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France : "La prison, un espace qui tente de réinsérer des individus en les mettant à l’écart" (Olivier Milhaud)

Dans son dernier essai, le géographe décrit comment l’enfermement sacrifie souvent toute possibilité de réinsertion. La punition est encore envisagée comme par une séparation, dedans comme dehors.
Près de 70 000 détenus pour une capacité d’accueil de 58 000. Contre la surpopulation carcérale, la plupart des hommes politiques ne proposent que la construction de nouvelles places. La prison est de fait une peine géographique : elle punit par l’espace, même si c’est par manque d’espace. Aucun géographe ne s’était encore penché sur la question. Dans Séparer et Punir, Olivier Milhaud montre comment notre imaginaire se focalise sur les individus dangereux et empêche de concevoir des solutions alternatives.

Selon une étude du Conseil de l’Europe, publiée en mars, la France figure parmi les pays qui incarcèrent le plus en Europe. Pourquoi ?

Nous ne sommes pas non plus la Russie, la Turquie, ni même le Royaume-Uni ! Néanmoins, la France fait partie des pays où la surpopulation est criante et l’un des rares grands pays d’Europe de l’Ouest qui n’arrive pas à enrayer la progression du nombre de détenus. Les peines sont plus lourdes, la justice plus sévère. Quand on parle de prison en France, on pense presque toujours aux criminels, qui sont très minoritaires face aux prévenus et aux délinquants. Cette association entre crime, dangerosité et prison bloque la réflexion. N’envisager que les détenus dangereux empêche de discuter sereinement des peines dans la communauté ou des libérations conditionnelles - qui offrent un suivi sur la durée, bien préférable à une libération sèche.

D’autres pays européens ont évolué sur cette question…

A cause de leur sérieux budgétaire. Ils ont raisonné en termes de coûts - avantages. Plutôt que de continuer d’incarcérer, il revient moins cher, et sans insécurité accrue, de développer des solutions alternatives. C’est frappant pour les courtes peines de prison, inefficaces. Le coût d’une journée de détention est en moyenne de 100 euros. Celui d’une journée de semi-liberté de 50 euros. Le placement extérieur coûte en moyenne 31 euros par jour et le placement sous surveillance électronique 10 euros (1). Même les Etats-Unis réduisent leur taux d’incarcération pour des raisons économiques devenues flagrantes avec la crise de 2008. Ce n’est pas de l’angélisme, mais de l’efficacité et du sérieux, car, à la clé, il y a des alternatives qui réinsèrent au lieu d’un établissement qui déresponsabilise.

Cet argument économique ne fonctionne pas en France ?

Nous sommes en plein populisme pénal. Notre imaginaire se focalise sur les détenus dangereux, qu’il faut isoler. On voit la seule fonction de neutralisation de la prison. Les solutions alternatives ont été très peu développées en France. L’essentiel des budgets file dans les constructions de nouveaux établissements et des embauches de surveillants, au lieu de financer des alternatives. Lors de la campagne présidentielle, François Fillon promettait 16 000 places supplémentaires, Marine Le Pen 40 000, Emmanuel Macron 15 000. Cela fait des décennies que de tels plans de construction se succèdent sans jamais rattraper l’augmentation édifiante du nombre de détenus : + 80 % depuis 1980 ! L’avant-dernier plan date de 2013 : 7 000 places supplémentaires pour un coût évalué à 16 milliards d’euros.

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