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France : le suivi des "longues peines" qui ont commis des infractions sexuelles

Dans la prison de Riom, dans le Puy-de-Dôme, où la majorité des "longues peines" ont commis des infractions sexuelles, un suivi psychologique est mis en place. Le but : aider les condamnés à prendre conscience de leurs actes et prévenir la récidive.

Au loin, un horizon ondulé et verdoyant. Celui dessiné par la cime du puy de Dôme, volcan majestueux et endormi, dans le ciel bleu d’un matin d’hiver. Voilà le paysage que peuvent observer les “longues peines”“ de la prison de Riom, en Auvergne-Rhône-Alpes, depuis la fenêtre de leur cellule individuelle. Une “chance”, à en croire le taxi qui nous dépose devant l’établissement pénitentiaire flambant neuf, en périphérie de la ville de 19 000 habitants. Ni miradors ni filins anti-hélicoptère : ici, la population pénale présente “un degré de dangerosité modéré”, écrivait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l’été 2017 dans un rapport de visite de cette prison inaugurée un an et demi plus tôt.

Derrière les murs, entre 550 et 650 détenus au total : de la maison d’arrêt, où sont affectés séparément les hommes et les femmes en attente de leur procès ou condamnés à moins de deux ans de prison, au centre de détention où sont placés les condamnés à plus de deux ans d’enfermement. Lors de notre visite, ils étaient 162 - uniquement des hommes - dans ce quartier. Parmi eux, plus de la moitié sont des “auteurs d’infraction à caractère sexuel” (AICS). Autrement dit des violeurs, des pédocriminels, des pères ou beaux-pères incestueux, des détenteurs d’images pédopornographiques… Et pour cause, Riom est l’un des 23 établissements pour peine (sur 96) labellisés dans leur prise en charge et rattachés à un établissement de santé afin d’assurer un suivi psychologique et médical adapté. Alors que 12 000 condamnations pour crimes et délits sexuels sont prononcées chaque année, selon la Fédération française des centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs), comment sont suivis ceux que leurs codétenus traitent de “pointeurs” ?

Des coursives au terrain de pétanque, on croise quelques silhouettes bedonnantes, des crânes dégarnis et des tempes grisées par le temps. L’âge moyen des prisonniers condamnés pour des infractions sexuelles s’élève à 47,3 ans, contre 32 ans en moyenne pour les autres détenus, selon les chiffres transmis par le ministère de la Justice à Libération. Car entre le temps des victimes, dont la parole peut mettre des années à se libérer, et le temps de la justice, les AICS sont souvent condamnés des années après la commission des faits.

Derrière les barreaux, ceux qui occupent le bas de l’échelle carcérale - loin derrière l’aura des braqueurs - font souvent l’objet d’une ostracisation qui passe par la violence verbale, voire physique. “Y a pas de gros bras, ici, se félicite Michel (1), cheveux en brosse et look tiré à quatre épingles. Avant, à la maison d’arrêt, c’était plus compliqué… La cour de promenade n’était pas protégée : on se faisait tout le temps traiter de “pointus”.” Auprès de ses codétenus, Michel préfère donc cacher les raisons de sa présence, même si “un jour ou l’autre, ça finit toujours par se savoir. Entre les réseaux sociaux, les parloirs avec la famille, la presse et les rediffusions à la télé…” Une psychologue du parcours d’exécution de peine (PEP) souligne : “Comment pourraient-ils échapper à la stigmatisation en détention, alors qu’ils sont d’abord rejetés par la société ?” Beaucoup ont perdu leur famille après la révélation des faits, d’autres ont la trouille de représailles : “J’ai l’impression d’être épié à chaque coin de rue, de pouvoir prendre un coup de fusil à tout moment”, a confié un détenu après une permission encadrée.

Travail de fourmi

Le matin de notre arrivée, un prisonnier qui s’était porté volontaire pour échanger avec nous fait finalement défection. La crainte d’être pointé du doigt parcourt son courrier de bout en bout : “Je ne tiens pas à ce que l’on sache pourquoi je suis ici. […] Je ne suis pas un prédateur sexuel», se défend-il, redoutant d’être réduit à cette figure monstrueuse. Un discours symptomatique chez les délinquants et criminels sexuels, entre honte de soi, déni partiel ou total des faits et peur d’être jugé.

