur la question des étrangers incarcérés. Constat : surreprésentation, discriminations, et privation des droits les plus élémentaires, notamment dans les Outre-mer.

La France fait partie des pays les plus souvent épinglés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ses conditions de détention souvent jugées inhumaines. Avec 19 condamnations à ce jour, dont la dernière date du 30 janvier 2020, la France se trouve dans la liste des nations visées par des arrêts leur intimant de réformer leur système carcéral, avec la Russie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l’Ukraine… mais également l’Italie ou la Belgique. Pour rappel, la condamnation de janvier par la CEDH faisait suite à une saisie de 32 personnes incarcérées dans six établissements pénitentiaires, dont trois dans les Outre-mer : Ducos (Martinique), Nuutania (Polynésie) et Baie-Mahault (Guadeloupe).

Dans le dernier numéro de sa revue “Dedans Dehors” (décembre 2020), intitulée “Etrangers détenus, sur-représentés, sous-protégés”, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) fait une analyse exhaustive de cette question, en évoquant notamment la situation dans les Outre-mer. Dans un chapitre consacré à la barrière de la langue en détention, l’OIP relève une remarque du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur la prison de Rémire-Montjoly en Guyane : “Alors que la moitié de la population pénale est d’origine étrangère, les requêtes doivent être formulées par écrit et en français, d’où l’importance du rôle des écrivains publics. Leur nombre est néanmoins limité.

Pour les non-francophones, souligne l’OIP, “la culture du tout-écrit entraîne des situations de dépendance. En l’absence d’écrivain public, ce sont souvent les codétenus qui leur apportent une aide concrète pour leurs démarches”. Par ailleurs, toujours en Guyane, selon le CGLPL, “les conditions d’octroi d’un permis de visite à des personnes étrangères n’ont pu être clairement explicitées”.

À Mayotte, le traitement pénal et carcéral réservé aux étrangers est “accablant”, pour l’OIP, qui s’est entretenu avec Marjane Ghaem, avocate dans ce département. “À la maison d’arrêt de Majicavo, seule prison de l’île, près de la moitié des personnes détenues sont pourtant de nationalité étrangère, essentiellement comoriennes”, souligne l’Observatoire. “Alors que 84% de la population de l’île vit sous le seuil de pauvreté, j’ai été choquée de constater que, devant le tribunal correctionnel, rares sont les personnes qui comparaissent assistées d’un conseil – ce qui est tout à fait inconcevable en métropole”, s’indigne l’avocate. “*Les raisons sont multiples : un bureau d’aide juridictionnelle ouvert deux demi-journées par semaine, une procédure complexe, des demandes abusives de pièces, aucune demande d’aide juridictionnelle déposée depuis la maison d’arrêt… Beaucoup vont abandonner car c’est trop compliqué. D’autres ne savent même pas qu’ils y ont droit, surtout s’ils sont en situation irrégulière ou demandeurs d’asile.

Pour des petits délits audiencés à juge unique, je dirais que huit personnes sur dix sont jugées sans avocat. Et cela ne semble choquer personne, ni la juridiction ni le barreau…“ Concernant la prise en charge des personnes en détention à Mayotte, Marjane Ghaem précise que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ne travaillent pas de projet de sortie pour les personnes en situation irrégulière.

Par ailleurs, dit-elle, “en tant qu’avocate, obtenir la désignation d’un interprète n’est pas chose aisée alors que nombre de détenus ne parlent que le shimaoré. Comment assurer la défense d’un client en urgence dans de pareilles conditions ? Les interprètes sont tous réquisitionnés par le tribunal ou les services de police, nous sommes loin d’être prioritaires”.

Sur le thème de la surpopulation carcérale, pour lequel la France a d’ailleurs reçu une “piqûre de rappel” de la Cour européenne des droits de l’homme en novembre 2020, l’enjoignant d’engager un ensemble de réformes pour faire face à ce problème, l’OIP revient sur les conditions d’incarcération indignes à la prison Camp-Est de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Leur dureté extrême avait d’ailleurs été vivement dénoncée il y a quelques années par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans des recommandations en urgence.

Ces dernières décrivaient des cellules de 12 m2 pouvant accueillir ‘jusqu’à six personnes’, dans lesquelles se trouvait souvent, entre deux rangées de lits superposés, ’un matelas posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards’.

Elles relataient la chaleur ‘vite éprouvante’ des cellules, des ‘WC à la turque’ n’offrant aucune intimité et dont les conduites d’eau étaient ‘détournées pour pouvoir servir de douche, sans la moindre protection vis-à-vis des installations électriques pourtant dégradées’, ou encore des ‘remontées d’égouts fréquentes’ qui ‘empestent l’atmosphère des cellules’“, cite l’Observatoire international des prisons.

Pour revenir à la question des détenus étrangers, dans l’Hexagone et dans les Outre-mer, “la violence du monde carcéral est fréquemment renforcée par d’autres considérations : isolement, éloignement géographique des proches, barrière de la langue, discriminations, pauvreté, etc. Et rien ne semble être mis en œuvre par l’administration pénitentiaire pour atténuer ces difficultés du quotidien”, fustige l’OIP.

Soulignant la nécessité d’une véritable “volonté politique pour proposer un cadre légal davantage protecteur”, l’Observatoire précise que “les quelques avancées récentes n’ont été rendues possibles que par l’acharnement d’avocats ou d’associations soucieux de forcer l’entrée du droit commun en détention – un droit qui trouve le plus souvent à s’appliquer faute de dispositions législatives contraires. De cette mobilisation dépend le sort d’un public carcéral sur-représenté mais manifestement sous-protégé.”