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France: l’épidémie de Covid est entrée en prison

Le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 est suspendu parce que l’enfermement, le vrai, n’a pas empêché la maladie de s’insinuer entre les barreaux des prisons.

La deuxième vague de l’épidémie de COVID-19 est l’occasion d’alerter sur l’urgence à diminuer le nombre de personnes incarcérées, ce d’autant plus que, par un arrêt en date du 30 janvier 2020, la Cour Européenne des Droits de l’homme a demandé à la France de prendre des mesures permettant la résorption définitive de la surpopulation carcérale.

A l’issue du premier confinement, à l’heure de notre libération, certains ont pu dire d’un air pénétré : “Je sais maintenant ce que ressentent les prisonniers.” Quelques-uns citaient même des passages de La Peste d’Albert Camus, puisque nous avions tous été plus ou moins pestiférés : “Ils éprouvaient ainsi la souffrance profonde de tous les prisonniers et de tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien.” Captifs, l’étions-nous vraiment, quand d’autres devaient purger une peine bien plus longue que la nôtre et dans des conditions plus pénibles ?

Les prisonniers, ces spécialistes du confinement, familiers de l’enfermement et de l’ennui, ont passé la première vague, plutôt avec grâce, puis est venue la deuxième. Un seul d’entre eux a-t-il pu profiter d’un séjour en unité sanitaire en milieu pénitentiaire pour apercevoir par la fenêtre un soleil qu’il ne voit pas de sa cellule ? La phrase est celle d’un condamné dont aujourd’hui est le dernier jour : “Pendant le peu d’heures que j’ai passées à l’infirmerie, je m’étais assis près d’une fenêtre, au soleil – il avait reparu – , ou du moins recevant du soleil tout ce que les grilles de la croisée m’en laissaient.” (Victor Hugo, évidemment).

Au contraire de la première, la deuxième vague s’abat plus durement sur les prisons. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, ainsi que l’Observatoire International des Prisons (OIP), s’inquiètent de l’augmentation des incarcérations alors même que les “clusters” se multiplient.

Lors de la première vague, pour empêcher que l’épidémie ne se répande, des mesure ont été prises de libérations anticipées, s’agissant de fins de peine ou de peines légères, afin que les prisons ne soient pas surpeuplées”, note François Bès, permanent de l’OIP. Car désengorger les prisons était la seule solution qui promettait la sécurité sanitaire. En plus de ces mesures, l’arrêt de la justice et notamment des comparutions immédiates qui se traduisent aussitôt par des incarcérations, a permis au pays une diminution sans précédent de sa population carcérale.“

C’est ainsi que pour la première fois en France depuis vingt ans, il y avait au mois de mai plus de places de prisons que de prisonniers. “Comme quoi, c’est possible, dit encore François Bès. C’est la preuve que certaines incarcérations ne sont pas indispensables et que des aménagements de peine sont toujours envisageables.”

L’essai n’a pourtant pas été transformé. Dès le début de l’été, avec la reprise des audiences, le nombre des incarcérations a de nouveau augmenté. Ainsi, aujourd’hui, le nombre de personnes détenues s’élève à plus de 62 000, alors qu’au mois de mai, il était de 59 493. D’après l’OIP, les prisons françaises ont retrouvé un taux d’occupation moyen supérieur à 100 %, taux qui frôle les 115 % dans les maisons d’arrêt : “Ces chiffres masquent comme toujours des disparités importantes : 176 % à Bordeaux-Gradignan, 157 % à Tours, 169 % à Douai, 155 % à Villepinte, 213 % à La-Roche-sur-Yon, 195 % à Carcassonne, 188 % à Nîmes, etc.” La maladie du surpeuplement carcéral est nationale.

Si, au 5 novembre, l’OIP relève que 587 personnes dorment sur des matelas posés au sol, le Garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, dans un courrier antérieur, daté du 23 octobre, adressé aux magistrats du Parquet, aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et aux directeurs interrégionaux de la protection judiciaire de la jeunesse, en évoque, lui, 609.

Et, parmi ces détenus qui n’ont pour couche qu’un matelas au sol, nombreux sont ceux qui sont incarcérés au sein d’établissements situés en zone d’alerte maximale ou constituant un foyer épidémique, où les mesures sanitaires sont impossibles à respecter.

Ainsi le nombre de clusters augmente. Au 12 novembre, on en comptait 80. Quant aux cas confirmés, c’est-à-dire de détenus testés positifs, ils étaient, le 4 novembre, 178. “Le fait est que la maladie est entrée dans les prisons. Elle est arrivée de l’extérieur, par le personnel pénitentiaire et le personnel soignant, alors que des mesures restrictives avaient été prises par les chefs d’établissement concernant les activités des détenus”, explique François Bès.

