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France : grand débat national, les détenus pourront-ils participer aux discussions ?

Le grand débat national a été lancé par Emmanuel Macron mardi. Alors que les Français sont invités à organiser et à participer à des réunions, pour la population carcérale, cela s’annonce complexe.

«La dignité, elle passe aussi par la reconnaissance pleine et entière des droits des détenus.» Cette petite phrase d’Emmanuel Macron, prononcée en mars 2018, les dizaines de milliers de Français actuellement en prison s’en sont peut-être souvenus au moment où le président de la République annonçait la tenue d’un grand débat national, en décembre dernier.

En évoquant les « droits des détenus », il y a maintenant près d’un an, le chef de l’Etat n’évoquait évidemment pas ce rendez-vous, mais le droit de vote des détenus. Objectif : permettre aux Français emprisonnés de voter sans sortir de leur centre pénitentiaire et ce dès les élections européennes. Depuis, un amendement a été déposé et Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, a elle-même assuré que chaque prison disposerait de son urne en juin prochain. Engagement en passe d’être tenu, donc. Mais qu’en est-il de la participation des détenus au grand débat national, qu’Emmanuel Macron a dit ouvert à tous les « citoyens, élus et institutions, organisations à but lucratif ou non lucratif » ?

Sur le site du grand débat, aucune mention n’est faite des personnes « éloignées ». Mais cela ne signifie pas qu’elles en sont exclues. Contrairement au vote, droit de tout prisonnier français jouissant de ses droits civiques, le grand débat national concerne en effet tous les résidents en France et Français résidant à l’étranger, sans exception. Le comité du grand débat national souhaite « donner à chacun la possibilité de s’exprimer », de manière non-discriminante, nous assure-t-il. L’intégralité des détenus est donc concernée : Français privés ou non de leurs droits civiques, étrangers européens ou hors-Europe.

La lettre de Macron diffusée en prison

Sur le sol français, 71 061 personnes sont actuellement détenues. Elles connaissent des situations variées de citoyenneté (citoyens français, citoyens français privés de droits civiques, étrangers résidant sur le sol français) et de régimes d’incarcération.

Leur niveau d’information peut-il être égalitaire avec celui des personnes résidant librement en France ? Interrogé par Le Parisien, le porte-parole du ministère de la Justice Youssef Badr s’y engage, même si les moyens pratiques restent à déterminer : «Dès lors que la lettre du Président fera l’objet d’un envoi à l’ensemble des résidents en France, la direction de l’administration pénitentiaire organisera la diffusion auprès des personnes écrouées détenues.»

Possible dans l’idée…

Comment apporter sa contribution quand on est derrière les barreaux souvent 22 heures sur 24, sans accès à Internet, avec l’interdiction d’organiser une pétition ou un rassemblement spontané ? Cela reste possible pour la Chancellerie, même si les disparités des établissements sont à prendre en compte. « Des raisons de sécurité évidentes dans un certain nombre d’établissements font que des adaptations sont nécessaires pour permettre la participation des personnes détenues », rappelle Youssef Badr. Le surpeuplement carcéral atteint en moyenne 130 % en moyenne dans les maisons d’arrêt. Les modalités pratiques restent aussi à définir «pour permettre le recueil des doléances et leur transmission aux maires ou faciliter l’organisation de réunions sous l’égide du Spip (service pénitentiaire d’insertion et de probation) là où cela s’avérerait possible.»

Plusieurs initiatives de l’administration, comme la Nuit du droit en octobre 2018, ont montré que l’organisation de débats était techniquement possible. Les cas d’initiative de détenus restent cependant rares. « Il y a peu de mobilisation politique », assure Yves Feuillerat, directeur de la prison d’Osny (Val-d’Oise). Ce qui ne veut pas dire pas du tout. Créée au lendemain des attentats du Bataclan, l’initiative d’une dizaine de détenus de la prison de Villepinte en témoigne : des débats avec invités y avaient été organisés pour lutter contre la radicalisation.

… mais compliqué dans les faits

Permettre aux détenus de participer au débat «part d’une bonne intention, mais en pratique, ça va être très compliqué à mettre en œuvre», selon Amid Khallouf, coordinateur régional à l’Observatoire international des prisons, association qui agit pour le respect des droits de l’homme en milieu carcéral. «Dans la loi française, seul l’article 29 d(e la loi du 24 novembre 2009) reconnaît une forme de consultation des personnes détenues sur les activités proposées. L’approche française reste minimaliste par rapport aux recommandations du Conseil de l’Europe.»

Concrètement, pour organiser un débat, un détenu doit nécessairement demander la permission à la direction pénitentiaire et/ou son CPIP (conseiller pénitentiaire d’insertion et probation). La présence d’une personne compétente extérieure peut être demandée par le détenu, ou imposée comme condition par l’administration. «Il y aura forcément un tri des personnes sélectionnées. Les détenus auront plus de chances de pouvoir en organiser dans certains établissements au régime plus souple», estime l’OIP.

Débattre et voter pour se réinsérer

Selon Amid Khallouf, la difficulté de s’exprimer et d’initier un débat démocratique est un facteur déterminant dans la montée de la violence en milieu carcéral : «Les détenus n’ont qu’un moyen d’expression : ils refusent de réintégrer leur cellule, ce qui provoque une escalade de la violence.»

L’accès à un débat démocratique serait-il aussi un élément clé de leur réinsertion sociale ? François Korber, ancien détenu, juriste et délégué général de l’association Robin des Lois, en est convaincu. Cette association milite pour que les détenus puissent exercer leurs droits civiques au sein des prisons grâce à des bureaux de votes dès les élections européennes. «Si la liberté de débattre est réelle, celle de réunion reste élastique. Il est peu probable que les détenus obtiennent l’autorisation d’organiser un débat, sauf si le directeur est progressiste. Pourtant, faire rentrer de la République et de la démocratie dans les murs de la prison est un formidable levier d’insertion. L’administration doit encourager les détenus, et ne pas attendre l’impulsion de la garde des Sceaux.»

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