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France : le quinquennat Hollande vu des prisons

Présence de rats, puces et autres parasites dans de nombreuses prisons, rapports en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les Baumettes, Nouméa et Strasbourg, multiplications des condamnations pour traitement inhumains et dégradants, records de surpopulation… Les scandales pénitentiaires auront rythmé ce quinquennat, comme les précédents. Au-delà des conditions matérielles de détention, ces années ont été marquées par l’échec du politique à repenser la réponse aux problèmes récurrents de violences, de désœuvrement, d’accès aux soins… “Nos prisons sont pleines mais vides de sens”, constatait Mme Taubira à son arrivée place Vendôme. Cinq ans plus tard, le constat reste le même.

Des conditions de détention toujours aussi indignes

En décembre 2012, le CGLPL publiait des recommandations en urgence sur la prison des Baumettes à Marseille, pointant une “violation grave des droits fondamentaux”. Dans la foulée, l’OIP obtenait du tribunal administratif une condamnation de l’État pour traitement inhumain et dégradant et une injonction à exécuter des travaux. Si l’avis du CGLPL et les recours engagés ont permis de mettre en lumière les conditions de détention à Marseille, cette prison est loin d’être la seule à faire face à des problèmes de surpopulation, de vétusté et d’insalubrité. Au 1er janvier 2017, 124 établissements étaient surpeuplés (quatre d’entre eux ayant un taux d’occupation supérieur ou égal à 200 %) et 1 638 détenus étaient contraints de dormir sur un matelas au sol. En septembre 2012, Luis, détenu à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, décrivait à l’OIP sa cellule humide et sale, dans laquelle on pouvait trouver* “de la moisissure, des trous dans les murs, de la peinture crasseuse”*.

L’absence d’eau chaude en cellule, le manque d’intimité et une surpopulation chronique venaient compléter cet état des lieux déplorable.

Près de trois ans après, deux députés du Finistère en visite dans l’établissement constataient que les détenus étaient toujours privés d’eau chaude, tandis que le directeur de la maison d’arrêt se plaignait d’une baisse significative du budget d’entretien pour l’année en cours.

“Il est patent que si l’État sait construire, il ne sait pas entretenir”, pointait la Cour des comptes en 2011. La question du budget alloué à l’entretien des établissements pénitentiaires est récurrente et particulièrement problématique quand il s’agit de prisons anciennes et vétustes. En 2013, des personnes détenues à la maison centrale de Saint- Martin-de-Ré décrivaient la vétusté, l’insalubrité et l’exiguïté des cellules de 6,5 m2 de cet établissement mis en service en 1875. Les vieilles fenêtres, non-étanches, laissaient passer l’air, l’humidité et la pluie : “j’ai dû rester pendant une semaine dans une cellule inondée (…) avant qu’elle ne soit réparée” dénonçait un détenu. Un autre se plaignait de problèmes d’eau chaude dans les douches en raison d’une chaudière vétuste. Même tableau à la maison d’arrêt (MA) de Strasbourg-Elsau : “malgré les travaux effectués, l’eau des douches est glaciale”, relevait le CGLPL dans des recommandations en urgence formulées en 2015. Côté conditions d’hygiène et de salubrité, le constat est tout aussi désastreux. Aux Baumettes, à Fresnes, Poissy, Seysses, Séquedin… détenus et personnels ont dû côtoyer quotidiennement rats, cafards, puces, punaises et autres nuisibles. Seules des actions en justice, suite aux recours engagés par l’OIP et des personnes détenues, ont permis la mise en place ou le renforcement des dératisations et désinsectisations de certains de ces établissements. En cinq ans, pas moins de 31 établissements pénitentiaires ont été considérés par les tribunaux comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants.

Les nouvelles prisons déshumanisées

Censés pallier la surpopulation, la vétusté et l’insalubrité des prisons françaises, de vastes programmes de construction de nouvelles prisons ont été lancés à partir de la fin des années 1980. Une ligne politique poursuivie sous le quinquennat de François Hollande, avec l’ouverture, entre 2012 et 2016, de quinze nouveaux établissements et l’annonce, en fin de mandat, de la construction de 33 nouvelles prisons. Mais ces nouveaux établissements s’avèrent à leur tour rapidement pleins, voire engorgés. Ouvert en 2013, le centre pénitentiaire de Rodez affiche le 1er février 2017 un taux d’occupation de 117,2 % au quartier maison d’arrêt. Celui de Majicavo (Mayotte), ouvert en 2015, de 124,8%. Et Valence, également ouvert en 2015, de 105,2 %.

Si elles offrent de meilleures conditions matérielles, ces prisons n’en sont pas pour autant plus humaines. “L’exigence de dignité mentionnée dans les programmes se réduit essentiellement à des considérations matérielles d’hygiène et de confort” résume le géographe O. Milhaud. L’obsession sécuritaire au cœur du dispositif de ces nouveaux établissements a pour conséquence de cloisonner, de séparer les détenus en mettant en place des obstacles physiques pour empêcher les contacts humains. Ceux-ci sont aussi limités par des dispositifs automatisés : portes actionnées à distance, surveillance vidéo. “*Il y a trop de portes, de grilles (chaque section a un sas de deux grilles), des milliers de caméras, tout ça donne une ambiance froide presque clinique, je plains ceux qui restent ici”*, témoigne en avril 2012 un détenu de Réau en attente de transfert. De l’aveu même de sa directrice, le quartier maison centrale de cet établissement, entré en service en mars 2012, a une “architecture oppressante”.

