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France : le Cese tire la sonnette d'alarme sur la réinsertion

“A la sortie de prison, on ressent de la joie mais aussi beaucoup de déception. On est laissés à l’abandon, livrés à nous-mêmes, et on doit tout reprendre à zéro”, confie Omar, un ancien détenu suivi par l’association de réinsertion Wake Up Café. Après avoir été emprisonné neuf ans, le trentenaire n’a toujours pas retrouvé d’emploi ni de logement stable, plus d’un an après sa sortie. Ce mardi, il est venu dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour témoigner du parcours du combattant que représente la réinsertion. Saisi en septembre, pour la première fois sur ce sujet, par le Premier ministre, le Conseil présentait ses conclusions en présence de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Près de 80 organisations de la société civile ont travaillé sur cet avis, avec un mot d’ordre : “La réinsertion des personnes détenues, l’affaire de tous et de toutes”.

Une machine à désintégrer

“La prison est une machine à désintégrer plutôt qu’un outil de réintégration des prisonniers à la société, lance Antoine Dulin, vice-président du Cese et rapporteur de l’avis. L’enfermement désocialise et déresponsabilise.“ La surpopulation carcérale et le manque de personnel pénitentiaire, explique-t-il, maintiennent une gestion avant tout sécuritaire de la détention.

Enfermés vingt-deux heures sur vingt-quatre, très peu de détenus ont accès à l’emploi et aux formations proposées dans les maisons d’arrêt : “Il y a des listes d’attente tellement longues que si tu n’es pas incarcéré pour au moins six ans, ce n’est pas la peine de s’inscrire”, affirme Omar. Seuls 14% des prisonniers peuvent avoir accès à une formation, et 28% à un emploi rémunéré, souvent peu valorisant.

Les mesures préconisées par le Cese ont donc comme point central la préparation de la sortie de prison, dès l’entrée en détention. Augmenter le nombre de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, améliorer l’accès aux soins pendant et après la détention, restructurer l’exercice des droits fondamentaux, comme le droit de vote, la liberté d’expression et la participation à la vie publique sont autant de moyens d’accompagner les détenus dans leur parcours d’intégration, explique l’avis.

Alors que la surpopulation carcérale ne cesse d’augmenter, le texte entend également prendre à contre-pied la question de la construction de nouvelles prisons :

“Plus on crée des places de prison, plus on les remplit”, tranche Antoine Dulin.

Une logique «coûteuse et inefficace», voire «contre-productive» : après avoir vécu la violence de la prison, sans emploi et se retrouvant parfois à la rue, 63% des prisonniers qui n’ont pas bénéficié d’accompagnement ou d’aménagement de peine récidivent. D’où la nécessité de changer de perception et de ne plus voir la prison comme la sanction de référence, mais comme une peine possible parmi d’autres alternatives.

Changer de regard

Les travaux d’intérêt général, le port du bracelet électronique, les centres de semi-liberté, la liberté conditionnelle ou le placement extérieur : autant d’options mal connues de l’opinion publique, malgré leur efficacité en termes de réinsertion et leur plus faible coût pour l’Etat. Le Cese recommande notamment la création de 5 000 places supplémentaires en placement extérieur, à l’image de celles proposées dans la ferme de Moyembrie (Aisne), qui accueille dans le nord de la France une vingtaine de détenus et leur permet de travailler sur un chantier de réinsertion. La ministre de la Justice affirme être “farouchement opposée aux courtes peines de moins d’un an désocialisantes” qui sont les plus fréquentes, et vouloir “développer les alternatives à l’incarcération lorsque d’autres solutions sont préférables”.

Pourtant, “l’opinion publique reste extrêmement sévère en ce qui concerne l’emprisonnement : 70% des Français pensent qu’il faut enfermer tous les condamnés”, continue Antoine Dulin, qui dénonce une “profonde méconnaissance de ce que produit la prison”. “Je suis réellement devenu un délinquant lors de ma première incarcération”, témoigne Bruce, détenu à deux reprises sur une durée totale de dix ans. Le Cese se fixe pour objectif de sensibiliser la population aux enjeux de la réinsertion, pour dépasser les idées reçues.

“Quand on sort de prison, on n’a plus personne, on n’a plus d’amis, plus de famille, tout le monde nous rejette”, confie Lorry, détenu de 2013 à 2018.

A cause de son casier judiciaire et des préjugés de ses interlocuteurs, impossible d’obtenir un prêt ou un CDI. Notre société est-elle prête à accueillir les anciens détenus ? Pour Bruce, il est nécessaire qu’elle «change de regard» : “Ceux à qui on ferme la porte, à qui on ne donne pas leur chance, il ne faut pas oublier qu’ils vont sortir de détention tôt ou tard. La prison, c’est dur, mais la sortie l’est deux fois plus.”

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