“Il y a un véritable travail d’acceptation et de reconnaissance des faits à engager avec les AICS, qui ont parfois tendance à minimiser leurs actes”, rebondit Nathalie Grand, la responsable du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Puy-de-Dôme. Surtout lorsque les faits se sont déroulés dans un huis-clos familial qui a fini par voler en éclats. “Ces infractions de l’ordre de l’intime restent encore taboues”, commente la directrice de l’établissement, Magalie Brutinel.

Depuis la loi du 17 juin 1998 “relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs”, les AICS peuvent être condamnés à un suivi socio-judiciaire, assorti d’une injonction de soins. Selon la chancellerie, cette peine visant à prévenir la récidive est ordonnée pour plus d’un auteur de viol sur deux. Durant sa détention, une personne condamnée peut toutefois ne pas consentir à une prise en charge sociale, médicale et psychologique. Or, “si aucun travail n’a été entamé, quand la personne va passer du dedans au dehors, ça va être compliqué de pouvoir gérer toutes les émotions et excitations qui vont survenir”, prévient une psychologue. “Dès le départ, on va donc inciter le détenu à se faire soigner”, explique Magalie Brutinel. Un travail de fourmi et d’accompagnement qui passe aussi par des leviers comme la perspective d’une réduction de peine, d’une libération conditionnelle ou l’obtention d’une permission.

Une fois éliminée la possibilité d’une pathologie psychiatrique (il y en a très peu), on prend en charge au cas par cas. Il y a des détenus “lisses” que rien n’accroche, des “pervers” - qui viennent plus rarement consulter. Mais pas de profil type, si ce n’est que ce sont majoritairement des hommes. Beaucoup partagent une souffrance notable, une faible estime d’eux-mêmes, “des environnements affectifs et éducatifs carencés”, des “failles narcissiques”, énumère un psychiatre de l’unité sanitaire. Et “une proportion non négligeable d’auteurs ont subi des violences sexuelles durant leur enfance”, souligne-t-il. En revanche, très peu prennent des traitements chimiques, assure le médecin, à l’exception d’antidépresseurs.

Prise de conscience

Pour ce psychiatre, “la reconnaissance des faits est un élément très important”. C’est même la première étape d’un long travail de compréhension des origines et des conditions du passage à l’acte. “Quand on m’a arrêté, j’ai commencé par nier”, se souvient Alain (1), qu’on rencontre dans un parloir familial de quelques mètres carrés, dessins d’enfants aux murs. Il a fallu presque trois ans à celui qui voit le psy une à deux fois par mois pour “sortir les mots”, “tout balancer”. Les mains agitées, il déplie une lettre, liste en quatre points : prise de conscience, engagement, responsabilité, pardon. On dirait qu’il récite. Il dit : “Ça a pris du temps d’accepter de se pardonner soi-même.” Et les victimes ? Le procès a été dur, souffle-t-il. “Tout ce que je leur souhaite, c’est d’avoir une vie de femme, qu’il n’y ait pas de séquelles…” “Au départ, j’étais totalement dans le déni», raconte à son tour Michel, qui a vécu son incarcération comme «un coup de bambou”.
Le début d’une prise de conscience : “Par devoir pour ma famille, je me suis dit : faut que tu te bouges, que tu te soignes.” Aujourd’hui, s’il n’a pas “tout résolu” - “Est-ce que ça peut l’être ?” -, ce quinquagénaire affirme avoir réalisé les “dommages collatéraux énormes” de ses actes. Il parle beaucoup, comme Alain, de sa propre vie qui a volé en éclats : famille, amis, statut social. Mais n’a que peu de mots spontanés pour les victimes, même s’il finit par lâcher : “J’ai commis quelque chose, je ne suis pas victime. Il ne faut pas confondre les rôles.” Le médecin psychiatre rappelle : “En tant que thérapeute, on n’est pas là pour juger.” Même si cela implique parfois de lutter contre soi-même. Comme cette fois où un soignant a noté la présence d’un patient pédophile, dont il assurait le suivi hors de la prison, sur une ligne de bus régulièrement empruntée par sa fille.