“Ma cellule est au premier étage, l’architecture empêche toute vision au loin. J’ai calculé que la distance de vision la plus grande par ma fenêtre est de moins de dix mètres”, écrit un détenu le 29 mars 2012.

Inaugurée en 2013, la prison hyper sécurisée de Condé-sur-Sarthe, construite pour accueillir les détenus les plus violents, est comparée par les premiers arrivants à “Guantanamo”, à “un QHS moderne”, ou “un cimetière”. “Tout a été fait pour casser le collectif”, résume un syndicaliste. De fait, les couloirs sont ici déserts, les détenus ne peuvent pas se croiser. Ce qui conduit un autre détenu à confier à l’OIP : “J’ai souvent l’impression d’être seul dans cette prison et que je ne sortirai jamais d’ici”.

À cet isolement interne, vient s’ajouter celui généré par la localisation de la plupart de ces nouveaux établissements pénitentiaires. Construits en grande périphérie des villes, voire en zones rurales, ils ne sont généralement pas ou mal desservis par les transports. Située à quatre kilomètres d’Alençon, la maison centrale de Condé par exemple n’est desservie par aucune navette de bus. Il faut s’y rendre en voiture ou en taxi. Alors les intervenants socio-culturels, avocats et professionnels ne se bousculent pas pour intervenir dans l’établissement. Les deux visites qu’effectue chaque mois l’épouse d’un détenu habitant à 400 kilomètres lui coûtent 600 euros en frais d’essence et d’hôtel. Pour la plupart des détenus, le transfert à Condé a entrainé une diminution des parloirs. Depuis son ouverture, cette centrale a connu de multiples incidents, parmi lesquels violences et prises d’otage, souvent dans le but d’obtenir un transfert dans un autre établissement.

Une politique de sécurité génératrice de violences

Qu’elles soient anciennes ou neuves, les prisons ont vu se succéder nombre de faits divers carcéraux. Prises d’otages, mouvements collectifs et agressions ont rythmé les années du quinquennat.

En réaction à la surpopulation, aux conditions de détention indignes, à l’absence de réponse aux demandes de transfert et au peu d’aménagements de peines accordés, ces événements ont eu pour seule réponse une gestion sécuritaire et répressive.

Ce modèle de sécurité dite “défensive” repose sur un double objectif d’isolement et de dissuasion, sans apporter de solution aux dysfonctionnements pointés par les personnes détenues. Le plan sécurité de Christiane Taubira présenté en juin 2013, qui double les moyens alloués à la sécurité passive avec 33 millions d’euros supplémentaires, s’inscrit dans la même logique : renforcement des filets, glacis, concertinas, de la vidéosurveillance et des équipes cynotechniques.

Le 4 septembre 2016, soixante détenus de la maison d’arrêt d’Angers refusent de regagner leur cellule dans le but de dénoncer les conditions de vie dans cette prison vétuste et surpeuplée. L’administration engage des poursuites disciplinaires à leur encontre et les supposés meneurs sont sanctionnés de dix jours de quartier disciplinaire. Les conditions de détention elles, restent inchangées. Dans les semaines qui suivent, ce sont les détenus d’Aiton, de Grenoble, de Poitiers et de Valence qui se soulèvent. Avec pour réponse, transferts, sanctions disciplinaires et poursuites pénales. Le nombre de mouvements collectifs est en constante augmentation ces dernières années : 667 en 2011, 874 en 2012, 1111 en 2013, et de 33 % entre 2014 et 2015.

En 2007, puis en 2010, deux groupes de travail de l’administration pénitentiaire constataient que “la violence surgit quand il n’y a pas d’espace de conflictualisation organisé (droit de grève, droit à manifester, droit à la syndicalisation, à l’association par exemple)”, car il manque en prison “des lieux où le détenu, avant de s’emporter”, peut “exprimer ses griefs (contre tel dysfonctionnement, contre l’attente, etc)”. “On peut parler, demander”, témoigne Éric après 27 ans de détention, mais “on ne nous répond pas”. Ces deux groupes encourageaient la mise en place d’un autre modèle de sécurité, dite “dynamique”. Inspirés des recommandations du Conseil de l’Europe, visant notamment à offrir des espaces d’expression et de médiation. À la maison centrale d’Arles, un programme de consultation des détenus et de médiation relationnelle mis en place par le directeur à partir de 2007, avec la formation et l’intervention de “détenus facilitateurs”, a permis d’apaiser le climat au sein de l’établissement, à la fois entre détenus et administration pénitentiaire, mais également lors des conflits entre personnes détenues. Une expérience positive, qu’il a reproduite à son arrivée au centre de détention du Port à la Réunion en 2012, puis à Rémire-Montjoly en Guyane après les mouvements collectifs de juin 2015. Mais si ces expériences gagneraient à être généralisées, elles restent dépendantes de la seule volonté des chefs d’établissements, à défaut d’être portées et encouragées par l’administration centrale.

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— Par le pôle Enquête de l’OIP-SF