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France: en pleine crise sanitaire, le ministre de la Justice s’inquiète de la remontée de la population carcérale

Dans une note adressée aux parquets et aux services pénitentiaires, Éric Dupond-Moretti insiste sur la nécessité de maintenir "une densité carcérale compatible avec les mesures sanitaires".

Le nombre de personnes écrouées est reparti à la hausse, après une baisse drastique lors du confinement.

C’est une preuve indéniable de la surpopulation carcérale. Le nombre de matelas au sol dans les cellules a bondi de près d’une centaine en un mois.

“Plus de 600 personnes dorment par terre dans les prisons françaises. Lorsque l’on maintient enfermées 22 heures par jour trois ou quatre personnes dans 9m2, on crée des situations de risque sanitaire encore plus grandes”, résume François Bès, coordinateur du pôle enquête de l’Observatoire International des Prisons.

Conscient des risques accrus de transmission du virus dans ces conditions de promiscuité, le Garde des Sceaux a envoyé une note aux parquets et aux services pénitentiaires. Éric Dupond-Moretti leur demande une “mobilisation conjointe” afin de mettre en oeuvre “rapidement des mesures propres à limiter la propagation du virus”, notamment dans les établissements situés en zone d’alerte maximale.

Si le nombre de détenus avait baissé pendant le confinement pour atteindre 59 000 personnes en détention en mars, contre 72 000 avant la crise sanitaire, il remonte vite depuis la rentrée.

Selon les chiffres du ministère de la Justice, 62 000 personnes sont détenues en ce mois d’octobre. Le taux d’occupation atteint les 103% et grimpe même jusqu’à 116% en maisons d’arrêt, où s’entassent les prévenus et les détenus purgeant une courte peine.

Cette situation complique à l’évidence le respect des gestes barrières et les mesures d’isolement en cas de contamination. À la date du 20 octobre, 117 détenus étaient positifs et 1 043 placés en quatorzaine. Sans compter les agents pénitentiaires, contaminés eux aussi, même si le ministère ne précise pas leur nombre.

Entre les murs des 188 établissements pénitentiaires français, le port du masque n’est pas systématique. Cela peut être décidé localement. Il n’est obligatoire de manière généralisée, dès la sortie de la cellule, que dans les zones d’alerte renforcée. La doctrine date du 14 octobre. “Trop tard”, regrette François Bès. Même particularité concernant les activités collectives, suspendues obligatoirement uniquement en cas de “cluster” et donc à partir de trois cas dans l’établissement. Les parloirs sont maintenus mais avec des mesures strictes : aucun contact, désinfection systématique, plaques de plexiglas, etc.

En revanche, la quatorzaine est devenue la règle.Les détenus sont placés à l’isolement à leur arrivée, après un déplacement ou après un contact avec l’extérieur et bien sûr en cas de contamination. Une mesure “bête et méchante” estime Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires (SNDP).

“C’est assez simple à faire sur le papier mais les choses se compliquent drastiquement si l’on considère les flux des maisons d’arrêt et l’augmentation de la population pénale depuis le mois de septembre”, souffle-t-elle.

Afin d’éviter les risques liés à une saturation des établissements pénitentiaires, le ministre de la Justice invite dans sa note les magistrats à éviter l’incarcération pour les peines courtes et pour les mineurs. Il demande au ministère public de requérir “le prononcé d’assignations à résidence sous surveillance électronique dès que la situation le justifie”. Pour les mineurs, Éric Dupond-Moretti souhaite que soit privilégié “les placements alternatifs à l’incarcération”.

Il s’agit en fait d’encourager les magistrats à mettre en application la nouvelle réforme des peines, entrée en vigueur le 24 mars, en plein confinement. Elle prévoit déjà une série d’aménagements, des mesures dites “Bloc peines”. Une incitation insuffisante si l’on en croit Flavie Rault. “On voit certes arriver quelques cas d’aménagements induits par le Bloc peines mais ça reste des quantités infimes et ça ne parvient absolument pas à réguler l’augmentation de la population pénale et encore moins à le faire vite… ce dont on aurait besoin contenu de l’aggravation de la situation sanitaire”, balaie la secrétaire nationale du SNDP.

Dans l’urgence, il faudrait limiter non seulement le flux des entrées en détention, mais aussi accélérer celui des sorties. Le gouvernement l’a déjà fait par ordonnances au printemps dernier. “10 000 détenus sont sortis, c’était très bien. Il y en a notamment qui ont eu une réduction de peine exceptionnelle, qui devaient sortir en juillet et qui sont sortis en mars.

Ça ne concernait ni les crimes ni les violences conjugales mais des fins de peines ou des courtes peines“, explique Kozam, sous pseudonyme, car il est l’un des administrateurs du compte Twitter “Le syndicat des détenus”, qui récolte des témoignages sur les réseaux sociaux en provenance des établissements pénitentiaires. Autre mesure qui a déjà fait chuter (et qui pourrait encore) le nombre de personnes écrouées : le confinement, qui entraînerait logiquement une baisse de l’activité juridictionnelle.