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France : “je me dois de vous dire que la dite réinsertion est un combat de tous les jours”

Lettre ouverte de Gabi Mouesca à destination de la présidente de la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Pau qui lui a refusé sa demande de requête en réhabilitation.

Madame Esarte, présidente de la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Pau,

En m’adressant à vous sous la forme d’une lettre ouverte, je suis bien conscient que je fais fi de deux usages ; celui de la non remise en question de la chose jugée, ainsi que de la non interpellation nominative et publique d’une magistrate en exercice.

La non remise en question de la chose jugée – en l’occurrence une décision que vous avez prise à mon égard – n’est pas une valeur supérieure à ma liberté d’expression, et encore moins lorsque la décision en question me semble frappée du sceau de l’injustice la plus flagrante.

Quant à votre interpellation – rendue publique –, elle bouscule une tradition qui rend tout magistrat intouchable, incontestable. Magistrat drapé dans l’étoffe d’une institution sacralisée.

Ma ligne de vie m’a souvent amené à croiser des magistrats. Jamais je n’ai accepté d’avoir avec ces personnes en fonction un rapport autre que celui de l’égalité. En République, le statut dominant est celui de Citoyen. Et avec vous comme avec tous vos semblables, c’est de Citoyen à Citoyen que je m’adresse. Sans baisser les yeux.

Venons en aux faits. Par arrêt rendu en Chambre du conseil le 8 décembre 2020, vous avez opposé un refus à ma requête en réhabilitation. Refus prononcé en ces termes ; “la Cour dira que les éléments produits qui s’analysent en simples étapes d’un curriculum vitæ sont insuffisants à caractériser les gages d’amendement et à permettre à la Cour d’envisager la mesure de bienveillance souhaitée”.

Je ne ferai pas ici étalage de mes engagements citoyens et professionnels sur ces deux dernières décennies. Remis en liberté en 2001 après 17 années de détention, je n’ai eu de cesse depuis de contribuer – à ma modeste mesure – à un vivre ensemble fondé sur la justice et la défense des plus vulnérables. Et quoi que cela vous inspire, je fais ici serment que je poursuivrai ainsi jusqu’à mon dernier souffle.

A présent, je voudrais souligner la raison majeure qui m’a amené à vous adresser ce courrier. Elle dépasse et de loin ma propre personne. Toute personne passée par la case prison s’y reconnaîtra.

Je me dois de vous dire que la dite réinsertion (ou insertion, tout simplement, pour beaucoup) est un combat de tous les jours. Harassant, trop souvent désespérant. Les personnes mises en prison sont vidées de leur énergie vitale, comme siphonnées de leur matière première, existentielle. Remises en liberté, elles sont confrontées à un monde dans lequel les mains tendues sont rares.

Le manque de Fraternité ou de Sororité, les “Himalaya” administratifs à dépasser, les pressions de certains corps de l’Etat (police, Justice), le cumul de facteurs de pauvreté, sont autant de handicaps que beaucoup ne parviennent pas à surmonter pour trouver leur juste place au sein de la société. S’insérer après être sorti de prison est en France, en ce début de XXIe siècle est une véritable prouesse !

Par votre décision vous m’imposez de rester un “sous citoyen”, privé d’une partie de ses droits, et non des moindres. Soit. Soyez assurée que cette sanction ne me déviera aucunement de la trajectoire de vie que j’ai décidé de prendre au sortir de la prison. Celui du refus de la marge et de la mise au ban à laquelle certains s’évertuent à vouloir nous pousser ou nous maintenir en usant et abusant de leur pouvoir.

Enfin, pour revenir à la conclusion de votre décision, concernant l’insuffisance à “caractériser les gages d’amendement”, je souhaite simplement vous dire que l’Histoire sera seule à même de juger les hommes et femmes ayant posé les actes similaires auxquels je me suis prêté, et à dire si la question de l’amendement se posait. Pour ce qui est de votre refus d’envisager de m’accorder une “mesure de bienveillance”, je tiens à vous préciser que ce n’est pas de “bienveillance” qu’il s’agissait, mais de justice !

Pour terminer, je tiens à vous dire, Madame Esarte, que dans mon esprit, votre décision de magistrate ne lie en rien votre personne à l’ensemble de la magistrature de France. J’ai l’honneur de rencontrer dans ma vie professionnelle nombre de magistrats qui, eux, savent parfaitement rendre des mesures de justice et ne confondent pas Justice et vengeance !