Actualité

France : insertion. un détenu rennais crée un jeu de société sur la prison

Arbi, 40 ans, purge actuellement une longue peine de prison à la centrale de Vezin-le-Coquet, près de Rennes, pour trafic de stupéfiants. Longtemps placé à l’isolement, il s’est promis de définitivement tourner la page de la délinquance. Et de créer un jeu de société, basé sur son expérience et sur les arcanes du système judiciaire français.

“La première fois que j’ai rencontré Arbi, c’était pour lui dire de tout arrêter. Que ça ne valait pas la peine de continuer à plancher sur son jeu, se plaît à raconter Juro Agatic, qui dirige l’entreprise Concept Impression à Noyal-Châtillon-sur-Seiche, près de Rennes. En tant que graphiste et imprimeur, j’ai accompagné plusieurs concepteurs de jeux. Bien rares sont ceux qui s’en tirent financièrement. Arbi a commencé à sortir ses cartes et son ébauche de plateau de jeu. Et là, j’ai été soufflé. En quelques minutes, il m’a convaincu”.

Un stylo, du papier, un calendrier

Arbi est entêté et il le sait. Et il a eu le temps de concevoir son jeu entre les quatre murs des cellules où il vit depuis quelques années. “Avant Vezin-le-Coquet, j’ai connu les prisons de Caen, Lorient, Brest et Le Havre. On m’a trimbalé dans le Grand Ouest et j’ai été placé à l’isolement. Une situation que je ne souhaite à personne. Certes, on a la télé, mais plus de contact humain. Il faut s’accrocher pour tenir bon psychologiquement”.

Le but du jeu est de sortir, légalement, le plus vite possible

À la maison d’arrêt de Brest, Arbi se morfond dans sa cellule. Lui qui a eu une vie sociale assez riche - il a longtemps joué au foot et a été entraîneur - regrette d’avoir choisi le chemin de la délinquance. “Je me suis dit qu’on faisait beaucoup de choses pour prévenir les jeunes du Sida, notamment à l’école, mais que presque rien n’était fait pour les écarter des crimes et des délits. Je me suis remémoré une discussion que j’avais eue avec ma petite-nièce. Elle me soutenait qu’on pouvait se moquer des gens obèses. Je lui ai répondu que c’était de la discrimination. Un délit passible d’un an de prison et de 15 000 € d’amende. Ça a été comme un déclic. Je me suis dit qu’il fallait avancer“.

Peine, amende, remise de peine

Dans sa cellule, Arbi réussit à se procurer un stylo à bille quatre couleurs, des feuilles de papier qui deviendront des cartes, ainsi qu’une règle et un calendrier, donné par le psy de l’établissement, qui lui servira de tableau de jeu. Arbi travaille plusieurs heures par jour sur son projet. « Mon jeu fonctionne simplement. Au début on tire une carte qui précise la longueur de la peine mais aussi le montant de l’amende à payer. Le but est de sortir, légalement, le plus vite possible ». À l’aide d’un dé, chaque joueur avance son pion sur un tableau de 365 cases, comme autant de jours dans l’année. Le joueur peut tirer de bonnes cartes qui lui donneront droit à des remises de peine. “C’est comme dans la réalité. Quand on accepte de travailler ou de se former en prison, on marque des points”.

J’ai repris scrupuleusement ce que prévoit le Code pénal. J’ai choisi 50 délits pour construire mon jeu

Parfois, aussi, on tire de mauvaises cartes qui vous font reculer : refus d’obtempérer, possession d’un téléphone portable, trafics, menaces, agressions, insultes… “Tout est véridique et calqué sur les règlements des établissements pénitentiaires, poursuit Arbi. Même chose pour les peines. J’ai repris scrupuleusement ce que prévoit le Code pénal. J’ai réussi à en avoir un exemplaire en prison. J’ai choisi 50 délits pour construire mon jeu”.

Une démarche de réinsertion

Arbi est soutenu par des professeurs de l’unité pédagogique de Vezin-le-Coquet. Unité qu’il fréquente assidûment. “Avec eux, j’ai passé l’équivalent du brevet du collège ainsi que le brevet informatique et internet”. Juro Agatic, lui aussi, épaule le détenu. Le graphiste a commencé à travailler sérieusement sur le jeu.

“Pas évident d’avancer rapidement avec quelqu’un qui est derrière les barreaux. Car il faut échanger ensemble” explique le chef d’entreprise. Alors les deux hommes profitent autant qu’ils le peuvent des quelques jours de liberté conditionnelle dont bénéficie Arbi, tous les trois mois. Courtes trêves qui lui permettent aussi de revoir ses enfants.

Le suivi de ce dispositif est assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui veille au respect des obligations et accompagne Arbi dans sa démarche de réinsertion, sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP). “J’essaye de mettre ces heures à profit pour avancer mais ça n’est pas évident. Avec Juro, on a pu se voir trois fois. L’idéal serait qu’on puisse travailler derrière les murs de Vezin”.

Les gens feront toujours des conneries. Mais si on peut en sauver 50 sur 1 000, ça vaut vraiment le coup de le faire

Dans quelques mois, Arbi devrait recouvrer la liberté pleine et entière. Son jeu, il espère bien le mener jusqu’au bout et trouver un diffuseur.

“Je pense qu’il peut intéresser les éducateurs qui travaillent en foyers, les structures sociales qui sont au plus près des jeunes dans les quartiers. Mais aussi les familles, pourquoi pas. Les gens feront toujours des conneries. Mais si on peut en sauver 50 sur 1 000, ça vaut vraiment le coup de le faire”, conclut Arbi avant de réintégrer, en soirée, sa cellule de Vezin-le-Coquet.

Lire l’article complet