Lors de la première vague, les protocoles mis en place ont en effet impacté les activités des détenus, parfois les suspendant carrément : éducation nationale, formation, culte, activités culturelles, sport, promenade… mais aussi parloir. Des mesures d’ailleurs décriées par Dominique Simonnot, la CGLPL. Selon elle, elles mettent en danger les personnes enfermées, alors même qu’elles sont prises au nom de la prévention des risques sanitaires, sans compter qu’elles portent atteinte à leurs droits sans les protéger.

Dans sa lettre datée du 23 octobre, Éric Dupont-Moretti est du même avis. Pour contrer l’épidémie, il demande lui aussi au ministère public de réduire la population carcérale, en privilégiant le prononcé d’assignations à résidence sous surveillance électronique, de placements alternatifs à l’incarcération et, au stade de l’application des peines, le fractionnement ou la suspension.

Mais tant que la population carcérale ne diminue pas, il convient d’appliquer au dedans ce qui s’applique au dehors ; au moins, porter le masque.

“Il a fallu batailler pour que les personnes incarcérées disposent de masques, dit François Bès. Quant au gel hydro-alcoolique, il est purement et simplement interdit, au motif qu’il contient de l’alcool.”

Il faudrait que les prisonniers soient vraiment désespérés pour s’enivrer au gel hydro-alcoolique. Mais peut-être le sont-ils, nous l’avons bien été, nous, d’être confinés, éprouvant la souffrance profonde de tous les prisonniers…

Pour l’heure, la Direction de l’Administration Pénitentiaire attend des établissements qu’ils obligent leurs détenus à porter un masque dès lors qu’ils sortent de leur cellule : zone d’attente, couloirs de circulation, salle d’activité, ateliers ou zones de formation professionnelle, cours de promenade, etc.

Pour ce faire, deux masques sont censés être remis par journée et par personne détenue, sous le contrôle des personnels de surveillance. Et il est évidemment obligatoire aux parloirs. Car, “pour cette deuxième vague, les parloirs ne sont pas totalement suspendus, continue François Bès, mais le nombre de visiteurs par parloir a été réduit et des plaques de plexiglas ont été installées comme dans les EHPAD”.

Dans la liste des mesures de protection sanitaire, on retrouve les évaluations individuelles du risque réalisées pour les personnes détenues en affection longue durée, âgées de plus de 65 ans, ou qui sont estimées à risque, et la quatorzaine des nouveaux détenus au quartier arrivant avec test à J+7.

Malgré ses précautions, quand la maladie se déclare, l’administration pénitentiaire passe le relais au ministère de la Santé, à l’ARS et aux hôpitaux. La région PACA, qui est l’une des plus touchées par l’épidémie, est aussi celle dont l’Unité Hospitalière Sécurisée Interrégionale (UHSI), au sein de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, est une des plus importantes du territoire français, accueillant en Médecine Chirurgie Obstétrique les patients incarcérés en PACA-Corse et, en Soins de Suite et de Réadaptation, tous les patients incarcérés du Sud de la France.

On aurait pu craindre que les cas de Covid-19 engorgent le service. Il n’en fut rien ! Car d’après l’Unité Hospitalière Sécurisée, de nombreux patients paucisymptomatiques (c’est-à-dire qui présentent peu de symptômes sans être cependant asymptomatiques) ont refusé de venir et ont été pris directement en charge par les Unités Sanitaires en Milieu Pénitentiaire (SMP).

Les détenus sont souvent réfractaires à l’hôpital car leurs habitudes carcérales y sont rompues. Ils ont interdiction de fumer, de se promener à l’air libre. Curieusement, les conditions de détention sont plus sévères à l’hôpital qu’au sein de l’établissement pénitentiaire. Il faut que leur maladie soit vraiment grave pour qu’ils acceptent de s’en remettre à l’Assistance Publique.

Aux Baumettes, pour les cas symptomatiques mais sans danger, un quartier a été prévu pour permettre d’isoler les malades pendant sept jours en attendant leur guérison : cellule individuelle, visite quotidienne de la part des personnels soignants pour un entretien et une prise des constantes.

Aucun cas sérieux n’a été signalé au sein de cette prison, en raison de la jeunesse de sa population. L’UHSI a cependant proposé une hospitalisation systématique pour éviter de laisser des patients Covid en détention et pour mettre en œuvre au mieux le bilan (notamment scanner pulmonaire) et le traitement.

Car, si des cas graves se déclaraient, l’UHSI ne disposerait ni de scope, ni de surveillance continue, type soins intensifs ou réanimation. Les patients devraient alors être transférés dans les services adaptés de l’AP-HM, comme c’est le cas pour d’autres patients non-Covid, avec garde statique devant la chambre.

Tout comme il faudrait que les prisonniers souffrent beaucoup pour mettre leurs lèvres au goulot d’une bouteille de solution hydro-alcoolique, il faut donc qu’ils souffrent beaucoup pour accepter de se rendre à l’hôpital quand ils sont malades. Là où pourtant les matelas ne sont pas encore posés au sol et où le soleil passe, peut-être, par la fenêtre.